Une année déjà ! Une année chargée de luttes, de sacrifices et surtout d'espoir. Espoir de voir enfin le Maroc débarrassé du joug du Makhzen, de la torture, de la corruption, de l'ignorance et de la misère.
Une année de marches dans la dignité! Hommes, femmes et enfants marchent des heures durant à travers tout le Maroc, soudés et unis par cette foi inébranlable dans une société meilleure. Par ce mouvement, les masses opprimées s'opposent obstinément à un système archaïque, sclérosé et figé qui les opprime. Ni la nouvelle constitution octroyée par le Palais, ni les élections législatives organisées par le Ministère de l'intérieur, ni le départ des islamistes d'Al Adl Wal Ihsane ( Justice et bienfaisance) des rangs du Mouvement du 20 février n'ont pu arrêter ces marcheurs de la dignité. Répartition équitable des richesses, démocratie, dignité etc. exigent les contestataires.«Vive le peuple, à bas le Makhzen», «à bas la dictature»scandent à l'unisson et sans relâche les manifestants. Ce cri collectif jaillit des décennies d'esclavage social, d'humiliations et de frustrations.
L'antagonisme du Mouvement du 20 février et du Makhzen reflète, en dernière analyse, l'opposition entre les oppresseurs et les opprimés. Le grand mérite du Mouvement réside dans son existence même. Il a ravivé une lutte de classes que le pouvoir croyait révolue. Jamais l'histoire récente du Maroc n'a connu une période aussi riche et aussi chargée de luttes populaires intenses même si le combat contre le Makhzen ne date pas du 20 février 2011. Le Mouvement a libéré la vitalité et la créativité des masses opprimées qui ont fait preuve d'une grande maturité politique et organisationnelle. Dans la lutte, elles ont aussi appris à relever la tête et à se dresser contre leur ennemi de classe. Les contestataires n'ont désormais plus peur d'exposer à la face du régime leurs revendications et leurs buts. Ils sont prêts à soutenir une lutte de longue halène. Ces «damnés de la terre» savent que le pouvoir ne lâchera rien sans combat et sans sacrifices. Ils sont en quelque sorte condamnés à marcher, à se battre, à offrir des martyrs, des blessés et des prisonniers. Ce sont les masses qui font l'histoire !
En parallèle des marches pacifiques hebdomadaires, éclatent ici où là des révoltes populaires spontanées : Taza, Salé, Al hoceima, Khouribga, Beni Mellal, etc. Les villes marocaines, phénomène nouveau, deviennent de plus en plus solidaires les unes des autres car elles subissent les mêmes problèmes de chômage, de la hausse continue du coût de la vie, de la dégradation des services publics et, d'une manière générale, de la marginalisation des classes populaires.
Des hommes et des femmes, poussés par des injustices et des humiliations insupportables, vont jusqu'à mettre le feu à leur propre corps se transformant ainsi en torches humaines. Le souvenir de Mohamed Bouazizi est toujours vivant dans la mémoire collective et individuelle. Ainsi se poursuit un combat permanent, multiformes et parfois tragique contre le despotisme et la misère malgré la répression, les intimidations et les manœuvres en tout genre du pouvoir et de ses alliés de classes.
Face au Mouvement, se dressent, en plus du Makhzen et son appareil répressif et médiatique, toute une kyrielle de partis politiques anciens et nouveaux, tous domestiqués par le Palais depuis longtemps : le Parti de l'Istiqlal (conservateur), l'Union Socialiste des Forces Populaires (social-démocrate), le Parti de la Justice et du Développement (islamiste) installé aujourd'hui au gouvernement par le Palais, le Parti du Progrès et du Socialisme (ancien parti communiste) et un ensemble de partis créé de toutes pièces par le Makhzen au gré des élections qu'il fabrique régulièrement depuis l'indépendance politique du Maroc en 1956. Contrairement à la Tunisie de Ben Ali ou à l'Égypte de Moubarak qui ont éliminé ou poussé à la clandestinité les organisations politiques (en dehors des Frères Musulmans en Égypte), le régime marocain, lui, multiplie le nombre de partis qui servent ses intérêts, consolidant ainsi son hégémonie et sa domination de classe.
Le Mouvement est également combattu par l'impérialisme et les monarchies pétrolières du Golfe(1). Le soutien de ces forces ennemies du progrès et de la démocratie au Makhzen est total. En France par exemple, le Maroc est présenté comme un modèle à suivre. Les aspirations du peuple marocain à la démocratie et à la modernité ne pèsent pas lourd face aux intérêts économiques de la bourgeoisie française au Maroc (2). Les médias bourgeois occidentaux, quasiment tous entre les mains d'industriels et de financiers, et Al Jazeera propriété du «grand démocrate», l'émir du Qatar, se taisent lamentablement sur les manifestations pacifiques qui se déroulent depuis plus d'un an non seulement au Maroc, mais aussi à Bahreïn, au Yémen, en Jordanie, en Arabie Saoudite etc. Le silence de ces médias sur ces luttes n'a d'égal que l'hystérique propagande contre la Syrie et l'Iran.
Le citoyen européen, américain, canadien etc. n'a droit qu'à la propagande grossière qui le rabaisse et le prive des liens de solidarité et de fraternité avec les peuples réellement en lutte contre l'absolutisme. Il risque de se trouver ainsi dans une position qui peut l'amener à soutenir les manœuvres impérialistes de son propre gouvernement.
Le Mouvement du 20 février doit montrer aux masses populaires que la lutte contre le Makhzen ne suffit pas si elle n'est pas accompagnée par un combat anti-impérialiste. L'impérialisme est partout l'ennemi des peuples et du progrès. Il tente d'écraser les soulèvements authentiques des peuples du monde arabe contre des régimes d'un autre âge, soit pour maintenir au pouvoir ces régimes, qui servent ses intérêts, soit pour renverser des gouvernements qui ne lui sont pas totalement soumis. Ainsi il a écrasé dans le sang la révolte du peuple de Bahreïn par l'intermédiaire d'une «grande démocratie», l'Arabie Saoudite(3). Il a détruit tout un pays, la Libye pour y installer un nouveau régime lui permettant de pomper allègrement le pétrole du peuple libyen. La Libye aujourd'hui ressemble à un vaste centre de torture que même les ONG comme Médecins sans Frontière (MSF) rechignent à devenir «l'auxiliaire des tortionnaires». «L'intervention militaire avait été conduite en 2011 au nom de la «protection des civils», mais voilà que l'image du «combat pour la liberté» mené en particulier par la France et le Royaume Uni, apparaît terni par les exactions que commettent des anciens rebelles» écrivait dans son édition du 19/20 février 2012 Le Monde, journal bourgeois par excellence et ardent défenseur de l'intervention de l'OTAN en Libye. L'impérialisme tente aujourd'hui d'envahir la Syrie, comme hier il a envahi l'Irak, pour asservir son peuple et pour mieux peut-être affaiblir demain l'Iran (4).
Le Mouvement du 20 février doit également accorder une large place dans ses revendications à l'émancipation de la femme marocaine notamment dans le domaine économique et scolaire. Dans le Maroc d'aujourd'hui, l'accès des femmes au marché du travail reste faible (28 femmes contre 84 hommes) et plus de la moitié d'entre elles ne sait ni lire ni écrire. Leur revenu est quatre fois inférieur à celui des hommes (5). Mais sans la participation massive des travailleurs, des précaires, des chômeurs et des paysans pauvres, il sera difficile pour le Mouvement d'élever le niveau et l'intensité de la lutte des classes et, partant, d'élargir le champs de ses revendications.
Malgré ses faiblesses, le Mouvement du 20 février reste un événement majeur dans l'histoire des luttes de classes au Maroc. Il a pu courageusement tenir tête à tous ses ennemis, à commencer par le puissant Makhzen. Les masses populaires opprimées n'espèrent pas des miracles du Mouvement. D'autres étapes et d'autres combats l'attendent. Elles savent que la lutte sera dure et la marche vers cette forme de vie supérieure sera longue. Mais elles savent également que le processus de changement et de transformation sociale est enclenché.
Par ses manifestations hebdomadaires pacifiques, le Mouvement du 20 février a redonné considération, dignité et espoir à toutes celles et ceux qui, hier encore, étaient sans espoir.
Mohamed Belaali
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(1) http://www.lopinion.ma/def.asp?codelangue=23&id_info=19291
(5) Voir le rapport du Forum économique mondial : https://members.weforum.org/pdf/gendergap2010/Morocco.pdf