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11 novembre 2020 3 11 /11 /novembre /2020 07:27

 

Je publie à nouveau ce texte écrit en 2015 sur la liberté d'expression après le drame de Charlie Hebdo. Aujourd'hui comme hier, la classe dirigeante instrumentalise et exploite sans limite l'émotion et l'indignation suscitées par l'assassinat de Samuel Paty pour ses propres intérêts politiques et idéologiques. Ce crime ignoble constitue dans un contexte de paupérisation, de précarisation de masse et de colère contre une gestion chaotique de la pandémie, une véritable aubaine pour un pouvoir qui, pour se maintenir, s'appuie de plus en plus sur la manipulation, le mensonge et sur son appareil répressif.

 

«Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres » - Schlomo Sand

 

 

Président de la République, Gouvernement, Parlement, médias et intellectuels, dans une étrange communion, célèbrent avec enthousiasme et exubérance la liberté d'expression. Et pendant que la classe dirigeante, à travers le pouvoir exécutif, prétend défendre cette précieuse liberté, ses institutions répressives traquent, répriment, calomnient, dénigrent et censurent tous ceux et toutes celles qui expriment une pensée différente ou tout simplement profèrent des mots vite interprétés comme faisant l'apologie du terrorisme et de l'islamisme. Un climat détestable règne aujourd'hui en France. Une forme de terrorisme intellectuel et de fascisation des esprits s'installe insidieusement au nom de la liberté d'expression.

 

La classe dominante, sans vraiment le vouloir, présente sa liberté d'expression comme étant celle de toutes les autres classes sociales. Lorsqu'elle évoque la liberté d'expression, c'est à sa propre liberté qu'elle pense. Car elle est justement l'expression de ses intérêts. Ce qui est permis aux uns est interdit aux autres. Autrement comment peut-on expliquer cet acharnement à vouloir taire et étouffer tout ce qui se dresse, d'une manière ou d'une autre, contre la pensée dominante.

 

Les grands médias, concentrés entre les mains de puissants groupes industriels et financiers, qui ont une influence considérable sur l'opinion publique utilisent la liberté d'expression uniquement pour servir leurs intérêts économiques et idéologiques. La liberté d'expression reste un privilège de classe.

Est libre toute expression qui sert directement ou indirectement les intérêts dominants. Est suspecte, voire parfois criminelle, toute pensée différente. Même les enfants n'échappent pas à cette logique de suspicion. Leur parole spontanée heurte la vérité officielle. Il faut la condamner. Cette répression constitue par elle-même une éclatante négation de cette fameuse liberté bourgeoise d'expression.

Les idées autres que celles du pouvoir deviennent insupportables. Seule la liberté d'expression de la classe dominante doit régner: «L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les oui je soutiens Charlie, mais…, les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? Ces questions nous sont insupportables» déclarait une éminente représentante du Gouvernement (1). Seuls les «oui» ont le droit à cette liberté. Les «mais» en sont exclus ! Pas de place pour les hérétiques. A l'école, plus de questionnements, plus d'interrogations, plus d'esprit critique, plus rien. Place au formatage, au gavage et au dressage !

 

Les citoyens ne doivent plus s'interroger sur le drame de Charlie Hebdo. Plus de questions sur les racines du terrorisme, sur le rôle des États-Unis, de la France, de l'Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie dans la création de ces groupes armés qui sèment aujourd'hui la terreur un peu partout à travers la planète . Ils doivent seulement répéter ce que le pouvoir pense à leur place. La seule liberté d'expression qu'on leur laisse, la seule qui est autorisée est la liberté officielle.

Plus de questions également sur la société française qui produit et produira probablement encore des monstres. Car le questionnement, les interrogations et la recherche des causes complexes internes et externes du terrorisme peuvent mettre en exergue les liens intimes qui existent entre les bourgeoisies occidentales et le terrorisme.

 

Pour la classe dirigeante, ces questions sont tout simplement «insupportables». La bourgeoisie est donc incapable de supporter une véritable liberté d'expression. Elle adopte en permanence de nouvelles lois de plus en plus répressives et liberticides pour protéger sa propre liberté d'expression et pour mieux contrôler et confisquer la parole des autres.

Mais au-delà de l'aspect judiciaire, c'est la dimension politique et idéologique qui intéresse la classe dominante. Il s'agit à travers la lutte contre le terrorisme de créer un climat, un sentiment «d'union nationale» permettant et facilitant non seulement de nouvelles attaques contre les libertés individuelles et collectives dont la liberté d'expression mais également l'application de politiques de misère sociale qui ravagent aujourd'hui la France. Cet état d'esprit, basé sur l'exploitation de l'émotion, de la colère et de l'indignation sincères suscitées par les attentats terroristes doit se prolonger le plus longtemps possible tellement il sert les intérêts de la classe dirigeante. « L’esprit du mois de janvier 2015, c’est l’unité de la République(...) Cet esprit-là, je dois le prolonger » disait le chef de l’État (2).

 

La liberté d'expression est une arme idéologique redoutable entre les mains de la bourgeoisie qui lui permet de mieux combattre celle des autres. Elle l'utilise pour marginaliser et réduire ses adversaires au silence tout en se présentant hypocritement et cyniquement comme la grande protectrice de cette précieuse liberté. Rien de plus normal dans une société fondée sur les antagonismes de classes. Il n'existe pas de liberté d'expression en dehors ou au-dessus des classes sociales. En définitive, la liberté d'expression n'est que le reflet de cette lutte des classes qui déchire la société bourgeoise.

 

Mohamed Belaali

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(1)http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2015/01/14/najat-vallaud-belkacem-je-mobilise-la-communaute-educative-pour-repondre-par-des-actes-forts/

(2)https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/attaque-au-siege-de-charlie-hebdo/video-l-esprit-de-janvier-2015-je-dois-le-prolonger-lance-hollande-lors-de-sa-conference-de-presse_816747.html

 

 

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