La pandémie a non seulement mis en lumière, plus encore qu'en temps ordinaire, les inégalités et les injustices sociales existantes, mais surtout elle les a amplifiées et exacerbées. Mais si le virus est planétaire et touche toutes les classes sociales, il frappe d'abord et surtout les plus démunis. Les prolétaires du monde entier sont les premières victimes du Covid-19. En effet, de par leurs conditions d'existence, ils développent plus que les autres des formes graves du virus. Si l'âge, le genre etc., ont leur importance, le critère de classe reste déterminant. Le virus ne frappe pas indistinctement «les premiers de cordée» et «les premiers de corvée». Les classes sociales ne sont pas égales face à cette terrible maladie. En plus de la pandémie, les travailleurs subissent plus que toute autre catégorie sociale les affres de la crise économique et de l'exploitation. Ainsi, aux inégalités sanitaires s'ajoutent les inégalités économiques. Les prolétaires subissent ainsi la double peine : entre un virus mortel et la misère, leur dilemme reste insoluble. Pour qu'une classe puisse vivre, il faut qu'une autre se sacrifie. Si les deux crises alimentent un sentiment d'injustice et de révolte, nul ne peut prédire aujourd'hui si les damnés de la terre vont pouvoir relever la tête et mener un combat politique, ou au contraire seront broyés par des gouvernements qui utilisent déjà la crise sanitaire comme une opportunité pour empêcher toute contestation et toute résistance à leur gestion criminelle de la pandémie et à leur politique de régression et de misère sociale.
Les travailleurs de tous les secteurs de l'activité économique sont les premières victimes du Covid-19. De par leur position dans le processus de production, ils sont plus exposés que les autres classes sociales. Ce sont eux qui produisent les richesses, dans des conditions difficiles, pour des salaires de misère. Ils cumulent de ce fait tous les facteurs susceptibles de les rendre plus vulnérables face au virus : précarité, santé, logement, densité, insalubrité...
Le cas du département de la Seine-Saint-Denis est un exemple éloquent à cet égard : «les quartiers et populations les moins favorisés semblent plus sévèrement touchés par la crise sanitaire liée au Covid-19. De nombreux éléments le montrent en Seine-Saint-Denis» (1). Les emplois occupés par les prolétaires du département sont souvent mal payés et surexposés au virus, et le télétravail est tout simplement impossible : aide-soignantes, caissières, agents de sécurité ou dans l'agroalimentaire, la propreté etc. (2). Précisons que la Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de toute la France selon L'INSEE (3) malgré la présence sur son territoire «de nombreuses grandes entreprises, telles que PSA Peugeot-Citroën à Aulnay-sous-Bois, Aventis, Alstom, L'Oréal, Kodak, Aéroports de Paris ou Saint-Gobain» (4).
Mais la pandémie et ses conséquences comme le confinement frappent également la santé mentale des plus démunis : « "Je suis le Covid" : depuis le confinement, des psychiatres de Seine-Saint-Denis voient arriver à l’hôpital des jeunes sans antécédents atteints de "bouffées délirantes" aiguës» (5).
En Angleterre, le coronavirus tue deux fois plus dans les quartiers prolétaires que dans les autres zones : «Les personnes vivant dans des zones plus défavorisées ont connu des taux de mortalité COVID-19 plus du double de celles vivant dans des zones moins défavorisées» (6).
Aux États-Unis, la pandémie frappe particulièrement les populations les plus pauvres : «Le coronavirus infecte et tue les Noirs américains à un rythme alarmant» souligne le Washington Post (7). Selon ce journal, les Noirs représentent jusqu'à 40 % du total des décès par le virus dans l'Etat du Michigan alors qu'ils ne représentent que 14 % de la population. Cette communauté dans sa grande majorité occupe des emplois précaires, vit dans des quartiers pauvres, dépourvue de toute assurance maladie, de toute indemnité chômage et bien sûr souffre des stigmates de ségrégation accumulés depuis des siècles. Le Covid fait ravage également dans les quartiers défavorisés de New York alors que les quartiers huppés sont relativement épargnés. «Sur les vingt quartiers qui enregistrent le moins de contaminations, dix-neuf sont en effet situés dans des zones de Manhattan où le salaire moyen est très élevé» (8). Par contre, les zones pauvres de la ville comme le quartier Corona (ironie du sort) dans le Queens, restent les plus touchées de New York : «Plus de 77% des 1227 résidents de Corona testés ont reçu la confirmation qu'ils avaient le virus mortel, selon les données du New York City Health Department» (9).
Au Maroc, les ouvriers et notamment les ouvrières ont payé un lourd tribut au Covid-19 nous rapporte la presse : «En quelques jours, des dizaines de cas ont ainsi été enregistrés dans des usines et des grandes surfaces à Casablanca, Tanger, Fès et Larache» (10). Il faut dire que le régime marocain, en totale complicité avec le patronat, n'a pas jugé utile de fermer les usines non essentielles exposant ainsi la vie des travailleurs au danger de la mort. Ici comme dans tous les pays capitalistes, le profit passe avant la santé des citoyens.
Mais les prolétaires sont doublement pénalisés : ils risquent de perde non seulement leur vie, mais aussi leurs moyens de survie. Ainsi selon l'Organisation internationale du travail (OIT), «Plus de la moitié des 3,3 milliards de travailleurs dans le monde risquent de perdre leurs moyens de subsistance au cours de ce deuxième trimestre en raison de la pandémie» (11).
Quel sens peut avoir le confinement pour ces prolétaires lorsque leur survie dépend uniquement des emplois mal payés, précaires ou souvent informels et sans protection sociale aucune dans les pays pauvres. Le confinement signifie concrètement pour des millions de travailleurs à travers la planète, chômage, perte totale de revenus avec toutes les conséquences dramatiques que cela implique. Et comme le dit Guy Ryder Directeur général de l’OIT «Pour des millions de travailleurs, l’absence de revenus signifie plus rien à manger, et l’absence totale de sécurité et d’avenir» (12).
Dans certains pays comme l'Inde, pourtant puissance économique, la presse nous rapporte déjà des situations de famine liées au confinement. « Au Bihar, un enfant de 8 ans est mort de faim six jours seulement après le début du confinement. D’autres cas sont malheureusement attendus étant donné la situation nutritionnelle de l’Inde, caractérisée par une malnutrition chronique» (13).
En Afrique où le secteur informel occupe 85 % des emplois et le télétravail ne concerne qu'une minorité de salariés, le confinement est tout simplement impossible à respecter. Les prolétaires africains n'hésitent pas à braver le «confinement pour pouvoir survivre» (14).
Même dans des pays riches comme l'Italie «les gens ont faim, ils disent qu’ils n’ont pas le choix et que pour donner à manger à leurs enfants, ils doivent voler. Car avec le confinement ils ne trouvent plus de travail et leurs poches sont vides, attention car la situation risque de dégénérer et très rapidement» constate Filomena Scaglione (15).
A Genève, l'une des villes les plus riches du monde, on organise des distributions de vivres à ces travailleurs de l'ombre, des laissés-pour-compte de la société capitaliste qui attendent sagement alignés derrière une ligne imaginaire des heures durant pour recevoir un colis alimentaire (16).
Aux États-Unis, selon La Brookings Institution près de 20 % d' enfants de prolétaires ne mangent pas à leur faim à cause de la pandémie et d'un niveau du chômage jamais atteint depuis la crise de 1929 (17).
Ainsi dans tous les pays capitalistes, riches ou pauvres avec des différences de degré et non d'essence, ce sont toujours les mêmes qui paient un lourd tribut à la pandémie et ses conséquences, les prolétaires. Les classes dirigeantes sont incapables de leur assurer un revenu les mettant à l'abri du virus mortel ou leur permettre de vivre même dans la servitude. Le coronavirus a eu au moins le mérite d'exposer en pleine lumière la misère et les souffrances plus ou moins masquées en temps ordinaire par le discours politique et médiatique. Au XXIe siècle le prolétaire est toujours pauvre et le deviendra encore davantage tant que le profit reste la seule et l'unique loi qui dirige le monde.
Pourtant Ici ou là, des luttes éclatent en émeutes. Des hommes et des femmes refusent l'humiliation et la violence de la charité, prennent d'assaut les supermarchés, manifestent ou se mettent en grève.
«Nous n’avons pas d’argent, nous devons manger» crient des consommateurs qui ne peuvent plus payer leurs caddies remplis de denrées alimentaires dans un supermarché de Palerme (18).
A Mexico «73 personnes ont été arrêtées pour pillage et vol dans des centres commerciaux […] en pleine éventualité du nouveau coronavirus» (19).
En Afrique du Sud comme au Nigeria, les dirigeants ont été contraints de déconfiner pour éviter que les révoltes populaires ne prennent de l'ampleur (20).
Au Bangladesh, les ouvriers et les ouvrières de textile sont descendus dans la rue pour réclamer le paiement de leurs salaires et contre les conséquences du confinement : «Si nous n'avons pas de nourriture dans notre estomac, à quoi bon suivre le confinement ? Nous sommes plus inquiets de la faim ou du paiement de notre loyer que du virus» (21).
Aux États-Unis, selon le site Payday Report les grèves liées à la pandémie se multiplient un peu partout et embrassent tous les secteurs de l'activité économique (22).
Ainsi aux quatre coins de la planète, les damnés de la terre commencent à relever la tête (23).
Ils sont poussés à la révolte par cette contradiction que leur impose le capitalisme entre leur statut de citoyens et leur existence réelle misérable. C'est un cri d'hommes et de femmes conscients de leur situation inhumaine qui tentent d'y mettre fin. Mais il ne s'agit pour l'instant que des émeutes spontanées, dispersées et sans grande envergure. C'est plus un mouvement de colère, de désespoir qu'une lutte consciente et organisée. Mais si la crise économique, plus encore que la crise sanitaire, prenait de l'ampleur, les conditions de ces prolétaires deviendraient de plus en plus insupportables et les conflits avec leurs maîtres inévitables. Les damnés de la terre, de chaque pays, sentiraient peut-être la nécessité d'une résistance collective organisée pour mener une lutte déterminée non seulement économique mais aussi et surtout politique. C'est la seule manière efficace de se débarrasser de leurs maîtres et de leurs conditions d'existence inhumaine.
Mohamed Belaali
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(3)https://www.insee.fr/fr/statistiques/3291402
(4)https://www.senat.fr/rap/r06-049-1/r06-049-166.html
Pour les autres quartiers populaires en France voir entre autres : https://www.20minutes.fr/sante/2772875-20200504-coronavirus-marseille-face-clusters-familiaux-quartiers-nord-medecins-somment-autorites-agir
(7)https://www.washingtonpost.com/nation/2020/04/07/coronavirus-is-infecting-killing-black-americans-an-alarmingly-high-rate-post-analysis-shows/?arc404=true
(9)https://patch.com/new-york/new-york-city/corona-nycs-epicenter-coronavirus-outbreak
(12)https://news.un.org/fr/story/2020/04/1067732
(13)https://laviedesidees.fr/L-Inde-face-a-la-crise-du-Covid-19.html
Pour l'Amérique latine, voir : https://www.sciencespo.fr/opalc/sites/sciencespo.fr.opalc/files/Populations%20vuln%c3%a9rables%20en%20AL%20face%20au%20Covid%20-%20Roman%20Perdomo%20-%2008-04-2020%20222_0.pdf
(19)https://lepoing.net/emeute/pillages-a-mexico/
(20)https://www.20minutes.fr/monde/2763251-20200418-coronavirus-afrique-sud-habitants-bidonvilles-affames-confinement
Voir aussi :
http://www.adiac-congo.com/content/coronavirus-un-deconfinement-contre-les-emeutes-de-la-faim-au-nigeria-et-en-afrique-du-sud
(22)https://paydayreport.com/covid-19-strike-wave-interactive-map/
(23)https://lepoing.net/revue-de-presse-des-emeutes-2?paged=15