En 1948, les palestiniens ont été arrachés à leur terre et contraints à l'exil et au déracinement. Le 15 mai de chaque année, ils commémorent cette tragédie pour rappeler à Israël et au monde entier qu'ils ne renonceront jamais à leur droit légitime au retour.
Qui peut mieux ressentir cette tragédie collective que les poètes. Mais avec le génocide en cours à Gaza, la poésie et les poètes palestiniens sont en deuil : plus de 35 000 morts et deux poètes assassinés par Israël depuis octobre 2023.
Rifaat Alareer (1979-2023) a refusé de quitter sa Gaza natale pour pouvoir écrire et informer sur la réalité des souffrances des palestiniens. Sa mort restera comme un témoignage à la fois éloquent et tragique des profondes injustices infligées au peuple palestinien. Voici un extrait de son dernier poème :
Si je dois mourir,
tu dois vivre
et raconter mon histoire
vendre mes affaires
acheter un bout de tissu
et quelques morceaux de ficelle,
(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)
pour qu’un enfant, quelque part à Gaza
en regardant droit vers le ciel
alors qu’il attend son papa emporté dans une explosion
sans faire ses adieux à personne
ni à sa chair
ni à lui-même –
pour qu’il voie le cerf-volant, mon cerf-volant, celui que tu as fait, prendre
son envol (1)
Hiba Abou Nada (1991-2023), elle aussi morte sous les bombes israéliennes le 20 octobre 2023, écrivait juste avant sa disparition :
Je t’accorde un refuge
contre le mal et la souffrance.
Avec les mots de l’écriture sacrée
je protège les oranges de la piqûre du phosphore
et les nuages du brouillard
Je vous accorde un refuge en sachant
que la poussière se dissipera,
et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble
riront un jour (2)
Parmi les poètes palestiniens, Tawfik Zayyad (1929-1994) est peut-être celui qui incarne le mieux la tragique histoire de la Palestine et de son peuple qui lutte toujours pour sa survie et pour le retour sur sa terre :
Mes bien-aimés
Avec mes paupières je bâtirai la route de votre retour
Avec mes paupières.
Je guérirai votre blessure, balaierai les épines de la route
Avec mes cils
Et de ma chair je construirai le pont du retour
Dans un autre poème il écrivait :
Je vous appelle
Je serre vos mains
J’embrasse la terre sous vos pieds
Et je dis : je vous donne ma vie
Je vous offre la lumière de mes yeux
Et la chaleur de mon coeur
Le drame que je vis est ma part de vos tragédies
Face à mes oppresseurs je me suis dressé
Orphelin, nu, déchaussé
J’ai préservé l’herbe verte sur les tombes de mes ancêtres
Sa poésie se confond même avec cette terre tant aimée de la Palestine :
Je graverai le numéro de chaque parcelle
de notre terre violée
et l’emplacement de notre village et ses limites
et ses maisons qu’ils ont dynamitées
et mes arbres qu’ils ont déracinés
et toutes les fleurs sauvages qu’ils ont arrachées
afin de me souvenir
Je graverai inlassablement
toutes les saisons de mes douleurs
toutes les saisons de l’infortune
de la graine
à la coupole
sur l’olivier
dans la cour de ma maison
Contre la force et la violence de l'occupant israélien, Zayyad opposait la puissance de sa poésie. Cette poésie simple, émouvante, populaire et tragique a circulé d'abord sous les tentes des camps de réfugiés, dans les prisons avant d'être lue, apprise et chantée dans toute la Palestine et dans tout le monde arabe. La poésie de Zayyad a réussi à briser le cercle étroit, confidentiel et élitiste dans lequel est confinée la poésie en général pour s'emparer des masses opprimées palestiniennes et arabes. La poésie subversive de Zayyad dérangeait. Arrêté, incarcéré et torturé, l'occupant israélien voulait étouffer la voix du poète.
Zayyad n'a pas quitté sa Galilée natale. Il voulait, disait-il, garder l'ombre des orangers et des oliviers de la Palestine :
Ici nous resterons
Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!
Ici nous avons un passé un présent et un avenir
Tawfik Zayyad est mort dans un accident de voiture dans des circonstances troubles. Il nous a laissé une moisson abondante de poèmes se transmettant de générations en générations.
Parmi ses recueils on peut citer, J'étreins vos mains, Enterrez vos morts et levez-vous, Paroles de combat, Chants de révolte et de colère, Captifs de la liberté etc.
Son oeuvre n'a toujours pas été traduite en français. Le lecteur francophone est ainsi privé d'une poésie lumineuse à la fois authentiquement palestinienne et universelle.
Mohamed Belaali
----------------------------
(1)https://www.belaali.com/2023/12/mort-d-un-poete-a-gaza.html
(2)https://orientxxi.info/magazine/de-la-nakba-a-gaza-poesie-et-resistance-en-palestine,7054