«Si dans 10 ans on existe encore, ça voudra dire qu'on aura perdu», disait Coluche en 1985.
38 ans après, les Restos du cœur non seulement sont toujours là, mais fleurissent un peu partout comme, paradoxalement, la misère qui leur permet d’exister et de se développer. Chaque année, des millions de repas sont distribués par des bénévoles dévoués à des centaines de milliers de pauvres sans parler des milliers de bébés aidés par des «Restos et points Bébés du cœur» (1). Ces chiffres sont en augmentation constante. Il s’agit d’une véritable institution aimée par les grands médias et aidée par l’Etat. Mais c’est aussi et surtout le miroir d’une société qui célèbre, presque dans la joie, année après année la détresse et la souffrance humaine.
Des hommes et des femmes attendent sagement alignés derrière une ligne imaginaire, souvent dans le froid et sous la pluie, de recevoir leurs colis alimentaires dans l’indifférence quasi générale. Des femmes seules avec ou sans enfants, retraités avec pension de misère, jeunes précaires, étudiants, travailleurs pauvres, personnes en fin de droit, bénéficiaires des minima sociaux, agriculteurs, SDF, etc. etc. L’afflux massif de retraités aux Restos montre à quel point les pensions sont insuffisantes pour vivre et mourir dignement.
Des hommes et des femmes pauvres dans un pays riche ! Des hommes et des femmes broyés par la machine infernale de l’économie de marché ! Une économie qui produit sans trêve richesse pour les uns et misère pour les autres. Cette misère plonge donc ses racines dans cette recherche sans limites du profit.
De la gestion des situations provisoires, les Restos se sont transformés, sous la pression des politiques ultra-libérales, en une véritable institution condamnée à durer et à se développer. Leur sort est intimement lié au capitalisme. La crise de celui-ci va leur envoyer des bataillons entiers de laissés-pour-compte : «la situation des personnes que l'on accueille s'est aggravée : 60% d'entre elles sont en-deça de la moitié du seuil de pauvreté (qui s'établit à 1102 euros par mois, donc 551 euros)... En trente-sept années d'existence, les Restos du cœur n'avaient jamais connu une telle situation» disait Patrice Douret président de l’association (2). Les Restos du cœur, comme d’ailleurs toutes les associations caritatives, ont un « bel » avenir devant eux !
Ces aspects de la charité sont souvent ignorés par les grands médias notamment la télévision. Les images qu’elle diffuse tendent à occulter les véritables causes de la misère. Par contre, les concerts, spectacles et autres show organisés en faveur des Restos, eux, sont bien montrés. Artistes, sportifs de haut niveau, hommes et femmes politiques…bref, tout ce beau monde est ainsi mobilisé et projeté régulièrement sur la scène médiatique. Cette médiatisation à outrance de la charité permet de mieux exploiter la générosité des bénévoles et des citoyens et d’éviter du même coup tout travail de réflexion sur les racines politiques et économiques de la misère. Cela permet également à l’Etat de se décharger sur les associations caritatives et de remplacer les prestations fondées sur le droit par la charité et la morale avec tous ses préjugés et toutes ses culpabilisations. L’Etat, par le biais de la loi Coluche, offre aux généreux donateurs une réduction d’impôt égale à 75 % du montant du don. Un manque à gagner qui aurait pu contribuer par exemple à la construction des logements sociaux dont les familles et leurs enfants qui errent dans les rues par milliers ont tant besoin. Or «Depuis 1984, l’effort public pour le logement n’a jamais été aussi faible : les aides au logement sont en effet passées de 1,82 % du PIB en 2017 à 1,63 % en 2020» écrit la Fondation Abbé Pierre dans son rapport annuel (3).
Les riches, eux, peuvent se donner bonne conscience à peu de frais en jetant quelques miettes aux plus démunis qui doivent de surcroît «se courber» pour les ramasser. Cette forme de violence sociale, soigneusement masquée par l’idéologie dominante, reste invisible.
L’Histoire nous enseigne que les avancées sociales, petites et grandes, n’ont jamais été données par générosité ou par charité, mais toujours arrachées de haute lutte.
Mohamed Belaali
------------------------------------