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24 octobre 2022 1 24 /10 /octobre /2022 07:36

A l'époque où le journalisme est devenu une vulgaire marchandise soumise aux vicissitudes du marché et un instrument de propagande entre les mains des puissants, il est utile de montrer à travers l'exemple de John Reed que cette profession peut être aussi un moyen efficace au service des luttes sociales sans renoncer pour autant à la vérité du terrain.

 

Le 17 octobre 1920 est décédé à Moscou, à l'âge de 33 ans, le journaliste révolutionnaire John Reed. L'auteur des "Dix jours qui ébranlèrent le monde" est né dans une riche famille à Portland, en Oregon, le 22 octobre 1887. Son grand-père a fait fortune dans le commerce des fourrures, son père dans la vente à grande échelle de matériel agricole. Diplômé de Harvard qu'il quitte en 1910, il rejoint en 1913 The Masses, magazine progressiste à la fois politique et culturel. Il couvre alors une série de grèves ouvrières comme celle des travailleurs de la soie dans la ville de Paterson dans le New Jersey. Dans «Guerre à Paterson», il écrit : "Il y a la guerre à Paterson. Mais c'est une sorte de guerre curieuse. Toute la violence est l'œuvre d'un seul côté - les propriétaires de l'usine" (1).

Ses témoignages sur les combats ouvriers lui ont valu des séjours répétés dans les prisons fédérales.

Cette première rencontre avec des travailleurs en grève lui a au moins permis de comprendre que le journalisme peut être un moyen efficace au service des luttes sociales non seulement aux États-Unis mais partout à travers le monde.

Quelques temps après, John Reed part pour le Mexique afin de couvrir pour Metropolitan Magazine de New York la révolution mexicaine menée par Pancho Villa. Le témoignage de Reed sur ce soulèvement populaire porte sur une courte période (quatre mois). Mais c'est peut-être la période la plus intense, la plus chargée d'espoir où Pancho Villa est considéré déjà comme une légende vivante. Dans ses chroniques, Reed mêle à la fois le souci d'une information objective et sa profonde sympathie pour les insurgés mexicains. En 1914 John Reed fait paraître "Le Mexique insurgé", somme d'articles et chroniques de cette expérience mexicaine. Une adaptation partielle du livre de Reed est portée à l'écran en 1973 par Paul Leduc : "Reed, Mexico Insurgente" (2).

En juillet 1914 toujours dans Metropolitan, Reed publie une longue lettre "The Colorado War" où il décrit avec minutie la grève et le massacre de Ludlow dans le sud du Colorado. Vingt-six ouvriers et leurs familles ont été abattus à la mitrailleuse par la garde nationale et les hommes de Rockefeller. L'historien Howard Zinn dit de cette grève des mineurs qu'elle fut "l'un des plus durs et des plus violents conflits entre les travailleurs et le capital industriel de l'histoire des États-Unis" (3).

Mais c'est surtout sa rencontre avec la révolution d'octobre 1917 qui va révéler les qualités journalistiques de Reed. Dans son magnifique livre les "Dix jours qui ébranlèrent le monde", il décrit avec passion et enthousiasme les événements historiques qui vont changer la face du monde. Il a su capter et transmettre les revendications et les aspirations humaines les plus simples et les plus fondamentales des ouvriers, des soldats et des paysans russes : "la paix, la terre, le pain, la fraternité, tout le pouvoir aux soviets...". Voici comment Reed décrit les premiers moments de la Révolution : «Quelque chose s’était brusquement éveillé en tous ces hommes. L’un parlait de la révolution mondiale en marche, un autre de l’ère nouvelle de fraternité, où tous les peuples ne seront plus qu’une grande famille (…) Mus par une commune impulsion, nous nous trouvâmes soudain tous debout, joignant des voix dans l’unisson et le lent crescendo de l’Internationale. Un vieux soldat grisonnant sanglotait comme un enfant. Alexandra Kollontaï rentrait ses larmes. Le chant roulait puissamment à travers la salle, ébranlant les fenêtres et les portes et allant se perdre dans le calme du ciel" (4).

 

Reed ne se contente pas seulement de rapporter des faits au jour le jour, il prend résolument partie pour les révolutionnaires. Il est à la fois témoin consciencieux et acteur de cette immense révolution: "Au cours de la lutte, mes sympathies n'étaient pas neutres écrit-il. Mais, en retraçant l'histoire de ces grandes journées, j'ai voulu considérer les événements en chroniqueurs consciencieux, qui s'efforce de fixer la vérité" (5).

Dans la préface du livre de Reed, Lénine écrivait : "Après avoir lu avec un immense intérêt et la même attention jusqu'au bout le livre de John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, je recommande du fond du cœur cette œuvre aux ouvriers de tous les pays. Je voudrais que ce livre soit répandu à des millions d'exemplaires et traduit dans toutes les langues, car il donne un tableau exact et extraordinairement vivant d'événements qui ont une si grande importance pour comprendre ce qu'est la révolution prolétarienne, ce qu'est la dictature du prolétariat»"(6).

La vie de Reed et les "Dix jours qui ébranlèrent le monde" sont portés à l'écran en 1981 par Warren Beatty. «Reds», ce passionnant film avec Diane Keaton et Jack Nicholson, entre autres, a largement contribué à faire connaître au grand public le journaliste et révolutionnaire John Reed.

 

Le 17 octobre 1920, John Reed le journaliste, le révolutionnaire et l'internationaliste s'est éteint à l'hôpital Marinski de Moscou emporté à l'âge de 33 ans par le typhus. Il repose à coté d'autres révolutionnaires sur la Place Rouge contre le mur du Kremlin. Sur sa tombe on peut lire "John Reed, délégué à la IIIe Internationale, 1920».

 

Mohamed Belaali

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(1)https://www.marxists.org/archive/reed/1913/masses06.htm

(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Reed,_Mexico_insurgente

(3)Howard Zinn, « Une histoire populaire des États-Unis », Agone, 2002, p. 403

(4) «Dix jours qui ébranlèrent le monde. Éditions Tribord, 2010, pages 228/229

(5) John Reed, «Les dix jours qui ébranlèrent le monde», page 33

(6)John Reed, « Dix jours qui ébranlèrent le monde », page 25.

 

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