Larache est une ville hors circuit touristique, renfermée sur elle-même et ouverte sur la mer. Seuls quelques monuments historiques et la tombe austère de Jean Genet attirent quelques visiteurs. La grande Place circulaire de la ville est envahie ce mardi premier mai 2012 non seulement par une lumière éclatante, mais aussi par des ouvrières et des ouvriers de tous les secteurs de l'activité économique de la commune venus célébrer ensemble la fête du travail.
Les femmes, constituées essentiellement de travailleuses de petites usines de textile et de conserveries, sont nettement plus nombreuses que les hommes. Elles sont accompagnées de leurs enfants à qui elles offrent, probablement plus que d'ordinaire, des friandises achetées aux marchands ambulants qui entourent toute la Place. Les marins, ces «travailleurs de la mer», qui ont mené en 2011 un dur combat des semaines durant contre leurs patrons pour améliorer leurs conditions de travail, sont bien présents. Les ouvriers agricoles, ces travailleurs de la terre, pauvrement vêtus tenaient eux-aussi à participer à cette fête du travail. Bref, toutes les branches économiques étaient représentées. La télévision et la presse nationales, elles par contre, étaient absentes. Ce petit peuple de producteurs de richesses semblait être content de se retrouver ainsi réuni sous un soleil printanier sur cette belle Place bleu et blanche le jour du premier mai.
Les représentants de chaque secteur, les uns après les autres, sont montés sur une modeste estrade décorée du drapeau national et ont parlé de leurs souffrances au travail, de leurs combats et de leur espoir de voir leurs conditions d'existence s'améliorer. Soudain, la tribune s'effondre et le dernier orateur se trouve par terre sans gravité. Toute la foule éclate alors de rire ! Cet incident a permis à l'intervenant suivant de dénoncer la municipalité, responsable de l'installation, complice du régime et ennemie des travailleurs. Une petite femme d'un certain âge, casquette sur la tête, prend le micro au milieu des manifestants et d'une voix déterminée rappelle la signification du premier mai et ce qu'il représente pour les travailleurs de toute la planète. Personne ne va parler de nous, ni du combat que nous menons au jour le jour dans notre petite ville contre l'exploitation patronale disait-elle. Mais nous ne sommes pas seuls ! Nous sommes fiers d'appartenir à cette immense classe ouvrière qui, comme nous ici, célèbre aujourd'hui partout à travers le monde la fête du travail poursuit-elle. Une salve d'applaudissements éclate et les slogans contre les patrons et le régime entamés par quelques manifestants et repris en chœur fusent de toutes parts. Un drapeau d'un rouge écarlate, avec faucille et marteau, est déployé. Les marins entament alors leurs chants préférés à la gloire de leurs luttes passées et à venir. Le cortège, rejoint par les éternels « chômeurs diplômés», la trentaine pour certains bien entamée, se met en branle et les organisateurs rappellent aux marcheurs de ne pas répondre aux provocations policières.
Dans les rues étroites du centre ville, les slogans portés par la foule raisonnent encore plus fort. Les manifestants sont parfois salués et encouragés à travers les balcons et les terrasses des maisons par des familles entières. En haut de l'avenue Mohamed V, large artère principale de la ville, le cortège rencontre sur son passage un autre rassemblement organisé par un autre syndicat : «unité», «unité» scandent alors spontanément de chaque côté les manifestants. Le cortège poursuit sa lente progression rythmée par des chants et des slogans liés aux revendications matérielles et syndicales des ouvriers qui jaillissent des rangs serrés des marcheurs et se confondent avec les appels à la prière venus des minarets alentours créant une étrange atmosphère.
Vers 14h, les ouvrières et les ouvriers de Larache commencent à ranger soigneusement leurs banderoles et leur maigre matériel pour le ressortir certainement dans le cadre, cette fois, des manifestations dominicales du Mouvement du 20 février. Les femmes rentrent chez elles avec leurs enfants. Les hommes, par petits groupes, rejoignent quant à eux l'unique café ouvert ce premier mai sur la place, le «café Lixus», pour prendre ensemble un verre de thé.
Mohamed Belaali