Douze années déjà ! Le 20 février 2011 les masses populaires au Maroc, comme un peu partout dans le monde arabe, se sont soulevées contre un système archaïque, sclérosé et corrompu qui les opprime, le Makhzen. "Répartition des richesses", "démocratie", "dignité" etc. scandaient à l'unisson les manifestants. Ces cris collectifs jaillissaient des décennies d'esclavage social, d'humiliations et de frustrations.
Le grand mérite du Mouvement du 20 février résidait dans son existence même. Il a ravivé une lutte de classes que le pouvoir croyait révolue. Jamais l'histoire récente du Maroc n'avait connu une période aussi riche et aussi chargée de luttes populaires intenses même si le combat contre le Makhzen ne date pas du 20 février 2011.
Le Mouvement avait libéré la vitalité et la créativité des masses opprimées qui avaient fait preuve d'une grande maturité politique et organisationnelle. Dans la lutte, elles avaient aussi appris à relever la tête et à se dresser contre leur ennemi de classe. Les contestataires n'avaient plus peur d'exposer à la face du régime leurs revendications et leurs buts. Ces «damnés de la terre» savaient que le pouvoir ne lâcherait rien sans combat et sans sacrifices.
Des hommes et des femmes, poussés par les injustices et les humiliations insupportables, ont été jusqu'à mettre le feu à leur propre corps se transformant ainsi en torches humaines. Le souvenir de Mohamed Bouazizi est toujours vivant dans la mémoire collective et individuelle.
Face au Mouvement, se dressaient, en plus du Makhzen et son appareil répressif et médiatique, toute une kyrielle de partis politiques anciens et nouveaux, tous domestiqués par le Palais depuis longtemps : le Parti de l'Istiqlal (conservateur), l'Union Socialiste des Forces Populaires (social-démocrate), le Parti de la Justice et du Développement (islamiste), le Parti du Progrès et du Socialisme (ancien parti communiste) et un ensemble de partis créés de toutes pièces par le Makhzen au gré des élections qu'il fabrique régulièrement depuis l'indépendance politique du Maroc en 1956. Contrairement à la Tunisie de Ben Ali ou à l'Égypte de Moubarak qui ont éliminé ou poussé à la clandestinité les organisations politiques (en dehors des Frères Musulmans en Égypte), le régime marocain, lui, multiplie le nombre de partis qui servent ses intérêts, consolidant ainsi son hégémonie et sa domination de classe.
Le Mouvement a été également combattu par les Etats-Unis, la France et les monarchies pétrolières du Golfe. Le soutien de ces forces ennemies du progrès et de la démocratie au Makhzen est total.
En France par exemple, le Maroc était présenté comme un modèle à suivre. Les aspirations du peuple marocain à la démocratie et à la modernité ne pèsent pas lourd face aux intérêts économiques de la bourgeoisie française dans ce pays. Les médias bourgeois occidentaux, quasiment tous entre les mains d'industriels et de financiers, et Al Jazeera propriété du «grand démocrate», l'émir du Qatar, se taisaient lamentablement sur les manifestations pacifiques qui se déroulaient depuis plus d'un an non seulement au Maroc, mais aussi à Bahreïn, au Yémen, en Jordanie, en Arabie Saoudite etc.
Le Mouvement du 20 février avait montré aux masses populaires que la lutte contre le Makhzen ne suffisait pas si elle n'était pas accompagnée par un combat anti-impérialiste. L'impérialisme est partout l'ennemi des peuples et du progrès. Il a tenté d'écraser les soulèvements authentiques des peuples du monde arabe contre des régimes d'un autre âge, soit pour maintenir au pouvoir ces régimes, qui servent ses intérêts, soit pour renverser des gouvernements qui ne lui sont pas totalement soumis. Ainsi il a écrasé dans le sang la révolte du peuple de Bahreïn par l'intermédiaire d'une «grande démocratie», l'Arabie Saoudite. Il a détruit tout un pays, la Libye pour y installer un nouveau pouvoir lui permettant de pomper allègrement le pétrole du peuple libyen.
Le Mouvement du 20 février avait également accordé une large place dans ses revendications à l'émancipation de la femme notamment dans le domaine économique et scolaire. Dans le Maroc d'aujourd'hui, l'accès des femmes au marché du travail reste faible (28 femmes contre 84 hommes) et plus de la moitié d'entre elles ne sait ni lire ni écrire. Leur revenu est quatre fois inférieur à celui des hommes.
Ces événements politiques majeurs non seulement au Maroc, mais dans tout le monde arabe sont loin de constituer une histoire achevée. Bien au contraire, ils ouvrent une ère nouvelle de contestations dans toute la région. La flamme de la résistance à l'oppression allumée par Mohamed Bouazizi est toujours vivante. Du Maroc au Soudan, des vagues de révoltes font encore trembler les régimes en place. Cette contestation toujours renouvelée est née et a grandi sur le sol de la misère économique et du despotisme politique. On peut toujours la réprimer et même l'écraser, mais elle renaîtra tel un phénix de ses cendres.
Malgré ses faiblesses et sa défaite, le Mouvement du 20 février reste un événement majeur dans l'histoire des luttes de classes au Maroc. Il a pu courageusement tenir tête à tous ses ennemis, à commencer par le puissant Makhzen. Les masses populaires opprimées n'espéraient pas de miracles du Mouvement. D'autres étapes et d'autres combats l'attendent. Elles savent que la lutte sera dure et la marche vers cette forme de vie supérieure sera longue. Mais elles savent également que le processus de changement et de transformation sociale est enclenché. Par ses manifestations hebdomadaires massives et pacifiques pour une société meilleure, le Mouvement du 20 février a redonné considération, dignité et espoir à toutes celles et ceux qui, hier encore, étaient sans espoir.
Mohamed Belaali