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25 mai 2019 6 25 /05 /mai /2019 08:51

«Les ouvriers n'ont pas de patrie»

K Marx et F Engels

 

L'immigration occupe une place centrale dans l'espace politique des pays capitalistes notamment lors des campagnes électorales. Les élections européennes du mois de mai 2019 ne font pas exception à cette règle. La violence et le cynisme des déclarations des partis bourgeois de ces pays n'ont d'égal que le vide de leurs programmes. L'immigration est présentée aux électeurs comme responsable de tous les malheurs. La démagogie, le racisme, la xénophobie ...sont ainsi utilisés par la classe dominante pour stigmatiser tout ce qui ressemble de près ou de loin aux immigrés. Son discours de haine (grand remplacement, invasion, explosion, tri, quotas, contrôle, vagues successives, tolérance zéro, zéro débarquement....) propagé jour après jour par les médias lui permet non seulement d’occulter sa responsabilité et celle de son système dans la situation économique et sociale désastreuse que connaît le monde aujourd’hui, mais aussi de détourner les travailleurs et les masses populaires des vrais problèmes qui les rongent au quotidien : chômage, précarité et régression sociale généralisée. L'instrumentalisation de l'image de l'«Autre », celle de l'étranger présenté comme un danger, comme un ennemi permet également de renforcer le mythe de «l'identité nationale» et de souder ainsi les masses populaires derrière la classe des exploiteurs.

Pourtant, la bourgeoisie a bel et bien besoin de cette immigration non seulement comme bouc émissaire, comme instrument redoutable de division des ouvriers en jouant sur leurs préjugés nationaux, raciaux et religieux, mais surtout comme force de travail taillable et corvéable à merci. Il ne s'agit en fait que d'une contradiction apparente liée à l'hypocrisie et au double jeu de la classe dominante. Car le capitalisme tend toujours vers l'utilisation d'une main-d’œuvre bon marché quelque soit sa nationalité, sa religion etc. D'autant plus que les travailleurs immigrés, notamment la frange la plus vulnérable («clandestins», sans papiers, réfugiés etc.), n'ont pour ainsi dire aucun droit, alors qu'une partie des ouvriers « nationaux » sont plus ou moins corrompus par des salaires plus élevés. Les analyses de Marx non seulement restent d'une étonnante actualité, mais surtout permettent de mieux comprendre pourquoi la main-d’œuvre immigrée reste une nécessité vitale pour le capitalisme mondialisé.

 

 

L'immigration est pour la bourgeoisie une source inépuisable de profit et celui-ci ne connaît pas de frontières. Le capitalisme, dès sa naissance, ne pouvait grandir et se développer qu'en exploitant avec une grande violence les populations de tous les continents. Avec la découverte des Amériques et l'extermination des indiens, les anglais et les français ont d'abord utilisé des esclaves blancs venus d'Europe. Mais avec le développement prodigieux des plantations de riz, coton, tabac et autres canne à sucre, le travail des esclaves blancs ne suffisait plus. L'importation d'esclaves africains devenait vitale pour la survie des plantations.  L’Afrique est ainsi transformée «en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires» disait Marx (1).

Il fallait absolument fournir ces plantations en force de travail la plus servile et la plus rentable possible : «Les esclaves sont envoyés dans toutes les plantations américaines de Sa Majesté qui ne peuvent subsister sans eux» (2). Aucun planteur n'était encore prêt à embaucher des salariés. Ainsi la richesse fabuleuse accumulée par les planteurs américains était produite, sous le fouet, par des africains arrachés à leur continent par la force et la violence. Combien ont succombé à leurs souffrances dans les champs de coton, de tabac ou de canne à sucre ? Combien ont été castrés, mutilés, lynchés, brûlés vif, ou encore pendus ? Nul ne le sait avec précision.

 

L'esclavage a permis le développement des centres industriels en Angleterre, berceau du capitalisme comme Manchester, Liverpool, Glasgow... «Ce fut la traite des nègres qui jeta les fondements de la grandeur de Liverpool ; pour cette ville orthodoxe, le trafic de chair humaine constitua toute la méthode d'accumulation primitive. (…) Dans le même temps que l'industrie cotonnière introduisait en Angleterre l'esclavage des enfants, aux États-Unis elle transformait le traitement plus ou moins patriarcal des Noirs en un système d'exploitation mercantile. En somme, il fallait pour piédestal à l'esclavage dissimulé des salariés en Europe, l'esclavage sans phrase dans le Nouveau Monde» (3).

 

Mais au cours de son développement, le capitalisme tente de réduire par tous les moyens y compris par l'immigration, la demande de travail et rendre l'offre plus abondante créant ainsi non seulement des chômeurs, mais aussi une concurrence fratricide entre salariés occupants un emploi au bénéfice des patrons : «(...) le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus de travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, ou encore d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l’homme par la femme, l’adulte par l’adolescent et l’enfant, un yankee par trois Chinois. Voilà autant de méthodes pour diminuer la demande de travail et en rendre l’offre surabondante, en un mot, pour fabriquer des surnuméraires» (4).

 

L'utilisation de la main-d’œuvre étrangère permet aux employeurs de grossir la masse des chômeurs créant sur le marché du travail une terrible guerre entre prolétaires nationaux et immigrés avec pour conséquence une baisse des salaires pour tous : «l’Irlande envoie son surplus de population vers le marché du travail anglais, et fait baisser ainsi les salaires, et dégrade la condition morale et matérielle de la classe ouvrière anglaise. Et le plus important de tout! Chaque centre industriel et commercial en Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles, les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais ». Cette concurrence, en plus de la baisse des salaires, donne aux ouvriers nationaux un sentiment de supériorité par rapport à la main-d’œuvre étrangère renforçant du même coup le pouvoir de domination de leurs propres exploiteurs : «L’ouvrier anglais moyen hait l’ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Par rapport au travailleur irlandais, il se sent un membre de la nation dominante, et ainsi se constitue en un instrument des aristocrates et des capitalistes de son pays contre l’Irlande, renforçant ainsi leur domination sur lui-même. Il nourrit des préjugés religieux, sociaux et nationaux contre le travailleur irlandais. Son attitude envers lui est très semblable à celle des «pauvres blancs» envers les «nègres» des anciens Etats esclavagistes des USA. L’Irlandais lui rend d’ailleurs la pareille, et avec intérêts. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois le complice et l’instrument stupide de la domination anglaise en Irlande»(5).

 

Hier comme aujourd'hui, la bourgeoisie a tout intérêt à dresser les travailleurs les uns contre les autres en jouant sur leurs préjugés respectifs pour mieux les diviser et les exploiter. Cette guerre fratricide entre travailleurs est «l'arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat» écrivait Engels (6). Briser l'unité des travailleurs est une condition essentielle qui permet à la bourgeoisie d'affaiblir toute résistance de la part des exploités. Elle ne recule devant aucun moyen dont elle dispose pour entretenir et perpétuer cette division : racisme, xénophobie, sentiment de supériorité nationale, méfiance des étrangers etc. : « Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente» (7).

Le véritable problème n'est donc pas l'immigration, mais le système qui la produit, le capitalisme.

Mais ce système qui accable les travailleurs du monde entier de tant de misère, crée en même temps les conditions pour former une classe ouvrière mondiale. Les travailleurs des pays pauvres migrent vers les pays riches attirés par des salaires plus élevés. Le développement du capitalisme accentuera davantage encore cette tendance en effaçant progressivement les frontières, en brisant les préjugés nationaux créant ainsi une sorte de classe ouvrière planétaire à l'instar de la bourgeoisie. Les migrations de la main-d’œuvre vont s'amplifier et se généraliser. Les rideaux de fer, les nouveaux murs et les polices des frontières ne pourront jamais empêcher de nouveaux migrants, chassés par la misère et les guerres provoquées par le système lui-même, de venir frapper à la porte des pays riches.

 

Les prolétaires ont non seulement à mener un combat au niveau national contre leur ennemi commun, mais aussi et surtout au niveau mondial. Cet internationalisme peut constituer la base de leur unité et de leur émancipation. Mais cette unité ne peut être réalisée qu'au prix d'un long et difficile combat politique de classe contre classe. Durant toute leur vie, Marx et Engels ont insisté sur l'unité des travailleurs de tous les pays. Sans cette union, leur combat pour l'émancipation sera voué à l'échec. « L'expérience du passé nous a appris comment l'oubli de ces liens fraternels qui doivent exister entre les travailleurs des différents pays et les exciter à se soutenir les uns les autres dans toutes leurs luttes pour l'affranchissement, sera puni par la défaite commune de leurs entreprises divisées» (8). Pour s’emparer du pouvoir politique indispensable à leur émancipation, les prolétaires doivent s’organiser au niveau planétaire, même si la classe ouvrière doit d’abord lutter contre sa propre bourgeoisie, car l’internationalisation du capital conduit nécessairement à l’internalisation du travail. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’appel de Marx à l’union de tous les travailleurs : « PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! » (9).

 

Mohamed Belaali

 

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(1)Le Capital - Livre premier. L’accumulation primitive.

 https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-31.htm

(2)Document de la Royal African Company fondée en 1672, cité par S.U. Abramova in « Aspects idéologiques, doctrinaux, philosophiques, religieux et politiques du commerce des esclaves noirs »

https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000123654

(3)https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-31.htm

(4)https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-25-3.htm

(5)https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc062.htm

(6)https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_3.htm

(7) Ibidem

(8)https://www.marxists.org/francais/marx/works/1864/09/18640928.htm

(9)https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000d.htm

 

 

 

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