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28 juin 2017 3 28 /06 /juin /2017 15:22

Liberté, dignité, justice sociale

 

«Liberté, dignité, justice sociale», ce slogan scandé d'une manière rythmée depuis huit mois consécutifs résume à lui seul l'essentiel des revendications des révoltés du Rif. C'était le même cri répété à l'unisson et sans relâche dans tout le Maroc en 2011 par «les marcheurs de la dignité». Depuis rien n'a changé. D'un côté le Makhzen, son pouvoir absolu, son archaïsme, ses partis politiques, sa corruption, son appareil répressif, ses médias etc., de l'autre, le peuple ravagé par la misère, l'humiliation et par des décennies d'esclavage social. Leur antagonisme est total. C'est une lutte permanente entre le passé et l'avenir. Les opprimés rêvent et se battent pour un Maroc débarrassé de l'ignorance, de l'injustice, de la torture et d'une juste répartition des richesses. Les oppresseurs veulent, vaille que vaille, garder le pouvoir et perpétuer leurs privilèges. Le Hirak (Mouvement) du Rif concentre et reflète comme un miroir le combat de tous les opprimés du Maroc pour une autre société.

 

Le régime pensait que l'étincelle allumée au Maroc par le Mouvement du 20 février, né des soulèvements populaires dans le monde arabe, était définitivement éteinte. Mais la mort tragique de Mohcine Fikri, ce jeune vendeur de poisson broyé par une benne à ordure le 28 octobre 2016, a rallumé à nouveau la flamme de la contestation. L'étincelle du Rif risque maintenant d'embraser tout le Maroc; c'est la hantise du Makhzen. Le pouvoir mobilise alors la religion, ses médias, ses intellectuels, ses artistes et surtout son appareil répressif pour étouffer le Hirak populaire comme à chaque fois que le peuple exprime pacifiquement des revendications économiques et sociales légitimes. Toute la région du Rif est quadrillée par les forces de l'ordre. La police du régime procède en ce moment à l'arrestation non seulement des leaders du Mouvement, mais aussi des hommes et des femmes anonymes du simple fait qu'ils ont participé aux manifestations pacifiques. Ils sont accusés de lourdes charges par les tribunaux du Makhzen comme par exemple «atteinte à la sécurité intérieure». Les avocats et les familles dénoncent les mauvais traitements, les humiliations et la torture exercés sur les détenus (1). Le jour de l'Aïd, fête qui marque la fin du Ramadan, les habitants du Rif comptaient manifester massivement à Al-Hoceima en solidarité avec les détenus politiques du Hirak. Mais le Makhzen avait pris ses précautions en coupant toutes les voies qui mènent à cette ville (2). La population n'avait alors d'autres choix que de converger à pied vers Al-Hoceima ! Ce jour de fête baptisé «journée du deuil» est marqué par de nouvelles arrestations et de nombreux blessés y compris des enfants (3).

 

Mais malgré cette brutale répression, le Mouvement populaire se poursuit. Le conflit du Rif s'inscrit désormais dans la durée. La population est obligée de s'adapter et d'inventer des moyens d'actions pacifiques lui permettant de résister et de faire face à la violence du régime. Car la fracture entre le Makhzen et les masses du Rif est profonde. La situation matérielle de la population est dramatique.

La région du Rif était totalement marginalisée hier par le colonisateur espagnol et abandonnée aujourd'hui par le nouveau pouvoir. Les infrastructures économiques et sociales sont quasi absentes de cette région coincée entre la Méditerranée et des montagnes sauvages. Les investissements publics de santé, de l’éducation, de transport et de logement sont dérisoires. Le visiteur étranger sera frappé par l'état de pauvreté dans lequel vivent aujourd'hui les habitants du Rif avec toutes les conséquences qui en découlent : exode rural, émigration légale et illégale, contrebande avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, trafic de cannabis etc. Le Maroc selon les Nations Unies est le premier producteur et le premier exportateur de haschich dans le monde (4). Le cannabis nécessaire à la production de haschich est cultivé justement dans le Rif. L'état de sous développement dans lequel se trouve cette région n'est pas étranger évidemment au développement de la culture de cannabis. L'absence de toute réforme agraire n' a fait que favoriser un peu plus l'extension de cette culture. La production du cannabis et du haschich est tolérée voire encouragée par le Makhzen qui lui permet non seulement de compenser son absence de volonté de développer cette région rebelle, mais aussi de modérer le sentiment d'exclusion des Rifains et d'éviter ainsi leurs révoltes récurrentes. Mais cette économie parallèle ne profite nullement aux petits paysans du Rif qui ne possèdent que de petites parcelles et des moyens plus que rudimentaires. Le fellah Rifain, même s' il reste dépendant de cette culture faute d'autres alternatives, vit dans une situation de grande pauvreté. Les bénéfices énormes tirés du haschich profitent surtout aux réseaux mafieux et aux lobbies marocains et européens.

 

Mais on ne peut comprendre ce qui se passe aujourd'hui dans cette région du Maroc sans faire appel au passé. Le Rif a toujours entretenu des relations tumultueuses et conflictuelles avec tous les pouvoirs qui ont dominé ou qui dominent encore le Maroc. Les souffrances des Rifains aujourd'hui sont intimement liées à leur glorieuse et sanglante histoire. Ce n'est pas un hasard si le seul portrait brandi systématiquement par les manifestants est celui d'Abdelkrim, cet homme qui a pu tenir tête dans une véritable guerre de libération à l’Espagne et à la France dans les années vingt. Comme disait Marx «la tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants. (…) La résurrection des morts servit par conséquent à magnifier les nouvelles luttes, non à parodier les anciennes …» (5). Mais cette farouche volonté de se libérer du joug colonial français et espagnol, le Rif le paiera très cher. La guerre du Rif (1921/1926) a fait des milliers de morts parmi les civils, fait disparaître définitivement des villages entiers et permis à L'Espagne et à la France d'utiliser des armes chimiques interdites par les conventions internationales comme le gaz moutarde (l’ypérite) qui ont des effets cancérigènes et mutagènes dont «les héritiers des victimes d’hier continuent de souffrir encore aujourd’hui.Cela a été démontré et prouvé par de nombreux experts internationaux généticiens» (6). Les envahisseurs étrangers l’ont emporté sur la résistance. La force brutale des armes a écrasé les idées de libération, de modernité et de prospérité que portaient Abdelkrim et ses compagnons. Mais le combat d'Abdelkrim est toujours actuel, «Le sang de Moulay Mohand (Abdelkrim) coule encore dans nos veines» disait un jeune manifestant (7) à Emzouren.

A l'aube de l'indépendance du Maroc, le Rif s'est à nouveau soulevé contre la politique de marginalisation économique et politique du nouveau pouvoir. L'affrontement entre la nouvelle armée marocaine et les révoltés du Rif s'est soldé par la mort de 8000 Rifains (8).

En janvier1984 des révoltes populaires spontanées contre l’augmentation des prix des produits de base (farine, pain, sucre, huile gaz etc.) éclatent dans tout le Maroc. La ville de Nador dans le Rif a payé un lourd tribut à ces plans d'ajustement structurel. Le nombre de morts et de blessés reste aujourd'hui encore difficile à établir (9). Précisons que les politiques économiques, appliquées avec zèle par le pouvoir, sont souvent décidées par les instances internationales comme la Banque mondiale et le FMI à Washington loin des besoins et des préoccupations du peuple marocain. Ces politiques s’inscrivent dans une stratégie libérale globale : privatisation, vérité des prix, protection du capital privé local et étranger et extraversion poussée de l’économie marocaine basée sur des produits à faible valeur ajoutée. Rappelons que dans les années soixante, la Banque mondiale a refusé de financer le projet d'un complexe sidérurgique à Nador qui aurait pu contribuer à doter le Maroc d'une industrie lourde de base. La Banque s'est contentée de réaliser des projets de l'industrie légère de transformation liée à l'exportation.

A chaque fois que la population du Rif conteste la politique du pouvoir, le Makhzen répond par la violence et la marginalisation de la région, préparant ainsi les conditions d'un nouveau cycle de contestation et de répression.

 

La force et la grandeur du Mouvement du Rif, c'est qu'il est réellement populaire. Une immense majorité de la population, hommes et femmes unis et déterminés, manifeste quasiment sans interruption depuis la mort tragique de Mohcine Fikri en octobre 2016.

La participation des femmes à ce Mouvement (Hirak), malgré les pesanteurs sociales et religieuses qui caractérisent cette région conservatrice, reste remarquable. Car les conditions économiques et sociales de la femme dans le Rif en particulier et de la femme marocaine en général est sans commune mesure avec celles des hommes. Non seulement elles sont plus touchées que les hommes par l'analphabétisme et le chômage, mais en plus elles subissent toute sorte de domination masculine (10). Dans la région sous développée du Rif, où les opportunités de trouver un emploi sont rares, beaucoup de femmes pratiquent la contrebande pour survivre et se transforment en «femmes-mulets» transportant sur leur dos de lourds fardeaux de marchandises. Ce sont de véritables esclaves modernes (11). Les paysannes du Rif à l'instar de la majorité des femmes rurales au Maroc doivent s'occuper de tout ou presque. Car «dans le monde rural il n'y a pas de frontière entre le travail au champs, élevage, taches domestiques, recherche de l'eau et combustible, artisanat, cuisson, transformation, entretien de la construction, décoration etc. Les femmes rurales font tout et sont rarement oisives. Elles se lèvent à l'aube et se couchent les dernières» (12).

Les femmes qui manifestent à côté des hommes sont aussi des mères, des épouses et des sœurs des militants arrêtés récemment par la police du régime et dont elles réclament la libération : «C’est vrai que nous sommes dans une société conservatrice, mais l’arrestation de nos frères, nos maris, nos neveux, ne nous a plus laissé le choix. Nous devions aussi sortir pour réclamer leur libération» disait Nawale Benaissa (13).

Mais les femmes Rifaines ne se contentent pas seulement de participer au Mouvement de contestation, elles font partie intégrante de ses dirigeants ou tout du moins ont une influence certaine sur lui, comme la mère du leader du Hirak populaire Nasser Zefzafi, l'artiste Silya Ziani (qui vient d'être arrêtée), ainsi que Nawale Benaissa (14) pour ne citer que les plus connues. Le Mouvement qui porte haut et fort les revendications économiques et sociales pour toute la population du Rif leur redonne leur dignité et l'espoir de voir leur situation dramatique s'améliorer.

 

La faiblesse du Mouvement, c'est sa spontanéité comme d'ailleurs le Mouvement du 20 février. La plupart de ses dirigeants ne font partie d'aucune organisation politique. «Le Hirak est un mouvement spontané, indépendant de toute mainmise politique. Il n’a d’autres ambitions que de porter les revendications légitimes de la population du Rif» déclarait Nasser Zefzafi à Jeune Afrique (15). Aucun parti politique, aucune organisation ne sont derrière ce mouvement. La tragique mort de Mohcine Fikri a choqué toute la société marocaine, mais plus encore les populations du Rif. C'était le début du Mouvement qui se poursuit encore aujourd'hui. C'est une réaction spontanée et émotionnelle fruit de longues années d’humiliations, de souffrances accumulées et refoulées. Pour le moment, le Hirak met en avant essentiellement des revendications économiques, sociales et dans une moindre mesure politiques. Il revendique des infrastructures dans le domaine de l’Éducation, de la Santé, du Transport etc. dont le Rif manque cruellement. Il exige également la démilitarisation de la région et la libération de tous les détenus politiques. Si ces revendications sont justes et légitimes et qu' il faut se battre pour les réaliser, la population du Rif ne doit pas oublier qu'elle lutte contre les effets et non contre les causes de ces effets. Elle doit lutter avec tous les opprimés et les autres couches de la population non seulement du Rif mais de tout le Maroc contre le Makhzen source de ses malheurs. A ce stade de l'évolution du rapport de force, l'unité de tous ceux qui aspirent à un Maroc moderne et démocratique est vitale. Car le Mouvement du Rif, quelles que soient sa force et sa détermination, ne peut à lui seul l'emporter sur le Makhzen.

Mais plus la lutte s'aiguise, plus la population prend conscience que le Makhzen est incapable de répondre à ses revendications. Elle comprendra alors que la lutte contre le pouvoir est un combat éminemment politique.

 

Quelle que soit l'issue du conflit, la population du Rif qui manifeste quasi-quotidiennement depuis le 28 octobre 2016 a déjà gagné non seulement sur le plan moral en se battant courageusement contre la situation injuste qui lui est faite, mais surtout elle a pris conscience que ses intérêts et ceux du Makhzen sont en totale contradiction. Le Hirak populaire du Rif, quelles que soient ses faiblesses, restera un événement majeur dans l'histoire des luttes du peuple marocain.

 

 

Mohamed Belaali

 

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(1)http://www.lesiteinfo.com/maroc/affaire-zefzafi-un-avocat-denonce

(2)https://ledesk.ma/2017/06/26/al-hoceima-et-sa-region-en-etat-de-siege/

(3)http://www.rifonline.net/Tension-dans-le-Rif-Le-bilan-des-affrontements-de-l-Aid-Pres-de-40-enfants-hospitalises-a-Al-Hoceima_a1756.html

(4)http://www.unodc.org/pdf/publications/morocco_cannabis_survey_2003_fr.pdf

Voir également https://espacepolitique.revues.org/59

(5)K Marx, «Le dix huit brumaire de Louis Bonaparte. Editions sociales, pages 69 et 71.

(6)http://amazigh24.ma/mimoun-charqi-les-armes-chimiques-utilisees-sur-le-rif-ont-des-effets-cancerigenes-et-mutagenes/

(7)http://www.jeuneafrique.com/446764/societe/maroc-imzouren-lautre-revoltee-rif/

(8)http://books.openedition.org/cjb/1092?lang=fr

(9)http://www.rifonline.net/Le-Rif-32-ans-apres-le-soulevement-populaire-de-1984_a275.html

(10)http://www.recherches-internationales.fr/RI77/RI77-hayat-zerari.pdf

(11)https://www.medias24.com/MAROC/IDEES/Tribunes/170399-L-exploitation-inhumaine-des-femmes-mulets-amazighes-marocaines.html

Voir aussi :https://www.bladi.net/melilla-porteurs-contrebande,43372.html

(12)http://www.beep.ird.fr/collect/bre/index/assoc/HASH017c/f03be2b3.dir/21-375-383.pdf

(13)http://www.liberation.fr/planete/2017/06/07/maroc-les-revoltes-du-rif-sont-des-gens-normaux-qui-veulent-vivre-bien_1574871

(14)http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/06/02/nawal-ben-aissa-figure-montante-de-la-contestation-dans-le-rif-marocain_5137774_3212.html

(15)Jeune Afrique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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