Quel est le pays qui envoie depuis plus d'un demi-siècle non pas des troupes armées, mais des dizaines de milliers de médecins dans les coins les plus reculés et les plus inhospitaliers du monde pour affronter toutes sortes de catastrophes sanitaires ? Les États-Unis, la France, le Royaume Uni ? Non. Il s'agit de Cuba ! un petit pays de près de douze millions d'habitants, sous embargo américain depuis 1962, qui ne possède ni armes biologiques, ni armes chimiques et encore moins des armes nucléaires. Mais Cuba possède l'un des systèmes de santé le plus efficace au monde. Son savoir- faire médical est reconnu même par ses ennemis (1). En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a même félicité Cuba pour avoir été le premier pays à éliminer la transmission du VIH et de la syphilis congénitale, de la mère à l’enfant (2). Ce savoir-faire médical, Cuba le partage avec tous les pays qui en font la demande. Cuba ne largue donc pas de bombes, n'envoie pas de troupes, mais des milliers de médecins, d'infirmiers, des brigades en blouse blanche à travers la planète pour sauver des vies humaines. C'est une expérience médicale et humaine unique dans les relations internationales.
Le 22 mars 2020, une équipe de 52 médecins et infirmiers cubains est arrivée à Milan pour lutter avec leurs confrères italiens contre les ravages du coronavirus. Certains membres de cette équipe ont déjà combattu l'épidémie d'Ebola en Afrique. Le groupe «a été choisi pour son expertise dans les crises internationales, comme les tremblements de terre, les tsunamis et l’épidémie de fièvre hémorragique au Libéria» (3). Cuba répond ainsi présent à l'appel à l'aide des autorités italiennes, appel ignoré par la France, l'Allemagne et par toute l'Union Européenne (4).
La France a fait appel à son tour à Cuba pour lutter contre le Covid-19 dans les départements d'outre-mer : «Le gouvernement français accepte finalement, en pleine crise du Covid-19, d’accueillir des médecins cubains sur son sol. La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon sont concernés» (5).
Cuba a envoyé ainsi plus de 1000 médecins et autres personnels soignants dans plusieurs pays en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Afrique pour combattre le terrible coronavirus (6) : «Cuba a tendu la main de nombreuses fois, mais jamais autant en si peu de temps», disait le ministre cubain de la Santé, José Angel Portal (7).
Mais l'aide médicale cubaine ne date pas d'aujourd'hui avec la pandémie du coronavirus. C'est une longue tradition intimement liée à sa révolution de 1959 et à sa conception internationaliste et humaniste des relations entre les peuples. Les leaders et le peuple cubain ont fait de la santé (le Che était médecin et internationaliste) et de l'éducation leurs grandes priorités. Aujourd'hui selon la banque mondiale, Cuba est le pays au monde qui compte le plus de médecins par habitant : 8.2 médecins pour 1000 habitants loin devant la Norvège 4.6, l'Allemagne 4.2, la France 3.2 ou encore les États-Unis 2.6 (8).
La première brigade en blouse blanche, composée de 58 médecins et infirmiers, a été envoyée en Algérie en 1963 juste après l' indépendance. A cette époque, Cuba elle-même connaissait une situation sanitaire difficile après le départ de l'essentiel de ses médecins vers l'étranger notamment aux États-Unis pour ne pas perdre leur niveau et leur mode de vie. Mais la situation algérienne était encore pire. «C’était comme un mendiant offrant de l’aide, mais nous savions que le peuple algérien en avait encore plus besoin que nous, et ils le méritaient» disait M.José Ramon Machado Ventura, ministre de la Santé cubain (9). Aujourd'hui encore, les médecins cubains constituent le plus grand contingent étranger en Algérie (10).
Depuis cette date, les missions médicales cubaines déployées à travers le monde se sont succédé sans interruption malgré l'embargo américain. Du Chili au Pakistan, de Haïti au Portugal, du Brésil au Liberia, du Venezuela à l'Italie, de Gaza à Katmandou...les médecins cubains sont partout présents pour combattre des maladies aussi meurtrières que le Covid-19, l'Ebola, le Choléra, lutter contre la cécité, soigner les victimes des tremblements de terre ou tout simplement les populations les plus vulnérables.
Jusqu'en 2005, des dizaines de milliers de brigades médicales ont sillonné le monde à l'appel d'une centaine de gouvernements : «De 1963 à la fin de 2005, plus de 100 000 médecins et techniciens de la santé sont intervenus dans 97 pays, surtout en Afrique et en Amérique latine. En mars 2006, 25 000 professionnels se trouvaient répartis dans 68 nations. Un déploiement que même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne peut assurer» (11).
Depuis la première mission et jusqu'en 2014, près de 132 000 soignants cubains
parcourent la planète partageant avec de nombreux pays leur savoir faire médical (12).
Aujourd'hui, le nombre de médecins cubains envoyés dans les différentes régions du monde varie selon les sources. Il doit s'élever probablement à plusieurs centaines de milliers.
Précisons que l'aide médicale cubaine est offerte gratuitement par solidarité à tous les pays pauvres et à tous les pays ravagés par les guerres, catastrophes naturelles ou sanitaires. Par exemple, l'équipe « Henry Reeve » envoyée en Italie reste une mission de solidarité. Par contre, dans le cadre des accords bi ou multilatéraux, Cuba reçoit des compensations financières pour ses services de soins. Ces compensations viennent consolider et développer le système de santé cubain ainsi que les programmes de coopération médicale dont bénéficient de nombreux pays. Ces entrées de devises très précieuses pour Cuba, qui étouffe sous l'embargo américain, servent également aux importations et au remboursement de sa dette. Selon la Direction générale du Trésor français, le montant global de ces services médicaux payants, s'élevait en 2018 à 6,4 milliards de dollars loin devant les recettes touristiques (13).
Mais Cuba ne se contente pas seulement d'envoyer ses médecins et infirmiers à travers la planète, elle accueille et forme aussi dans ses universités des étudiants venus du monde entier. Ainsi pour l'année universitaire 2016/2017, Cuba a formé près de 15 000 docteurs et techniciens de la santé dont 920 venus de 79 pays différents (14).
A la suite de l'Ouragan Mitch en 1998 qui a fait au moins 25 000 morts en Amérique centrale (15),
l'idée a germé de former à Cuba, en parallèle des équipes envoyées dans cette région dévastée par les cyclones, des médecins capables de retourner dans leurs propres pays pour faire face eux-mêmes
à ce type de catastrophes. Car les médecins cubains ont constaté que les infrastructures médicales des pays qu'ils sont venus aider étaient quasi-inexistantes et le personnel soignant, malgré son dévouement, était en nombre très insuffisant pour pouvoir affronter le désastre laissé par l’ouragan. Ainsi est née l’École Latino-américaine de Médecine ( ELAM) inaugurée en novembre 1999. Ses premiers étudiants et étudiantes d'origine modeste étaient venus principalement des pays d'Amérique centrale dont les populations souffraient régulièrement de différents fléaux. Il s'agit de «Former des médecins prêts à se rendre là où l'on a le plus besoin d'eux et à y rester aussi longtemps que ce sera nécessaire, telle est la raison d'être de notre école depuis sa fondation» disait le Dr Midalys Castilla, vice-rectrice de l'université (16).
L'ELAM est considérée comme l'une des plus grandes université de médecine au monde. « Les frais de scolarité, l'hébergement et la pension sont gratuits, et une petite allocation est fournie aux étudiants» (17). En 2019, vingt ans après ses premiers cours, cette école a formé 29749 médecins de 115 pays différents (18).
Mais les États-Unis ne peuvent supporter ni tolérer qu'un petit pays comme Cuba puisse envoyer des médecins partout à travers le monde pour sauver des vies humaines, alors que l'Amérique se distinguent plutôt, en tant que première puissance, par les ravages de ses interventions militaires.
En fait, les américains, en dehors de la parenthèse Obama, n'ont jamais accepté la révolution cubaine. Les attaques contre les médecins cubains sont d'abord et avant tout des attaques contre cette révolution. L'espoir d'une «normalisation» des relations entre les deux pays s'est, hélas, éloigné encore un peu plus depuis l'arrivée de Trump au pouvoir en 2017. L'embargo, le plus long et le plus violent de l'histoire, a été renforcé (19).
Les missions médicales cubaines ne sont, pour l'administration Trump, qu'une forme de travail forcé, de l'esclavage en somme. Dans une lettre publiée le 7 mai 2019, les sénateurs étasuniens Marco Rubio, Rick Scott et Bob Menéndez écrivirent à Mike Pompeo, le secrétaire d’État «pour exhorter le Département d'État à prendre davantage de mesures pour lutter contre le déploiement par le régime cubain de médecins et de personnel médical dans des conditions qui représentent le travail forcé» (20).
Le 20 juin 2019, les États-Unis ont ajouté Cuba à leur liste noire des pays «qui n’agissent pas suffisamment pour combattre les trafics d’êtres humains». Car Cuba «n’a rien fait pour limiter le travail forcé dans les missions médicales à l’étranger, alors que, selon des allégations persistantes, des responsables cubains ont menacé et forcé certains participants à rester au sein du programme» (21).
La campagne menée par l'administration Trump contre Cuba et ses médecins a trouvé un écho favorable chez les dirigeants des pays comme le Brésil, la Bolivie, le Salvador ou encore l'Equateur dont la proximité idéologique avec le président américain est connue de tous. En effet, Jair Bolsonaro, le président brésilien classé à l'extrême droite sur l'échiquier politique (22),
a tout fait pour mettre un terme au programme de coopération médicale «Plus de médecins» signé en 2013 avec Cuba (23). Les 10500 médecins cubains qui ont quitté le Brésil travaillaient essentiellement «dans les zones les plus vulnérables du pays, les terres indigènes, les périphéries, le Sertao [partie désertique du Nordeste] (24).
Encouragés par l'administration américaine, la Bolivie, le Salvador et l’Équateur ont également annulé leur coopération médicale avec Cuba. Les plus pauvres et les indigènes de ces pays sont les premières victimes de cette décision politique. Mais forte de ses expériences et de son savoir-faire médical, Cuba espère renforcer ses brigades en blouse blanche dans d'autres pays comme la Chine, l'Afrique du Sud, le Vietnam, l'Arabie Saoudite etc. (25). Même l'extrémiste Bolsonaro, confronté au Covid-19, demande aujourd'hui à Cuba de lui renvoyer les médecins qu'il a expulsé hier encore !(26)
Ainsi, une petite nation comme Cuba s'illustre au niveau mondial par sa coopération médicale et sa capacité à faire face aux tremblements de terre, aux ouragans, à l'épidémie de choléra, au virus Ebola ou encore au Covid-19 à travers la planète y compris dans les pays riches. Ce formidable combat pour la vie, contraste violemment avec la conception des relations internationales de certaines puissances qui sèment la mort un peu partout à travers le monde avec leurs interventions militaires. A cet égard, les notions de puissance, de développement, de civilisation même, méritent peut-être plus de réflexions.
Mohamed Belaali
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Voir également l'article de New york Times :
https://www.nytimes.com/2014/10/20/opinion/cubas-impressive-role-on-ebola.html
Pour des articles de fond, voir :
https://link.springer.com/article/10.1007/s12611-012-0213-5
(2)https://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/mtct-hiv-cuba/en/
Voir également la Vidéo : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-l-italie-appelle-au-secours_3861973.html
(5)http://www.rfi.fr/fr/france/20200331-coronavirus-la-france-accepte-m%C3%A9decins-cubains-d%C3%A9partements-doutre-mer
(8)https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SH.MED.PHYS.ZS?end=2018&start=2018&view=bar
(9)Cté par John M. Kirk dans «Le secret de l’internationalisme médical cubain». Le Grand soir https://www.legrandsoir.info/le-secret-de-l-internationalisme-medical-cubain-temas.html
(11)https://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/CALVO_OSPINA/13777
(12)https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/25-000-medecins-cubains-expatries-travers-le-monde
(14)http://www.radiohc.cu/fr/noticias/salud/136198-14-685-medecins-et-techniciens-de-la-sante-sont-diplomes-cette-annee-a-cuba
(16)https://www.who.int/bulletin/volumes/88/5/10-010510/fr/
(17)https://en.wikipedia.org/wiki/ELAM_(Latin_American_School_of_Medicine)_Cuba
(18)http://fr.granma.cu/cuba/2019-11-14/lelam-20-ans-de-fidelite-a-la-pensee-humaniste-de-fidel
(19)https://cu.usembassy.gov/ambassador-bolton-bay-of-pigs-veterans-association-brigade-2506/
(22)http://www.leparisien.fr/international/bresil-le-president-d-extreme-droite-jair-bolsonaro-investi-01-01-2019-7979358.php
(23)uhttps://observers.france24.com/fr/20181123-bresil-bolsonaro-depart-medecins-cubains-santen
(26)https://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/CALVO_OSPINA/13777