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9 juin 2020 2 09 /06 /juin /2020 07:09

 

Ce texte a été écrit en janvier 2012. Il reste, hélas, dramatiquement actuel. Depuis cette date, de nombreuses victimes des violences policières sont venues allonger une liste déjà trop longue. Adama Traoré, Steve Caniço, Cédric Chouviat, Sabri Chouhbi... morts comme beaucoup d'autres lors de leur interpellation ne seront, malheureusement, pas les derniers à mourir entre les mains de la police.

 

 

 

Ali Ziri 69 ans, Mohamed Boukrourou 41 ans, Abou Bakari Tandia 38 ans, Amadou Koumé 33 ans, Pascal Taïs 32 ans, Abdelkarim Aouad 30 ans, Wissam El-Yamni 30 ans, Mohammed Saoud 26 ans, Abdelilah El Jabri 25 ans, Lamine Dieng 25 ans, Malik Oussekin 22 ans, Hakim Ajimi 22 ans, Rémi Fraisse 21 ans, Zied et Bouna 17 et 15 ans … La liste des hommes morts dans les commissariats, ou lors des interpellations policières est longue, trop longue. Et il ne s'agit là que de quelques noms des victimes connues et répertoriées. D'autres morts viendront, hélas s'ajouter à cette interminable liste macabre. Car la police n'est qu'un instrument parmi tant d'autres que la bourgeoisie utilise pour asseoir sa domination de classe. L'ordre bourgeois, défendu par les forces de l'ordre, a constamment besoin pour se maintenir d'inventer des boucs émissaires. Chaque période, chaque crise produit ses propres victimes. Aujourd'hui en France, les enfants et les petits-enfants des travailleurs immigrés parqués dans des ghettos entourant les grandes métropoles industrielles sont l'une des cibles privilégiées de la classe dirigeante, ce qui lui permet de mieux masquer son désastre économique, social et politique.

 

La brutalité exercée sur cette partie de la population fragilisée par le chômage de masse (1) n'est pas seulement le fait de la police. La propagande médiatique présente souvent les jeunes des quartiers populaires comme des «voleurs», «dealeurs», «violeurs», «terroristes» etc. Cette stigmatisation généralisée facilite par la suite la tâche des hommes politiques en mal de voix d'une frange de la population élevée dans la haine de l'autre. Il faut nettoyer au «Kärcher» les cités de ces «sauvageons» et de cette «racaille» qui troublent la paix des «honnêtes gens». Il faut reconquérir ces «zones de non droit».

Les tribunaux, où les verdicts sont connus d'avance, prennent la relève des hommes politiques. La présomption d'innocence est rarement respectée. Les peines d’emprisonnement ferme et les comparutions immédiates où les droits de la défense sont moins garantis, restent largement supérieures à la moyenne nationale (2). La rapidité avec laquelle les jeunes des quartiers ouvriers sont jetés en prison n'a d'égale que la lenteur des procédures impliquant des policiers. En France, il est difficile pour cette partie de la population d'obtenir la condamnation d'un policier. C'est une constante inscrite non pas dans un quelconque code, loi ou constitution, mais dans les faits. «Il vaut mieux être policier que simple citoyen. Ils sont couverts» disait Boubaker Ajimi, père d'Hakim Ajimi mort, victime des violences policières(3). Amnesty International constate les faits suivants : «Insultes racistes, recours excessif à la force, coups, homicides illégaux – telles sont les allégations de violations des droits humains commises par certains policiers français». L'organisation dénonce «un système qui favorise l'impunité des policiers accusés de ces actes» (4). Il s'agit d'une véritable justice de classe. L'indépendance de la justice est une chimère que le discours dominant a du mal à masquer.

Police, justice, médias et hommes politiques sont ainsi unis, sans jamais le reconnaître, dans leur croisade contre les jeunes des cités populaires. Ce sont eux qui attisent la haine entre citoyens pour mieux les diviser en jouant sur les préjugés nationaux, raciaux et religieux. Ce sont eux qui fabriquent des coupables en utilisant la délation rémunérée. Et ce sont toujours eux qui présentent les jeunes des cités comme responsables des malheurs de la France pour mieux masquer la faillite économique, sociale et morale de la bourgeoisie qu'ils servent.

Paupérisés, marginalisés et méprisés par une bourgeoisie qui n'a plus besoin de leur force de travail, les jeunes des cités se révoltent à intervalles réguliers. Leur rage et leur colère jaillissent, comme les flammes des voitures qu'ils brûlent, des conditions matérielles d'existence inhumaines. Leur révolte n'est pas dirigée uniquement contre les brutalités policières; elle embrasse l'ensemble des symboles et institutions de l'ordre bourgeois qui les opprime au quotidien à commencer par l'école. Celle-ci n'est que le reflet d'une société de classe. Le tri, le classement, la hiérarchisation et la sélection restent, pour l'essentiel, son mode de fonctionnement. L'école broie celles et ceux qui ne possèdent pas ou qui ne maîtrisent pas les codes culturels eux-mêmes déterminés par le milieu social malgré le courage et le dévouement de ses personnels qui travaillent dans des conditions difficiles. Même les experts d'une organisation libérale comme l'OCDE le reconnaissent : « En France plus qu’ailleurs, la réussite dépend du milieu économique» (5).

La révolte des cités n'est pas seulement le fait des jeunes. Nombre d'adultes témoignent de leur solidarité à l'égard des émeutiers, sans parler des familles qui soutiennent leurs enfants, car elles subissent les mêmes problèmes et les mêmes humiliations.

Ces humiliés ont montré à plusieurs reprises qu'ils sont capables de se mettre en colère, de se révolter et de se dresser contre un ordre injuste contrairement à un lumpenproletariat qui se trouve souvent du côté de la classe dominante. Leur révolte est un acte social et politique dirigé contre un État policier qui opprime et punit les plus fragiles de la classe ouvrière même si l'on s'obstine à ne pas le reconnaître. Pour la classe dirigeante, il ne s'agit que de «voyous» et de brûleurs de voitures organisés en bandes qui troublent l'ordre public et qu'il faut impitoyablement réprimer. «le rétablissement de l'ordre public était un préalable(...) Nous faisons face à des individus déterminés, à des bandes structurées, à de la criminalité organisée, qui ne recule devant aucun moyen pour faire régner le désordre et la violence» déclarait Dominique de Villepin dans un ton aristocratique devant un hémicycle de l'Assemblée Nationale comble (6).

«La racaille» va alors payer cher son audace et son insolence à vouloir secouer cet ordre qui l'humilie et la méprise en permanence. Après les émeutes de 2005, la police a procédé à des milliers d'interpellations et les tribunaux ont distribué des années de prison ferme. Le gouvernement a même proclamé l'état d'urgence et le couvre-feu qui l'accompagne; décision rare dans l'histoire récente de la France. En fouillant dans son passé, la République bourgeoise a trouvé une loi, celle 1955, conçue pour imposer l'ordre colonial en Algérie. Cinquante ans après, elle l'exhume pour mater la révolte des enfants et des petits-enfants des travailleurs immigrés ! Aux problèmes sociaux et politiques, l'État français répond par des mesures guerrières !

Cet État qui mobilise des moyen répressifs extraordinaires pour briser les révoltes d'une population qui n'aspire qu'à vivre dignement, montre une grande faiblesse complice face, entre autres, aux hommes politiques corrompus, face aux marchés financiers qui détruisent l'économie de tout un peuple. La bonne société bourgeoise qui s'indigne tant de la violence des jeunes des quartiers ouvriers s'accommode très bien de la brutalité autrement plus profonde des vautours de la finance internationale. Cette révolte a eu au moins le mérite de montrer au grand jour la lâcheté de la bourgeoisie et les valeurs hypocrites de sa République.

 

Les forces du progrès ne doivent pas abandonner les habitants des ghettos-cités aux forces obscures et réactionnaires. Les travailleurs immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants qui sont nés sur le sol de ce pays font partie intégrante, pour la majorité d'entre eux, de la classe ouvrière. Ils subissent plus que les autres les ravages du chômage, de la précarité et les affres des humiliations en tout genre. Cette insécurité et cette violence permanentes exercées sur cette fraction fragile de la société par une bourgeoisie arrogante et brutale, montrent à l'évidence que leur révolte est légitime. Ses morts, nombreux et anonymes, ne sont pas reconnus et encore moins décorés par la République.

Leur combat doit être celui de toutes les forces qui s'opposent à cet ordre injuste. Prolétaires, précaires et chômeurs de tous les quartiers unissez-vous contre votre ennemi commun, la bourgeoisie.

 

Mohamed Belaali

 

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(1) http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_onzus_2011.pdf

(2)Voir l'intéressante étude de Fabien Jobard et Sophie Névanen «La couleur du jugement» :

http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2007-2-page-243.ht

(3)http://lmsi.net/Des-policiers-au-dessus-des-lois

(4)http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR21/003/2009/fr/37f51e9b-e064-4f1f-8656-1683851cc215/eur210032009fra.html

(5)http://www.france24.com/fr/20101207-france-education-ocde-rapport-systeme-enseignement-baisse-niveau-scolaire-chatel-zep

(6)http://www.lemonde.fr/societe/article/2005/11/08/a-l-assemblee-m-de-villepin-justifie-l-etat-d-urgence_708050_3224.html

 

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