Sans F. Engels, Marx n'aurait probablement jamais pu surmonter tous les obstacles qui se dressaient sur son chemin et mener jusqu'à son terme sa tâche prométhéenne de révolutionnaire. Leur amitié était exemplaire. De «La sainte famille» au «Manifeste du Parti communiste» en passant par «l'Idéologie allemande» et une abondante et riche correspondance, les deux hommes ont travaillé en étroite collaboration sans jamais se soucier le moins du monde de leur amour-propre. Détesté par les gouvernements réactionnaires d'Allemagne, de France et de Belgique, Marx a trouvé refuge à Londres où il a vécu dans des conditions matérielles extrêmement difficiles jusqu'à la fin de ses jours. «Il m'est extrêmement difficile, écrivait-il à Engels, de t'entretenir une fois de plus de ma misère, mais que faire ?» (1) . Sans l'aide matérielle régulière d'Engels, Marx n'aurait jamais pu écrire le Capital. Et lorsqu'il a terminé le Livre I, Marx s'est empressé à remercier son ami : «Voilà donc ce volume terminé. Si cela a été possible, c'est à toi seul que je le dois! Sans ton dévouement pour moi, il m'aurait été impossible de faire des travaux énormes que demandent les trois volumes» (2) . Ajoutons que c'est Engels qui rédigea le Livre II du Capital (1885) et le livre III (1894) à partir des manuscrits laissés inachevés par Marx. Il n'a pas eu le temps de préparer le livre IV.
Par ces temps obscurs, il est utile d'évoquer même très brièvement la vie et les activités de ce grand révolutionnaire et guide spirituel du mouvement ouvrier. La lecture ou la relecture des œuvres d'Engels comme celles de son ami sont indispensables pour tous ceux qui veulent comprendre et surtout changer ce monde de plus en plus insupportable.
Engels est né le 28 novembre 1820 à Barmen dans le Royaume de Prusse dans une famille conservatrice et orthodoxe. Son père était un riche industriel du textile. A l'âge de dix-huit ans, pour des raisons familiales, Engels abandonna ses études et s'installa comme apprenti au comptoir de commerce à Brême. D'octobre 1841 à octobre 1842, Engels effectua son service militaire dans l'artillerie et portera durant toute sa vie un intérêt particulier à la science militaire pensant que c'était une nécessité pratique dans les conflits révolutionnaires.
Il se rendra par la suite à Manchester pour travailler comme employé dans la filature Ermen & Engels dont le père était actionnaire. L'industrie britannique, plus avancée que dans le reste de l'Europe, produisait déjà des bouleversements économiques et sociaux d'une grande importance. La structure de classes de la société anglaise était beaucoup plus évidente qu'en Allemagne ou en France par exemple. Le développement accéléré de l'industrie britannique et les ravages qu'il produisait sur les ouvriers ont appris à Engels que les faits économiques, souvent négligés par les historiens, constituent des éléments décisifs dans la compréhension des sociétés modernes.
Le Lancashire et notamment Manchester étaient le centre de l'industrie de l'empire britannique. Engels ne se contentait pas seulement de son travail d'employé dans un bureau, il parcourait tous les quartiers ouvriers misérables. «La ville elle-même est construite d'une façon si particulière qu'on peut y habiter des années sans jamais entrevoir un quartier ouvrier ni même rencontrer d'ouvriers, si l'on se borne à vaquer à ses affaires ou à se promener» (3) .
Il étudia en profondeur la situation faite aux prolétaires avant de publier en 1845
«La Situation de la classe laborieuse en Angleterre». Engels non seulement a décrit la détresse et la souffrance des prolétaires avec une minutie et une rigueur dont lui seul est capable, mais il a surtout annoncé que la misère dans laquelle se trouvait cette classe, la pousserait inévitablement à lutter pour révolutionner de fond en comble sa situation matérielle et morale et pour son émancipation définitive. Le livre d'Engels constitue un véritable réquisitoire contre la bourgeoisie anglaise : «Je n'ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d'égoïsme, si incapable du moindre progrès que la bourgeoisie anglaise» (4) .
De 1845 à 1847, Engels et Marx ont collaboré avec la Ligue des communistes qui leur demanda de rédiger les principes essentiels du communisme. De cette exigence de la Ligue est né le célèbre «Manifeste du Parti communiste», œuvre universelle qui a résisté à l'épreuve du temps. Les idées exprimées dans ce petit livre n'ont jamais été aussi vivantes et aussi actuelles qu'aujourd'hui.
En 1848, l'Europe est submergée par une vague révolutionnaire. Engels participa activement à cette insurrection armée des peuples. Après l'écrasement de ce soulèvement, Engels se réfugia en Suisse avant de regagner Londres.
Pour pouvoir aider financièrement Marx et sa famille installés également dans la capitale britannique, Engels retourna travailler avec son père à Manchester jusqu'en 1870. Durant cette période, les deux hommes correspondaient et échangeaient d'une manière intense leurs réflexions et leurs connaissances et continuaient à construire le socialisme scientifique.
Pour s'emparer du pouvoir politique indispensable à leur émancipation, les prolétaires doivent s'organiser au niveau planétaire. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'appel de Marx et d'Engels à l'union de tous les travailleurs : « PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !». Le 28 septembre 1864 Marx et Engels ont participé activement à la création de l'Association internationale des travailleurs (AIT) au cours d'un grand meeting ouvrier à Saint-Martin's Hall de Londres. L'Association a joué un rôle essentiel dans la solidarité et le développement de la classe ouvrière .
En 1870, Engels rejoignit Marx à Londres. Les deux amis poursuivirent leurs activités intellectuelles et pratiques toujours au service de la classe laborieuse. Membre du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs, Engels organisa, entre autres, l'aide apportée aux communards exilés à Londres après la défaite de la Commune en 1871.
Marx écrivit, en parallèle de ses activités militantes, «Le Capital» et Engels toute une série de travaux comme «L'Anti-Dühring», «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande» ou encore des articles sur la question du logement pour ne citer que ces quelques ouvrages.
Le 14 mars 1983, Marx, le grand Karl Marx a cessé de vivre. Sur la tombe de son ami, Engels prononça sobrement en anglais ces quelques mots «Le 14 mars, le plus grand des penseurs vivants a cessé de penser. (...)Marx était avant tout un révolutionnaire.(...) La lutte était son élément. Et il a lutté avec une passion, une opiniâtreté et un succès rares.(...) Il est mort, vénéré, aimé et pleuré par des millions de militants révolutionnaires du monde entier, dispersés à travers l'Europe, et l'Amérique, depuis les mines de la Sibérie jusqu'en Californie» (5) .
Après la mort de Marx, Engels poursuivra seul le combat pour l'émancipation du prolétariat moderne.
En1872/1873 la première Internationale a cessé d'exister après l'écrasement de la Commune. Le 14 juillet 1889, un siècle donc après la grande révolution française, les partis socialistes européens se sont réunis à Paris à l'initiative d'Engels pour le congrès fondateur de la deuxième Internationale, dite Internationale socialiste. Dans la salle, une grande banderole surplombe la tribune : «PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !».
Dans cette nouvelle Internationale, les idées révolutionnaires de Marx et d'Engels sont majoritaires.
A la fin du congrès, une immense couronne d'immortelles a été déposée au mur des Fédérés à la mémoire des martyrs de la Commune.
Au crépuscule de sa vie, Engels restait encore celui auprès de qui les ouvriers du monde entier venaient chercher conseil : « (... ) ils puisaient tous au riche trésor des lumières et de l'expérience du vieil Engels» (6) .
Friedrich Engels s'est éteint à Londres le 5 août 1895. Sa mémoire est conservée jalousement dans le cœur des millions de révolutionnaires à travers le monde.
Mohamed Belaali
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(1) Lettre de Marx à Engels, 18 juin 1862 cité in K Marx, sociologie critique. M Rubel, page 119.
(2) Le Capital, livre I, page 7. Éditions du Progrès.
(3) F Engels «La Situation de la classe laborieuse en Angleterre»
(4) https://www.persee.fr/docAsPDF/genes_1155-3219_1996_num_22_1_1367.pdf
Voir également : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_pref.htm
(4) https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_11.htm
(5) https://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/03/fe18830317.htm
(6) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1895/00/fe.html