Six ans déjà ! Le mouvement des Gilets jaunes a surgi sur la scène politique française le 17 novembre 2018. Il est né et s'est développé en dehors de toute organisation politique ou syndicale. Le mouvement est apparu au moment où le capitalisme semblait domestiquer les différentes organisations politiques et syndicales. En effet, les directions de ces organisations, à quelques exceptions près, semblaient dépassées et assistaient en spectatrices comme si elles n'étaient pas concernées par ce conflit ouvert. Car elles sont davantage dans un processus de "pacification et de régulation des conflits" que dans une stratégie de lutte de classe. Le combat des Gilets jaunes constitue, dans une certaine mesure, un refus et une révolte contre l'immobilisme des directions syndicales et politiques qui sont réduites à gérer avec le pouvoir le système en place alors même que la tendance générale du capitalisme n'est pas d'améliorer les conditions de celles et ceux qui produisent la richesse, mais à les dégrader.
Le mouvement des Gilets jaunes est d'abord la conséquence d'une situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouvait et se trouve toujours une large frange de la population. C'était une révolte contre cette politique de paupérisation ultra-libérale menée tambour battant par les gouvernements successifs. Ils exprimaient le ras le bol général d'une majorité de la population face à la classe au pouvoir. Le mouvement fédérait en son sein les mécontents de tout bord. C'était inévitable dans un mouvement aussi large.
La radicalité du Mouvement n'était que le corollaire de la brutalité des politiques économiques et sociales imposées par la minorité d'exploiteurs à l'immense majorité de la population. C'est un rejet massif non seulement de ces politiques, mais aussi du président de la République serviteur zélé de la classe dominante. La force et l'originalité du mouvement des Gilets jaunes résidaient dans son existence même et dans sa longue et magnifique résistance à l'une des plus brutales et des plus féroces bourgeoisies au monde. Il est le produit authentique de la lutte des classes qui secouait la société française.
Dès les premières manifestations, les Gilets jaunes sont allés crier leur colère et leur indignation sur les lieux même du pouvoir. "Emmanuel Macron oh tête de c. on vient te chercher chez toi" chantaient à pleins poumons les Gilets jaunes. Leur combat ne se limitait donc pas seulement à des revendications immédiates mais s'attaquait aussi aux conditions dans lesquelles les injustices de classe se reproduisent. Les Gilets jaunes ont compris que derrière cette injustice et cette dégradation générale des conditions de vie que subissent les classes populaires, se cache la classe des oppresseurs qui a hissé brutalement Macron à la tête de l'Etat. "Macron, robin des rois", "président des riches" ou encore "Rends l’ISF d’abord !" clament les Gilets jaunes.
Effrayée par la détermination de ce mouvement populaire et par sa farouche volonté de ne plus s'inscrire dans le jeu du pouvoir, la classe dirigeante n'a pas hésité à mener une véritable guerre contre les Gilets jaunes. Même l'armée a été appelée à la rescousse. Car lorsque le conflit s'aiguise, la classe dominante n'a d'autres choix que d'utiliser la violence pour perpétuer sa domination. Et plus la lutte perdure et prend de l'ampleur, plus la répression devient intense et brutale : rien de plus normal dans une société fondée sur la lutte des classes. Le combat des Gilets jaunes a eu au moins le mérite de mettre en pleine lumière non seulement la brutalité de l’État, mais aussi les valeurs hypocrites de la république bourgeoise : État de droit, droits de l'homme, séparation des pouvoirs, liberté de s'exprimer, de manifester, de circuler et tutti quanti.
Pour briser le Mouvement des Gilets jaunes, la bourgeoisie française a mobilisé tout son appareil répressif, judiciaire et médiatique. Les Gilets jaunes sont probablement le Mouvement le plus réprimé dans l'histoire récente de la France. Les chiffres parlent d'eux-mêmes :
- 2 décès,
- 315 blessures à la tête,
- 24 éborgnés,
- 5 mains arrachées .
L'étude menée auprès des CHU de France et publiée dans la revue scientifique "The Lancet" montre une forte hausse du nombre de personnes éborgnées avec les LBD depuis la révolte des Gilets jaunes.
Le Ministère de l'intérieur compte, quant à lui, 2 448 blessés, 561 signalements déposés à l'IGPN, 313 enquêtes judiciaires de l'IGPN, 8 enquêtes administratives, 23 enquêtes judiciaires de l'IGGN, 180 enquêtes transmises au Parquet, 19 071 tirs de LBD, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées, 5 420 tirs de grenades de désencerclement , 474 gendarmes blessés et 1 268 policiers blessés .
Cette violence d'Etat condamnée par le Défenseur des Droits , Amnesty International , l'ONU, le Parlement européen , le Conseil de le l'Europe reste impunie.
Le pouvoir n'a nullement le souci de la vie et de l'intégrité physique des révoltés, mais s'inquiète grandement des constructions, des bâtiments, "de la brique et du mortier" (1). Macron et son gouvernement considèrent que la violence et la brutalité utilisées contre les Gilets jaunes sont justes alors que la moindre vitrine cassée par les révoltés constitue par elle-même un crime.
A cette brutalité policière, s'ajoute une violence judiciaire inédite :
- Environ 11000 personnes placées en garde à vue.
- 4700 affaires ont fait l’objet de renvoi devant les tribunaux, dont un peu moins de la moitié dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate.
- Un peu plus de 3000 condamnations ont déjà été prononcées. Un tiers de ces condamnations ont donné lieu à des peines d’emprisonnement ferme.
- Environ 440 mandats de dépôt ont été décernés (exécution d’une peine ou détention provisoire).
Une nouvelle loi est votée par le parlement le 12 mars 2019 qui se rajoute à l'arsenal juridique répressif qui existe déjà (lois antiterroristes, état d'urgence désormais inscrit dans le droit commun...). Mais cette fois elle ne concerne pas des terroristes mais des hommes et des femmes qui ont décidé de prendre leur destin en main, les Gilets jaunes. Il s'agit de la loi "anticasseurs" imposée par le pouvoir et qui constitue une attaque sans précédent contre le droit de manifester même si son article 3 a été censuré par le conseil constitutionnel.
Et comme si cette répression physique et judiciaire ne suffisait pas, la classe au pouvoir a utilisé une autre arme non moins violente que les LBD ou les condamnations à des peines d’emprisonnement ferme; il s'agit de la propagande médiatique pour stigmatiser et discréditer le mouvement aux yeux de "l'opinion publique" nationale et internationale. Président de la République, Gouvernement, journalistes, intellectuels, experts...défilent sur les plateaux de télévisions et les stations de radio pour déverser leur haine de classe : une "foule haineuse", des "bœufs", des "casseurs" des "nervis", des "salopards d’extrême droite et extrême gauche", des "fascistes", des "conspirationnistes", des "antisémites" etc. Certains comme Luc Ferry vont même jusqu'à appeler les forces de l'ordre et l'armée à se servir des armes : "qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois ! […] On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies". Cela fait penser aux Versaillais qui voulaient à tout prix détruire les Communards !
Non satisfaits d'avoir éborgné, mutilé et stigmatisé les Gilets jaunes, Macron et son gouvernement ont exigé des médecins de les ficher lorsqu'ils arrivaient blessés aux urgences. La classe dirigeante voulait ainsi transformer les médecins en complices, en simples supplétifs de la police : le secret professionnel, la déontologie et l’éthique médicale n'ont de valeur que lorsqu'ils servent ses propres intérêts.
Partout on a interdit aux Gilets jaunes de manifester et notamment dans les centres-villes. Leurs ronds-points ont été souvent occupés par la police et leurs cabanes systématiquement détruites.
Mais malgré cette politique de terreur, les Gilets jaunes ont tenu longtemps tête au pouvoir. Aucun mouvement dans l'histoire récente de la France n'a mobilisé autant d'hommes et de femmes sur une aussi longue durée. Les Gilets jaunes étaient en quelque sorte comme ces plantes sauvages qui traversent les murs les plus solides. Toutefois, cette détermination et cette colère sont restées insuffisantes pour permettre le bouleversement radical de la société capitaliste. Le mouvement des Gilets jaunes ne pouvait le faire qu’en s’alliant avec la classe ouvrière, seule classe réellement révolutionnaire de par sa position dans le processus de production.
La lutte des Gilets jaunes dépassait le cadre étroit des revendications corporatistes. Elle s'inscrivait dans une perspective plus large, celle d'un combat politique de classe contre classe. Le mouvement des Gilets jaunes avait réveillé de profondes espérances, mais il n'a pas pu mener une résistance collective, structurée avec une direction consciente et déterminée.
Le mouvement des Gilets jaunes, malgré ses faiblesses et ses contradictions, restera un événement majeur dans cette lutte qui fait rage entre les dominants et les dominés. Il est entré dans l'histoire avec une aura qui lui est propre.
Il est grand temps que tous les exploités, tous les progressistes, tous les citoyens appauvris, méprisés se réveillent et préparent, dans des conditions nouvelles, de nouveaux combats contre les injustices de classe et la misère sociale.
Mohamed Belaali
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(1)K Marx : "Le Paris ouvrier, en accomplissant son propre, son héroïque holocauste, a entraîné dans les flammes des immeubles et des monuments. Alors qu'ils mettent en pièces le corps vivant du prolétariat, ses maîtres ne doivent plus compter rentrer triomphalement dans les murs intacts de leurs demeures. Le gouvernement de Versailles crie : Incendiaires ! (...) La bourgeoisie du monde entier qui contemple complaisamment le massacre en masse après la bataille, est convulsée d'horreur devant la profanation de la brique et du mortier!" Dans "La guerre civile en France". Editions sociales, p.84.
https://www.marxists.org/francais/ait/1871/05/km18710530d.ht