Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 mai 2024 1 20 /05 /mai /2024 07:27

 

Cette lettre, passée sous silence quasiment par tous les médias, est d'un courage, d'une sincérité et d'une lucidité rares chez les hauts fonctionnaires de ce rang. C'est plus qu'une lettre de démission, c'est une invitation à la réflexion et surtout à l'action contre la passivité et l'indifférence face à "l'horreur indescriptible". Elle reste, sept mois après sa publication le 28 octobre 2023, d'une tragique actualité.

 

 

 

"Monsieur le Haut Commissaire,

Ceci sera ma dernière communication officielle en tant que directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains (OHCHR).

Je vous écris dans un moment de grande détresse pour le monde, y compris pour beaucoup de nos collègues. Une fois encore, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter. En tant que personne ayant enquêté sur les droits humains en Palestine depuis les années 1980, ayant vécu à Gaza comme conseiller des Nations unies pour les droits humains dans les années 1990, et ayant effectué plusieurs missions de défense des droits humains dans le pays avant et depuis ces périodes, cette situation me touche personnellement.

C’est encore dans ces locaux de l’ONU que j’ai travaillé lors des génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yazidis et les Rohingyas. Dans chaque cas, alors que la poussière était retombée sur les horreurs perpétrées contre des populations civiles sans défense, il devenait douloureusement évident que nous avions manqué à notre devoir de répondre aux impératifs de prévention des atrocités de masse, de protection des personnes vulnérables et d’obligation d’exiger que les auteurs de ces actes rendent des comptes. Il en a été de même avec les vagues successives de meurtres et de persécutions à l’encontre des Palestiniens, tout au long de l’existence des Nations unies.

Monsieur le Haut Commissaire, nous échouons à nouveau.

En tant que juriste spécialisé dans les droits humains, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’exploitation politique abusive. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans la continuité de décennies de persécution et d’épuration systématiques, entièrement fondé sur leur statut d’Arabes, et associé à des déclarations d’intention explicites des dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. À Gaza, les habitations, les écoles, les églises, les mosquées et les établissements médicaux sont attaqués sans raison et des milliers de civils sont massacrés. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem occupée, les maisons sont saisies et réattribuées en fonction uniquement de la race. Par ailleurs, de violents pogroms perpétrés par les colons sont accompagnés par des unités militaires israéliennes. Dans tout le pays, l’apartheid règne.

Il s’agit d’un cas d’école de génocide. Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation en Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d’une grande partie de l’Europe sont totalement complices de cet horrible assaut. Non seulement ces gouvernements refusent de remplir leurs obligations conventionnelles “d’assurer le respect” des conventions de Genève, mais ils arment activement l’offensive, fournissent un soutien économique, des renseignements, et couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités commises par Israël.

De concert avec tout cela, les médias corporatifs occidentaux, de plus en plus aux ordres des gouvernements, sont en totale rupture avec l’article 20 du PIDCP (ndt, Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966), déshumanisant les Palestiniens sans cesse pour justifier le génocide, et diffusant la propagande guerrière et les appels à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence. Les entreprises de réseaux sociaux basées aux États-Unis étouffent les voix des défenseurs des droits humains tout en amplifiant la propagande pro-israélienne. Les gendarmes du lobby israélien sur le net et les GONGOS (ndt, organisations non gouvernementales soutenues par des gouvernements) harcèlent et diffament les défenseurs des droits humains, les universités et employeurs occidentaux collaborent avec eux pour punir ceux qui osent s’élever contre les atrocités. À la suite de ce génocide, ces acteurs devront également rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Milles Collines au Rwanda.

Dans de telles circonstances, notre organisation est plus que jamais appelée à agir de manière efficace et fondée sur des principes. Mais nous n’avons pas relevé ce défi. Le pouvoir de protection du Conseil de sécurité a de nouveau été bloqué par l’intransigeance des États-Unis, le secrétaire général est attaqué pour ses légères protestations et nos mécanismes de défense des droits humains font l’objet d’attaques calomnieuses soutenues par un réseau organisé en ligne qui défend l’impunité.

Des décennies de distraction par les promesses illusoires et largement décevantes d’Oslo ont détourné l’Organisation de son devoir essentiel de protection du droit international, des droits humains et de la Charte elle-même. Le mantra de la “solution à deux États” est devenu une plaisanterie ouverte dans les couloirs de l’ONU, à la fois pour son impossibilité absolue dans les faits et pour son incapacité totale à tenir compte des droits humains inaliénables du peuple palestinien. Le soi-disant “Quartet” n’est plus qu’une feuille de vigne pour l’inaction et la soumission à un statu quo brutal. La référence (écrite par les États-Unis) aux “accords entre les parties elles-mêmes” (au lieu du droit international) a toujours été un tour de passe passe évident, destiné à renforcer le pouvoir d’Israël contre les droits des Palestiniens occupés et dépossédés de leurs biens.

Monsieur le Haut Commissaire, j’ai rejoint cette Organisation dans les années 1980, parce que j’y ai trouvé une institution fondée sur des principes et des normes qui étaient résolument du côté des droits humains, y compris dans les cas où les puissants États-Unis, Royaume-Uni et Europe n’étaient pas de notre côté. Alors que mon propre gouvernement, ses institutions subsidiaires et une grande partie des médias nord-américains soutenaient ou justifiaient encore l’apartheid sud-africain, l’oppression israélienne et les escadrons de la mort d’Amérique centrale, les Nations unies défendaient les peuples opprimés de ces pays. Nous avions pour nous le droit international. Nous avions pour nous les droits humains. Nous avions pour nous les principes. Notre autorité était ancrée dans notre intégrité. Mais ce n’est plus le cas.

Au cours des dernières décennies, des membres importants des Nations unies ont cédé au pouvoir des États-Unis et à la peur du lobby israélien, abandonnant ces principes et renonçant au droit international lui-même. Nous avons beaucoup perdu dans cet abandon, notamment notre propre crédibilité mondiale. Mais c’est le peuple palestinien qui a subi les plus grandes pertes à cause de nos échecs. L’ironie de l’histoire veut que la Déclaration universelle des droits humains (DUDH) ait été adoptée l’année même où la Nakba a été perpétrée contre le peuple palestinien.

Alors que nous commémorons le 75e anniversaire de la DUDH, nous ferions bien d’abandonner le mythe éculé selon lequel la DUDH est née des atrocités qui l’ont précédée, et d’admettre qu’elle est née en même temps que l’un des génocides les plus atroces du XXème siècle, celui de la destruction de la Palestine. D’une certaine manière, les auteurs de la Déclaration promettaient les droits humains à tout le monde, sauf au peuple palestinien. N’oublions pas non plus que les Nations unies ont commis le péché originel de faciliter la dépossession du peuple palestinien en ratifiant le projet colonial européen qui s’est emparé des terres palestiniennes et les a remises aux colons. Nous avons tant à nous faire pardonner.

Mais la voie de l’expiation est claire. Nous avons beaucoup à apprendre de la position de principe adoptée ces derniers jours dans les villes du monde entier, où des millions de personnes s’élèvent contre le génocide, même au risque d’être battues et arrêtées. Les Palestiniens et leurs alliés, les défenseurs des droits humains de tous bords, les organisations chrétiennes, musulmanes et les voix juives progressistes qui disent “pas en notre nom”, montrent tous la voie. Il ne nous reste plus qu’à les suivre.

Hier, à quelques rues d’ici, la gare Grand Central de New York a été complètement envahie par des milliers de juifs défenseurs des droits humains, solidaires du peuple palestinien et exigeant la fin de la tyrannie israélienne (nombre d’entre eux risquant d’être arrêtés). Ce faisant, ils ont balayé en un instant l’argument de propagande de la hasbara israélienne (et le vieux cliché d’antisémitisme) selon lequel Israël représenterait en quelque sorte le peuple juif. Ce n’est pas le cas. Et, en tant que tel, Israël est seul responsable de ses crimes. Sur ce point, il convient de répéter, malgré les calomnies du lobby israélien, que la critique des violations des droits humains par Israël n’est pas antisémite, pas plus que la critique des violations saoudiennes n’est islamophobe, la critique des violations du Myanmar n’est anti-bouddhiste, ou la critique des violations indiennes n’est anti-hindouiste. Lorsqu’ils cherchent à nous faire taire en nous calomniant, plutôt que faire silence, nous devons élever la voix. J’espère que vous conviendrez, Monsieur le Haut Commissaire, qu’il s’agit là de l’essence même du parler vrai aux puissants. 

Mais je trouve également de l’espoir dans tous ces membres des Nations unies qui, en dépit des énormes pressions exercées, ont refusé de compromettre les principes de l’Organisation en matière de droits humains. Nos rapporteurs spéciaux indépendants, nos commissions d’enquête et nos experts des organes de traités, ainsi que la majorité de notre personnel, ont continué à défendre les droits humains du peuple palestinien, alors même que d’autres membres des Nations unies (même au plus haut niveau) ont honteusement courbé l’échine devant les puissants. En tant que gardien des normes et standards en matière de droits humains, le HCDH (ndt Haut-Commissariat aux droits humains) a le devoir particulier de défendre ces normes. Notre tâche, je crois, est de faire entendre notre voix, du secrétaire général à la dernière recrue des Nations unies et, horizontalement, dans l’ensemble du système des Nations unies, en insistant sur le fait que les droits humains du peuple palestinien ne font l’objet d’aucun débat, d’aucune négociation, ni d’aucun compromis, où que ce soit sous la bannière bleue.

À quoi ressemblerait donc une position fondée sur les normes de l’ONU ? À quoi travaillerions-nous si nous étions fidèles à nos exhortations rhétoriques sur les droits humains et l’égalité pour tous, la responsabilité pour les criminels, la réparation pour les victimes, la protection des personnes vulnérables et l’autonomisation des détenteurs de droits, le tout dans le cadre de l’État de droit ? La réponse, je crois, est simple – si nous avons la lucidité de voir au-delà des écrans de fumée de la propagande qui déforment la vision de la justice pour laquelle nous avons prêté serment, le courage d’abandonner peur et déférence à l’égard des États puissants et la volonté de brandir l’étendard des droits humains et de la paix. Certes, il s’agit d’un projet à long terme et d’une voie escarpée. Mais nous devons commencer maintenant à moins de nous abandonner à une horreur indicible. Je vois dix points essentiels :

1. Une action légitime : tout d’abord, nous devons, au sein des Nations unies, abandonner le paradigme d’Oslo, qui a échoué (et qui est en grande partie fallacieux), sa solution illusoire à deux États, son Quartet impuissant et complice, et le détournement du droit international aux diktats de son supposé bien-fondé politique. Nos positions doivent se fonder sans équivoque sur les droits humains et le droit international.

2. Une vision claire : nous devons cesser de prétendre qu’il s’agit simplement d’un conflit territorial ou religieux entre deux parties belligérantes et admettre la réalité de la situation, à savoir qu’un État au pouvoir disproportionné colonise, persécute et dépossède une population autochtone sur la base de son appartenance ethnique.

3. Un État unique fondé sur les droits humains : nous devons soutenir l’établissement d’un État unique, démocratique et laïque dans toute la Palestine historique, avec des droits égaux pour les chrétiens, les musulmans et les juifs, et, par conséquent, le démantèlement du projet colonialiste profondément raciste et la fin de l’apartheid sur tout le territoire.

4. Lutte contre l’apartheid : nous devons réorienter tous les efforts et toutes les ressources des Nations unies vers la lutte contre l’apartheid, comme nous l’avons fait pour l’Afrique du Sud dans les années 1970, 1980 et au début des années 1990.

5. Retour et indemnisation : nous devons réaffirmer et insister sur le droit au retour et à l’indemnisation complète de tous les Palestiniens et de leurs familles qui vivent actuellement dans les territoires occupés, au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans la diaspora à travers le monde.

6. Vérité et justice : nous devons appeler à un processus de justice transitionnelle, utilisant pleinement les décennies d’enquêtes, de recherches et de rapports accumulés par l’ONU, afin de documenter la vérité et garantir la responsabilité de tous les criminels, la compensation pour toutes les victimes et la réparation des injustices documentées.

7. Protection : nous devons insister sur le déploiement d’une force de protection de l’ONU dotée de ressources suffisantes et d’un mandat solide pour protéger les civils du fleuve à la mer.

8. Désarmement : nous devons plaider pour le retrait et la destruction des stocks massifs d’armes nucléaires, chimiques et biologiques d’Israël, évitant ainsi que le conflit ne conduise à la destruction totale de la région et, qui sait, au-delà.

9. Médiation : nous devons reconnaître que les États-Unis et les autres puissances occidentales ne sont pas des médiateurs crédibles, mais plutôt des parties prenantes du conflit, qui sont complices d’Israël dans la violation des droits des Palestiniens, et nous devons les affronter en tant que tels.

10. Solidarité : nous devons ouvrir grand nos portes (et celles du secrétariat général) aux légions de défenseurs des droits humains palestiniens, israéliens, juifs, musulmans et chrétiens qui sont solidaires du peuple de Palestine et de ses droits, et mettre un terme au flux incontrôlé de lobbyistes israéliens vers les bureaux des dirigeants de l’ONU, où ils prônent la poursuite de la guerre, de la persécution, de l’apartheid et de l’impunité, tout en dénigrant nos défenseurs des droits humains à cause de leur position de principe sur les droits des Palestiniens. 

Il faudra des années pour y parvenir, et les puissances occidentales nous combattront à chaque étape du processus, c’est pourquoi nous devons faire preuve de fermeté. D’ores et déjà, nous devons œuvrer pour un cessez-le-feu immédiat et la fin du siège de Gaza, nous opposer au nettoyage ethnique de Gaza, Jérusalem, Cisjordanie (et ailleurs), documenter l’assaut génocidaire à Gaza, contribuer à apporter aux Palestiniens une aide humanitaire massive et les moyens de la reconstruction, prendre soin de nos collègues traumatisés et de leurs familles, et nous battre comme des diables pour que la démarche des bureaux politiques de l’ONU soit basée sur des principes.

L’échec des Nations unies en Palestine jusqu’à présent n’est pas une raison pour nous de renoncer. Au contraire, il devrait nous encourager à abandonner le paradigme passé qui a échoué, et à adopter pleinement une ligne de conduite plus fondée sur des principes.

En tant qu’OHCHR, rejoignons avec audace et fierté le mouvement anti-apartheid qui se développe dans le monde entier, en ajoutant notre logo à la bannière de l’égalité et des droits humains pour le peuple palestinien. Le monde nous observe. Nous devrons tous rendre compte de notre position à ce moment crucial de l’histoire. Prenons le parti de la justice.

Je vous remercie, Monsieur le Haut Commissaire Volker, d’avoir écouté ce dernier appel de mon bureau. Dans quelques jours, je quitterai le Bureau pour la dernière fois, après plus de trois décennies de service. Mais n’hésitez pas à me contacter si je peux être utile à l’avenir.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées".

 

Craig Mokhiber

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 14:38

En 1948, les palestiniens ont été arrachés à leur terre et contraints à l'exil et au déracinement. Le 15 mai de chaque année, ils commémorent cette tragédie pour rappeler à Israël et au monde entier qu'ils ne renonceront jamais à leur droit légitime au retour.

Qui peut mieux ressentir cette tragédie collective que les poètes. Mais avec le génocide en cours à Gaza, la poésie et les poètes palestiniens sont en deuil : plus de 35 000 morts et deux poètes assassinés par Israël depuis octobre 2023.

Rifaat Alareer (1979-2023) a refusé de quitter sa Gaza natale pour pouvoir écrire et informer sur la réalité des souffrances des palestiniens. Sa mort restera comme un témoignage à la fois éloquent et tragique des profondes injustices infligées au peuple palestinien. Voici un extrait de son dernier poème :

 

Si je dois mourir,

tu dois vivre

et raconter mon histoire

vendre mes affaires

acheter un bout de tissu

et quelques morceaux de ficelle,

(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)

pour qu’un enfant, quelque part à Gaza

en regardant droit vers le ciel

alors qu’il attend son papa emporté dans une explosion

sans faire ses adieux à personne

ni à sa chair

ni à lui-même –

pour qu’il voie le cerf-volant, mon cerf-volant, celui que tu as fait, prendre

son envol (1)

 

Hiba Abou Nada (1991-2023), elle aussi morte sous les bombes israéliennes le 20 octobre 2023, écrivait juste avant sa disparition :

 

Je t’accorde un refuge

contre le mal et la souffrance.

Avec les mots de l’écriture sacrée

je protège les oranges de la piqûre du phosphore

et les nuages du brouillard

Je vous accorde un refuge en sachant

que la poussière se dissipera,

et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble

riront un jour (2)

 

Parmi les poètes palestiniens, Tawfik Zayyad (1929-1994) est peut-être celui qui incarne le mieux la tragique histoire de la Palestine et de son peuple qui lutte toujours pour sa survie et pour le retour sur sa terre :

 

Mes bien-aimés

Avec mes paupières je bâtirai la route de votre retour

Avec mes paupières.

Je guérirai votre blessure, balaierai les épines de la route

Avec mes cils

Et de ma chair je construirai le pont du retour

 

Dans un autre poème il écrivait :

 

Je vous appelle

Je serre vos mains

J’embrasse la terre sous vos pieds

Et je dis : je vous donne ma vie

Je vous offre la lumière de mes yeux

Et la chaleur de mon coeur

Le drame que je vis est ma part de vos tragédies

Face à mes oppresseurs je me suis dressé
Orphelin, nu, déchaussé

J’ai préservé l’herbe verte sur les tombes de mes ancêtres

 

Sa poésie se confond même avec cette terre tant aimée de la Palestine :

 

Je graverai le numéro de chaque parcelle

de notre terre violée

et l’emplacement de notre village et ses limites

et ses maisons qu’ils ont dynamitées

et mes arbres qu’ils ont déracinés

et toutes les fleurs sauvages qu’ils ont arrachées

afin de me souvenir

Je graverai inlassablement

toutes les saisons de mes douleurs

toutes les saisons de l’infortune

de la graine

à la coupole

sur l’olivier

dans la cour de ma maison

 

Contre la force et la violence de l'occupant israélien, Zayyad opposait la puissance de sa poésie. Cette poésie simple, émouvante, populaire et tragique a circulé d'abord sous les tentes des camps de réfugiés, dans les prisons avant d'être lue, apprise et chantée dans toute la Palestine et dans tout le monde arabe. La poésie de Zayyad a réussi à briser le cercle étroit, confidentiel et élitiste dans lequel est confinée la poésie en général pour s'emparer des masses opprimées palestiniennes et arabes. La poésie subversive de Zayyad dérangeait. Arrêté, incarcéré et torturé, l'occupant israélien voulait étouffer la voix du poète.

Zayyad n'a pas quitté sa Galilée natale. Il voulait, disait-il, garder l'ombre des orangers et des oliviers de la Palestine :

 

Ici nous resterons

Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers

Si nous avons soif nous presserons les pierres

Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!

Ici nous avons un passé un présent et un avenir

 

Tawfik Zayyad est mort dans un accident de voiture dans des circonstances troubles. Il nous a laissé une moisson abondante de poèmes se transmettant de générations en générations.

Parmi ses recueils on peut citer, J'étreins vos mains, Enterrez vos morts et levez-vous, Paroles de combat, Chants de révolte et de colère, Captifs de la liberté etc.

Son oeuvre n'a toujours pas été traduite en français. Le lecteur francophone est ainsi privé d'une poésie lumineuse à la fois authentiquement palestinienne et universelle.

 

Mohamed Belaali

----------------------------

(1)https://www.belaali.com/2023/12/mort-d-un-poete-a-gaza.html

(2)https://orientxxi.info/magazine/de-la-nakba-a-gaza-poesie-et-resistance-en-palestine,7054

Partager cet article
Repost0
Published by M B
11 mai 2024 6 11 /05 /mai /2024 06:29

La journaliste palestinienne de la chaîne Al Jazeera, Shireen Abou Akleh, a été assassinée par l'armée israélienne le 11 mai 2022 à Jénine en Cisjordanie occupée. La journaliste qui portait pourtant son gilet "Presse" a été abattue par une balle dans la tête. Elle était âgée de 51 ans.

Née en 1971 à Jérusalem de parents arabes chrétiens, Shireen était la journaliste la plus célèbre d'Al Jazeera. Elle "couvrait, comme disait la journaliste Nida Ibrahim, le quotidien des palestiniens". "Toujours présente sur le terrain, Shireen ne reculait jamais. Elle a couvert une multitude d’événements palestiniens historiques - la bataille de Jénine, la deuxième Intifada, les multiples raids israéliens. Elle n’a jamais reculé, elle recueillait les preuves, rassemblait les indices, dévoilait les crimes" ajoutait Dia al-Adam le présentateur de la chaîne "Palestine TV". Elle était en quelque sorte la voix des palestiniens, la voix des sans voix.

Son cercueil avait été pris d'assaut par la police. Israël lui a refusé même ce droit élémentaire d'être enterrée dans la dignité. Et comme si cela ne suffisait pas, il a détruit la rue qui porte son nom et rasé son mémorial privant ainsi la famille et les amis de Shireen de la possibilité de lui rendre hommage sur le lieu où elle a été abattue. Le Mémorial "transmettra l'image de la vérité et celle de la souffrance pour les générations futures" disait Anton Abou Akleh, frère de la journaliste (1). La vie et la dignité du palestinien n'ont aucune espèce de valeur. Elles sont méprisées, niées. Le palestinien est dépouillé de son humanité. Il est déshumanisé, animalisé et bestialisé. C'est ce langage zoologique qu'utilise Israël lorsque il parle des palestiniens : "Nous combattons les animaux humains et agissons en conséquence" disait Yoav Galant ministre de la Défense de l'Etat sioniste.

L'assassinat de Shireen s'ajoute à la longue liste des journalistes palestiniens tués par l'armée d'occupation, sans compter les dizaines de journalistes détenus derrière les barreaux des prisons israéliennes. Rien que depuis le 7 octobre 2023, au moins 135 journalistes palestiniens ont été tués par Israël à Gaza (2).

Ces crimes resteront, comme d'ailleurs le génocide en cours à Gaza, impunis. Israël a rejeté toutes les résolutions des Nations unies et se moque de toutes les conventions. Il ne respecte ni le droit international, ni le droit humain. C'est un Etat qui ne ressemble à aucun autre. Il est au-dessus des lois. C'est un cas unique dans l'histoire récente des relations internationales. Pourtant Israël agit en pleine lumière. Il ne cache pas ses massacres. Il les expose même à la face du monde avec cette arrogance qui caractérise les colonisateurs, les oppresseurs. Cette totale impunité dont bénéficie l'entité sioniste depuis sa création en 1948 ne peut s'expliquer que par le soutien indéfectible et décisif des puissances capitalistes occidentales dont Israël est le produit le plus authentique. Elles l'ont façonné à leur image. La barbarie sioniste ne peut que ressembler à celle de ses maîtres. L'existence d'Israël sur la terre palestinienne fait partie intégrante de ce processus d'expansion européen et américain pour dominer par la violence les autres peuples de la planète. Si Israël mène aujourd'hui une guerre génocidaire à Gaza avec le soutien inconditionnel de l'occident, c'est qu'il est au cœur de cet ordre colonial et néocolonial occidental.

Israël peut poursuivre sereinement l'extermination des palestiniens jusqu' à la réalisation du projet fondateur du sionisme, le Grand Israël : toute la Palestine pour Israël, la terre promise pour un peuple élu. C'est une promesse divine.

 

Mohamed Belaali

------------------------------

(1)https://www.elmoudjahid.com/fr/monde/palestine-un-musee-a-la-memoire-de-la-journaliste-shireen-abu-akleh-199527

(2)https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/05/03/135-journalistes-palestiniens-tues-a-gaza-par-israel-en-7-mois/

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
1 mai 2024 3 01 /05 /mai /2024 12:34

 

Les gouvernements des puissances capitalistes occidentales ont atteint un degré de pourriture effroyable. Leur soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël est devenu insupportable. Au nom du droit à l'existence d'un peuple, ils sont déterminés à exterminer un autre peuple. Leur mépris des palestiniens, déshumanisés et animalisés, est absolu. Toute l'histoire de ces pays impérialistes le prouve. Leur passé n'est que violence et pillage des richesses des autres peuples que l'humanité a payé avec des millions de morts et des souffrances sans limite. Dans les Damnés de la terre, Frantz Fanon écrivait ceci : "L’Europe a acquis une telle vitesse, folle et désordonnée, qu’elle échappe aujourd’hui à tout conducteur, à toute raison et qu’elle va dans un vertige effroyable vers des abîmes dont il vaut mieux le plus rapidement s’éloigner. (,,,) Il y a deux siècles, une ancienne colonie européenne s’est mise en tête de rattraper l’Europe. Elle y a tellement réussi que les Etats-Unis d’Amérique sont devenus un monstre où les tares, les maladies et l’inhumanité de l’Europe ont atteint des dimensions épouvantables".

Il se trouve cependant que dans ces sociétés impérialistes, ennemies de l'homme et du progrès, une partie de la jeunesse a pu courageusement briser ce mur de silence qui entoure les massacres d'hommes, de femmes et d'enfants par dizaines de milliers. Sa solidarité avec le peuple palestinien est spontanée, sincère et pacifique. Juifs, musulmans ou athées ont crié ensemble : "laissez Gaza vivre". Lucide, cette magnifique jeunesse se dresse également contre la politique génocidaire menée sur la terre palestinienne par Israël avec le soutien décisif des pays occidentaux.

Effrayée par cette formidable contestation, les classes au pouvoir n'ont pas hésité à mener une véritable guerre contre leurs propres jeunesses : accusation d'antisémitisme, d'apologie du terrorisme, interdiction des conférences sur la Palestine, interdiction des manifestations, de réunions, de projections de films, dissolution d'associations de soutien aux palestiniens, arrestations, expulsions, licenciements, amendes, etc. tous les prétextes sont bons pour étouffer les voix qui dénoncent la barbarie sioniste.

La propagande médiatique est utilisée elle aussi pour stigmatiser et discréditer le mouvement de la jeunesse aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale. Liberté d'expression, de manifestation, droit de l'homme, État de droit, séparation des pouvoirs etc.

ne sont que de grossiers mensonges destinés à leurrer les classes populaires et à imposer le silence sur l'extermination de tout un peuple.

Mais malgré cette répression, les jeunes poursuivent avec détermination leur combat contre le génocide et pour la paix. Ils ont réussi, comme ces fleurs sauvages, à sortir un peu partout des fissures de ce solide mur de silence érigé autour de la tragédie palestinienne par les gouvernements des puissances capitalistes oppressives.

 

Mohamed Belaali

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
25 avril 2024 4 25 /04 /avril /2024 06:54

 

Il est difficile sous le régime de Macron de s'opposer au génocide qui se déroule sous nos yeux à Gaza. Antisémitisme, apologie du terrorisme, interdiction des conférences sur la Palestine, interdiction des manifestations, de réunions, de projections de films, dissolution d'associations de soutien aux palestiniens, arrestations, expulsions, licenciements, amendes, etc. tous les prétextes sont bons pour étouffer les voix qui dénoncent la barbarie sioniste. La liste de militants et militantes, de penseurs, de poètes, d'artistes, d'universitaires, de journalistes, de syndicalistes, d'hommes et de femmes politiques, accusés d'antisémitisme ou d'apologie du terrorisme est impressionnante. En France, la solidarité avec la Palestine est désormais un délit puni par la loi (1). Au nom de l'Etat d'Israël on réprime toute velléité d'exprimer une opinion, une pensée différente de celle du pouvoir. Toute contestation, toute opposition et toute dénonciation de l'entité sioniste aussi minime soit-elle est impitoyablement réprimée et l'antisionisme se confond avec l'antisémitisme. Toute critique est antisémite. Emmanuel Macron ne disait-il pas en mars 2022 que "l’antisémitisme et l’antisionisme sont les ennemis de notre République" ? (2) La résistance à la politique de l'Etat d'Israël est systématiquement qualifiée de terrorisme. Même si la résistance à l'occupant est un droit naturel reconnu par les Nations Unies, le peuple palestinien est réduit à des «bandes de terroristes» qui menacent l'existence même d'Israël !

En parallèle de ces attaques contre la liberté d'expression, une violente campagne est menée tambour battant par les médias du pouvoir et des milliardaires contre les opposants à la guerre d'extermination menée par le gouvernement israélien contre le peuple palestinien. Leur alignement sur la propagande de l'armée israélienne les poussent à délégitimer, à stigmatiser, à déformer systématiquement tous les propos qui ne vont pas dans le sens du soutien à l'entité sioniste.

Il faut vaille que vaille soutenir l'Etat d'Israël et accepter dans le silence l'extermination du peuple palestinien qui constitue un obstacle vivant à la réalisation du Grand Israël dont rêvaient tous les dirigeants sionistes, toute tendance confondue, de Herzl à Netanyahou en passant par Weizmann, Ben Gourion et Jabotinsky. Les massacres d’Israël doivent se faire "dans les murmures ou dans un silence total (...)" écrivait Jean Genet dans "Quatre heures à Chatila" (3).

Le but final d'Israël et des puissances oppressives occidentales est d'exterminer le peuple palestinien si son expulsion hors de la Palestine s'avère impossible.

Mais les palestiniens, comme tous les autres peuples du monde, ne renonceront jamais à leur terre. Le leader le moins hypocrite du sionisme politique Vladimir Jabotinsky le disait lui-même :

"Tout peuple indigène considère son pays comme son foyer national dont il sera toujours complètement le maître. Il ne tolérera jamais volontairement, non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire (...). La colonisation ne peut être menée que contre la volonté des Arabes palestiniens".(4)

Le poète palestinien Tawfik Zayyad exprime lui aussi l'attachement de son peuple à la terre palestinienne. Sa poésie se confond avec cette terre tant aimée, cette "terre violée" de la Palestine come il disait :

"Ici nous resterons

Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers

Si nous avons soif nous presserons les pierres

Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!

Ici nous avons un passé un présent et un avenir" (5)

 

Mohamed Belaali

 

-----------------------------

(1)Voir entre autres https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-10/JUSD2327199C.pdf

(2)https://orientxxi.info/magazine/la-criminalisation-de-la-solidarite-avec-la-palestine-gagne-du-terrain-en,6613

(3)Jean Genet, "L’ennemi déclaré". Textes et entretiens. Gallimard. Page 243.

(4)Lottfallah Soliman "Pour une histoire profane de la Palestine" page 34

(5)https://www.belaali.com/2022/05/un-poete-palestinien-tawfik-zayyad.html
 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
17 avril 2024 3 17 /04 /avril /2024 07:08

 

"Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de

chacun d'entre nous ?". Franck Pavloff

 

Perte de repères idéologiques, guerre ouverte contre les chômeurs, les malades et les pauvres en général, "économie de guerre" face à la menace extérieure, indifférence aux tragédies humaines qui endeuillent notre planète, manipulation de la population par les médias de masse contrôlés par le pouvoir et les milliardaires, frustrations, passivité et résignation populaires, montée des idées xénophobes, banalisation des discours racistes par des chaînes de télévision très complaisantes, persécution des musulmans qui remplacent les juifs d'hier, un seul et même parti donné toujours gagnant par les sondages et les médias, "Voisins Vigilants" parallèlement à la police qui traquent délinquants et voleurs, uniforme à l'école, gavage et dressage en guise d'enseignement, etc. etc. Voici quelques éléments qui dominent la vie quotidienne dans la France d'aujourd'hui secouée par une crise économique profonde.
Ces idées sont en train de contaminer les masses et la plupart des organisations politiques et syndicales. Elles risquent de s'emparer du pouvoir de l'Etat. C'est peut-être la fin d'une période et le début d'une autre. Déjà très dégradées aujourd'hui, les libertés individuelles et collectives le seront encore davantage demain. Mais la majorité de la population s'adaptera facilement et rapidement à la nouvelle situation.

Il deviendra alors difficile d'exprimer une opinion différente de celle du pouvoir. Toute pensée libre sera réduite au silence. Les hérétiques seront persécutés et leur parole confisquée. L'opposition, si elle n'est pas encore domestiquée et intégrée, sera affaiblie et muselée. Toute voix discordante sera suspectée et réprimée. Seule compte le rassemblement et l'unité nationale.

La répression, le conformisme et la servilité constitueront la base de la cohésion sociale.

Des mots comme "classe" "exploitation" "domination" "révolution" par exemple perdront leur contenu critique et la transformation radicale de la société apparaîtra comme utopique, irrationnelle et finalement irréalisable.

La propagande, la manipulation, l'endoctrinement permanents remplacent l'information, les apparences se confondent avec la réalité, la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux est difficile à établir et les intérêts d'une petite minorité de riches deviennent les intérêts de tous.

Les opprimés ainsi conditionnés sont poussés à choisir "librement et démocratiquement" leurs oppresseurs, renouvelant alors sans vraiment le vouloir leur propre servitude.

 

Mohamed Belaali

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
10 avril 2024 3 10 /04 /avril /2024 06:56

L'écrivain palestinien Walid Daqqa est décédé le 7 avril 2024 en détention après avoir passé 38 ans dans les prisons israéliennes, "lieu sans portes" comme il disait. Atteint du cancer de la moelle osseuse, il a été privé de soins médicaux. "Torturé, humilié, privé de visites familiales et de soins médicaux" (1) dénonçait Amnesty international quelques semaines avant sa mort. Walid Daqqa avait purgé sa peine de 37 ans en 2023 pour avoir tué un soldat israélien, mais un tribunal de l'entité sioniste l'a condamné à 2 ans supplémentaires.
Daqqa était l'auteur de plusieurs romans comme "Témoignages de résistance : La bataille du camp de Jénine 2002″ (2004), "La conscience façonnée ou la ré-identification de la torture" (2010), mais aussi des contes pour enfants, notamment "L’histoire secrète de l’huile" (2018), "Le conte secret de l’épée" (2021) ou encore "Le conte secret de l’esprit / Le retour des martyrs à Ramallah" (2022). Lors de la publication de son dernier livre pour enfant, "Le secret du pétrole ", Daqqa est placé en isolement. Dans la préface, Daqqa avait écrit : "J’écris jusqu’à ce que je sois libéré de prison, avec l’espoir de libérer la prison de moi".

Mais Walid Daqqa était aussi poète. Voici un de ses poèmes écrit pour sa fille Milad :

 

Un lieu sans porte

 

Un jour où Milad venait de rentrer d’une escapade au bord de l’océan, je lui ai promis au téléphone que je l’emmènerais là-bas, la prochaine fois. Elle s’est arrêtée quelques secondes, hésitante, comme si elle ne voulait pas me choquer, avant de finalement répondre : « non, tu n’as pas de porte ».

Longtemps, à chaque fois que Milad me demandait au téléphone « papa, où es-tu ? », j’évitais d’utiliser le mot prison. Je craignais que ce soit trop pour elle, à cet âge tendre, de commencer à vivre avec ce mot et ses lourdes implications. Déchiré, je me débattais avec cette question : devais-je dire à ma fille la vérité ? Ou devais-je lui cacher la réalité amère, empêcher les implications du mot prison de s’immiscer dans son imagination ?

Avec ses visites, Milad avait compris ce qu’était une prison bien avant qu’elle ne connaisse la signification du mot. Pour elle, c’était un lieu sans porte. Où son père était confiné. Qu’il était incapable de quitter. Et pour elle, s’il n’y avait pas de porte, il ne pouvait y avoir d’escapade au bord de l’océan. Pas de petit-déjeuner pris ensemble. Et pas d’opportunité pour moi de l’accompagner à la garderie qu’elle appelait affectueusement « l’école ».

 

(1)https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/7798/2024/en/

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 08:39

 

A l'occasion de la journée internationale des femmes, il est peut-être utile de rappeler le combat de cette révolutionnaire qui a consacré toute sa vie à se battre pour une société plus juste.

 

Eleanor était la dernière des six enfants de Karl et Jenny Marx. Elle est née à Londres dans le quartier misérable de Soho en 1855 et décédée dans la même ville en 1898 à l'âge de 43 ans. Plus tard, elle décrira la période noire de Soho comme "des années d'horrible pauvreté, de souffrances amères - des souffrances que seul l'étranger sans le sou dans un pays étranger peut connaître" (1).

Très proche de son père, elle fut également sa " secrétaire " dès l'âge de 16 ans. Polyglotte, Eleanor a tra

duit en anglais non seulement certaines œuvres de son père comme Value, Price and Profit par exemple, mais aussi Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert et History of the Paris Commune of 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray.

Eleanor ou "Tussy" comme aimaient l'appeler affectueusement ses parents, était passionnée de littérature et de théâtre. Son poète préféré était William Shakespeare. Eleanor a traduit aussi des pièces comme La Dame de la mer ou Un ennemi de la société du dramaturge norvégien Henrik Ibsen.

Influencée par son père et par F. Engels, elle développa très tôt son goût pour l'action et le combat politique. Sa devise préférée était "Allez-y !". Internationaliste, elle s'engagea avec son amie Lizzie Burns, ouvrière irlandaise analphabète et compagne de F. Engels, dans la lutte pour l'indépendance de l'Irlande. Après la semaine sanglante et la défaite de la Commune, les Marx ont reçu de nombreux refugiés communards à Londres. Paul Lafargue et Charles Longuet ont épousé Laura et Jenny Marx. Eleanor est tombée amoureuse de Lissagaray dont elle a aidé à écrire "Histoire de la Commune de 1871" avant de traduire en anglais cette œuvre qui reste encore aujourd'hui la référence sur la Commune.

Eleanor était une militante infatigable. Elle était membre de la Social Democratic Federation, premier groupe politique marxiste en Grande Bretagne. En 1884, elle quitte cette organisation devenue plutôt nationaliste et crée avec le poète William Morris et d'autres militants la Socialist League (2). Eleanor a été également la co-fondatrice de la National Union of Gasworkers avec Will Thorne en 1889. Ce syndicat qui a connu par la suite un développement rapide comptait dans ses rangs un nombre important de femmes même si elles n'occupaient malheureusement pas des postes de responsabilité (3).

Mais Eleanor s'est surtout distinguée par son combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. Pour elle, une analyse en termes de classes sociales qui ne se réfère pas à l'inégale répartition du travail domestique et du travail lié à l'éducation des enfants reste insuffisante. Mais tout combat pour l'émancipation des femmes qui ne s'insère pas en même temps dans la lutte globale contre le capitalisme est voué à l'échec. "Ainsi, non seulement il ne peut y avoir de vrai féminisme sans socialisme, mais il ne peut y avoir de véritable socialisme sans féminisme. Et ça ne peut pas attendre la révolution, ça doit faire partie du processus qui y mène" (4) .

Dans La question de la femme (1886) corédigé avec Edward Aveling son nouveau compagnon, elle écrit :"La position des femmes repose, comme tout dans notre société moderne complexe, sur une base économique (...) Ceux qui attaquent le traitement actuel des femmes sans en chercher la cause dans l'économie de notre société actuelle sont comme des médecins qui traitent une affection locale sans enquête sur la santé corporelle générale" (5).

Concernant les féministes bourgeoises, Eleanor comprend leurs revendications, mais les objectifs poursuivis par les unes et les autres sont très différents : "Les ouvrières peuvent bien comprendre les revendications du mouvement des femmes bourgeoises; elles peuvent et doivent même adopter une attitude compréhensive à l'égard de ces demandes; seulement, les buts des travailleuses et des femmes bourgeoises sont très différents. (...) Là où les femmes bourgeoises réclament des droits qui nous sont utiles aussi, nous nous battrons avec elles(...) Nous ne refuserons aucun avantage, acquis par les femmes bourgeoises dans leur propre intérêt, qu'elles nous fournissent volontairement ou non. Nous acceptons ces avantages comme des armes, des armes qui nous permettent de mieux lutter aux côtés de nos frères ouvriers. Nous ne sommes pas des femmes en lutte contre les hommes mais des travailleuses en lutte contre les exploiteurs" (6).

Dans une lettre adressée au dirigeant socialiste Ernest Belfort Bax en 1895, elle écrit :

"J'ai proposé de débattre avec vous sur la question sexuelle. Je suis, bien sûr, en tant que socialiste, pas une représentante des « droits de la femme". C'est de la Question Sexuelle et de ses fondements économiques que je me proposais de discuter avec vous. La soi-disant question des « droits de la femme » (qui semble être la seule que vous compreniez) est une idée bourgeoise. J'ai proposé de traiter la question du sexe du point de vue de la classe ouvrière et de la lutte des classes" (7).

Le 31 mars 1898, Tussy s'est donnée la mort. Elle avait 43 ans. Les amis et les proches d'Eleanor mettent en cause son compagnon Edward Avling (1849-1898) dont le rapport à l'argent et aux femmes était indigne (8).

La vie d'Eleanor a été courte mais intense. Traductrice, écrivaine, syndicaliste, féministe etc., elle était tout cela à la fois. Mais Eleanor était avant tout une femme révolutionnaire qui a consacré toute sa vie à se battre pour une société plus juste.

 

Mohamed Belaali

 

 

------------------------------------

(1)https://www.nytimes.com/2015/04/05/books/review/eleanor-marx-a-life-by-rachel-holmes.html

(2)https://spartacus-educational.com/Psocial.htm

(3)https://www.gmb.org.uk/long-read/go-ahead-celebrating-life-eleanor-marx

(4)http://links.org.au/node/4277

(5)https://www.marxists.org/archive/eleanor-marx/works/womanq.htm

(6)https://www.marxists.org/archive/draper/1976/women/5-emarx.html

(7)https://www.marxists.org/archive/eleanor-marx/1895/11/bax-exchange.htm

(8)https://maitron.fr/spip.php?article75301

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 08:19

 

Parmi les camarades du groupe Missak Manouchian, Rino Della Negra. Footballeur et résistant, Rino a été exécuté par les Nazis le 21 février 1944 à l'âge de 20 ans.

Fils d'immigrés italiens, Rino est né à Vimy dans le Pas-de-Calais le 18 août 1923. Ses parents avaient fui le régime fasciste de Mussolini. La famille de Rino, dont le père était ouvrier briquetier, changeait souvent de région à la recherche d'emploi. En 1926, les Della Negra s'installent à Argenteuil, dénommé à l'époque "la banlieue rouge", dans le quartier de Mazagran où vivait une importante communauté italienne.

A 14 ans, Rino Della Negra devient ouvrier-ajusteur dans les usines Chausson d’Asnières. Le jeune Rino fréquentait en même temps le Football Club d’Argenteuil. En 1942, il est repéré et recruté en tant qu'ailier droit par le prestigieux Red Star Club de Saint Ouen. En cette même année, le Red Star remporte sa cinquième Coupe de France.

Très marqué par la culture antifasciste qui régnait dans la communauté italienne et par l'ambiance des luttes ouvrières de l'usine, Rino refuse le Service du travail obligatoire (STO) et entre dans la résistance. Il rejoint le glorieux groupe des Francs-tireurs partisans-Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de Manouchian sous le nom de code "Robin". Tout en jouant avec le Red Star, il participe à plusieurs actions armées : "exécution du général Von Apt, 4 rue Maspero ; 10 juin, attaque du siège central du Parti fasciste italien, rue Sédillot ; 23 juin, attaque de la caserne Guynemer à Rueil. Sa dernière action eut lieu le 12 novembre 1943 avec l’attaque de convoyeurs de fonds allemands, en compagnie de Robert Witchitz, au 56 rue de La Fayette" (1)

Blessé, Rino est arrêté, interrogé et torturé par la police française et par la Gestapo. Il est ensuite jugé par une cour martiale allemande avec les "terroristes de l'Affiche rouge" le 17 février 1944.

Le 21 février 1944, Rino est exécuté au Mont-Valérien avec ses camarades du groupe Manouchian. Dans une ultime lettre, Rino écrivait à son petit frère ces quelques phrases simples : "Je veux t’envoyer un dernier petit mot pour que tu réconfortes de ton mieux Maman et Papa. (...) Embrasse bien fort tous ceux que je connaissais. Tu iras au Club Olympique Argenteuillais et embrasse tous les sportifs du plus petit au plus grand. Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star." (2)

Rino Della Negra est enterré avec Manouchian au cimetière d’Ivry-sur-Seine dans le Carré des Fusillés,

Aujourd'hui encore son nom résonne dans le stade Bauer (3) dont une plaque commémorative en son honneur a été inaugurée en 2004. Le conseil municipal de Saint-Ouen a décidé en 2020 de donner le nom de Rino Della Negra à une rue de la ville dans le quartier des Docks. Une autre rue à Argenteuil où sa famille s'était installée en 1926 porte également son nom.

Rino Della Negra était bien plus qu'un footballeur. Il était avant tout un militant antifasciste sincère et courageux. Le fascisme, déguisé dans ses nouveaux habits, est aujourd'hui au seuil du pouvoir. Le ventre du capital est encore capable d'enfanter la bête immonde pour paraphraser Brecht. En ces temps de crises économiques, sociales et écologiques, la bourgeoisie aux abois n'hésite pas à s'allier avec des forces obscurantistes et à détourner la colère populaire des véritables problèmes en ciblant prioritairement les immigrés et leurs enfants. Rino Della Negra ouvrier et fils d'ouvrier immigré a pu écrire en France l'une des plus belles pages de la résistance en s'engageant dans une lutte à mort contre le fascisme. Son combat n'a jamais été aussi actuel qu'aujourd'hui.

 

Mohamed Belaali

 

Blog M Belaali

 

----------------------------------

(1) https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article22069

(2) https://collectifredstarbauer.wordpress.com/rino-della-negra/

(3) https://www.redstar.fr/2022-05-23/bauer/bauer-3/

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by M B
21 janvier 2024 7 21 /01 /janvier /2024 08:05

 "Sa volonté était uniquement inébranlablement tendue, comme une force 

 irrésistible de la nature, vers un seul but : la Révolution". Clara Zetkin.

 

Le 21 janvier 1924, Lénine, le grand Lénine a cessé de vivre à l'âge de cinquante quatre ans. Si la vie lui avait accordé quelques années de plus, le sort de la Révolution d'octobre aurait été probablement différent. En cette sombre période de débandade idéologique et de barbarie capitaliste, il est utile, voire nécessaire de rappeler quelques idées d'un homme qui a, qu'on le veuille ou non, profondément marqué l'histoire contemporaine. Parler de Lénine, c'est en quelque sorte lui redonner la parole, citer ses écrits et souligner son rôle décisif dans la glorieuse Révolution d'octobre 1917.

La révolution que la bourgeoisie hait de toutes ses forces, Lénine lui a consacré et sacrifié toute sa vie. Seule la révolution socialiste mondiale peut sauver l'humanité du capitalisme et de ses ravages qui deviennent aujourd'hui de plus en plus évidents et de plus en plus insupportables. Pour faire triompher la révolution, Lénine s'appuyait sur la doctrine de Marx et d'Engels, inconciliable avec le charlatanisme et la superstition. C'est lui qui disait «sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire» (1), Lénine a déclaré une guerre implacable à la société de classe, à l'esclavage salarié, à l’État bourgeois, à la soumission de la femme à l'homme, au chauvinisme national, à toute forme d'opportunisme, à l'oppression, bref à toutes les conditions économiques, sociales et politiques qui méprisent et avilissent les hommes.

Pour Lénine, la marche en avant vers le socialisme ne peut résulter d’une quelconque perfection de la démocratie bourgeoise, de la conciliation des classes etc. Seule une révolution est en mesure de mettre un terme à la résistance de la minorité d’exploiteurs, et d’enfanter une nouvelle société.

Lénine s'est battu inlassablement avec toute son énergie et sur tous les fronts pour rendre possible la Révolution socialiste tant rêvée et espérée par tous les opprimés et par tous les exploités du monde.Toutes ses forces, toutes ses actions pratiques, tout son travail théorique et toutes ses tactiques tendaient vers la même stratégie, l'émancipation des travailleurs, vers la révolution non seulement en Russie mais à l'échelle planétaire.

Mais aujourd'hui pour tous les bourgeois du monde, petits et grands, Lénine est un monstre, un démon, un dictateur responsable de tous les crimes et de toutes les horreurs possibles et imaginables. On ne lui pardonnera jamais d'avoir appelé les ouvriers, les paysans pauvres et les soldats à se dresser, les armes à la main, contre la société bourgeoise. «Malheur au génie qui s’oppose fièrement à la société bourgeoise et qui forge les armes qui lui donneront le coup de grâce. A un tel génie, la société bourgeoise réserve des supplices et des tortures qui peuvent paraître moins barbares que ne l’étaient le chevalet de l’Antiquité et le bûcher du Moyen Age, mais qui au fond n’en sont que plus cruels» disait Franz Mehring parlant d'un autre génie, Karl Marx (2). De son vivant déjà, Lénine était haï, détesté, calomnié et persécuté par les classes possédantes et par tous les opportunistes du mouvement ouvrier. On a même tenté de l'assassiner à coups de revolver. Les balles qui l'ont touché ont certainement contribué à abréger sa vie. Cet attentat sur la personne de Lénine montre à l'évidence la haine viscérale que lui vouent les ennemis de la classe ouvrière. Rien de plus normal dans une société fondée sur la lutte des classes ! «Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies» disait Lénine (3).

Un siècle après sa mort, les idées de Lénine font toujours peur à tous les défenseurs de l'ordre établi. Car Lénine s'est attaqué aux fondements même des pouvoirs de cette minorité d'exploiteurs qui n'hésite et qui ne recule devant rien pour perpétuer ses privilèges. Lénine a démontré que sans le renversement du capitalisme par une révolution socialiste, point de salut pour tous les travailleurs et pour tous les opprimés. Le véritable crime de Lénine c'est d'avoir remplacé la Révolution bourgeoise de février 1917 par la Révolution socialiste d'octobre. Ce crime là, la bourgeoisie ne lui pardonnera jamais. «Lénine doit naturellement apparaître comme Attila venu détruire la Rome du bien-être et du confort bourgeois, basé sur l'esclavage, le sang et le pillage. Mais de même la Rome antique a mérité sa perte, de même les crimes du monde contemporain justifient la nécessité de sa destruction» disait Maxime Gorki (4).

Lénine était aimé et admiré par les ouvriers et les paysans pauvres. Il savait leur expliquer des choses profondes avec des mots simples. John Reed le décrivait ainsi : «Peu fait, physiquement, pour être l'idole de la foule, il fut aimé et vénéré comme peu de chefs au cours de l'histoire. Un étrange chef populaire, chef par la seule puissance de l'esprit. Sans brillant, sans humour, intransigeant et détaché, sans aucune particularité pittoresque, mais ayant le pouvoir d'expliquer des idées profondes en termes simples, d'analyser concrètement des situations et possédant la plus grande audace intellectuelle» (5).

 

Il ne s'agit pas ici de verser dans le culte de la personnalité ou de l'idolâtrie. Lénine lui-même combattait fermement ce genre de futilités. Ce sont les masses qui font l'histoire et non «les grands hommes». «Il n'est pas de sauveurs suprêmes» disait Eugène Pottier dans l'Internationale. Mais pour faire la révolution, les masses ont besoin de chefs de la trempe de Lénine et des intellectuels révolutionnaires : «les ouvriers ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que du dehors. L'histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste, c'est-à-dire à la conviction qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. De même en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d'une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes» (6).

Sans Lénine, la Révolution d'octobre 1917 n'aurait probablement jamais triomphé. La révolution était le produit des rapports sociaux de la Russie de l'époque. Mais Lénine agissait dans le cadre des conditions sociales et politiques particulières. La Première Guerre mondiale et la Révolution de février étaient des occasions, des opportunités à ne pas manquer pour renverser le Gouvernement provisoire et donner ainsi le pouvoir aux ouvriers et aux paysans pauvres.

En 1915, un an seulement après le déclenchement de cette terrible guerre impérialiste, Lénine appelait déjà à la transformer en guerre civile : «Le caractère réactionnaire de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous les pays, qui dissimule ses visées de brigandage sous le manteau de l'idéologie “ nationale ”, suscitent nécessairement, dans la situation révolutionnaire qui existe objectivement, des tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est d'aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile exprime correctement cette tâche, et toute lutte de classe conséquente pendant la guerre, toute tactique sérieusement appliquée d'“ actions de masse ” y mène inévitablement» (7).

Lénine expliquait à qui veut l'entendre qu'il ne s'agit nullement d'une simple opposition à la guerre, mais de renverser tous les gouvernements en guerre à commencer par celui de la Russie.

Mais son propre parti n'était pas prêt à cette tâche c'est-à-dire mener la révolution bourgeoise déclenchée en février jusqu'à son terme. La plupart des dirigeants bolcheviks, avant le retour de Lénine de l'exil en avril 1917, étaient prêts à travailler avec le Gouvernement provisoire de Kérenski composé de bourgeois et de propriétaires terriens.

Dans ses célèbres «thèses d'avril», Lénine exige des Bolcheviks de se préparer à l'insurrection et à la prise du pouvoir : «Ce qu'il y a d'original dans la situation actuelle en Russie, c'est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie» (8).

Les thèses de Lénine ont été accueillies avec beaucoup d'hostilité :«Même ses camarades de parti, les bolcheviks ahuris, se détournèrent alors de lui» écrivait Trotsky dans « Histoire de la révolution russe». Lénine se trouva alors seul avec ses idées révolutionnaires. Mais en même temps, il savait qu'il pouvait compter sur les ouvriers, les paysans pauvres, la base du parti et sur les soldats qui désertaient massivement le front. Lénine disait que «ce pays d'ouvriers et de paysans indigents était mille fois plus à gauche que les Tchernov et les Tsérételli et cent fois plus à gauche que nous autres, bolcheviks» (9) . Les masses opprimées savent que les puissants ne renoncent jamais à leurs privilèges, qu’ils n’accordent jamais rien par générosité ou grandeur d’âme et qu’ils ne reculent devant rien pour sauver leurs intérêts et perpétuer leur système. Elles ont compris, comme Lénine, que le moment était venu pour s'emparer du pouvoir les armes à la main.

Mais la direction du parti continue à tergiverser. Lénine devient de plus en plus impatient «Les bolchéviks doivent prendre le pouvoir sur le champ disait-il dans une lettre au comité central. (…) Temporiser est un crime. Attendre le Congrès des Soviets, c'est faire preuve d'un formalisme puéril et déshonorant ; c'est trahir la révolution» (10).

Le 24-25 octobre (6-7 novembre) 1917, les ouvriers, les paysans et les soldats russes s'emparent du pouvoir, un pouvoir qui les asservissait, qui les opprimait.

En ces premiers moments historiques, «quelque chose s’était brusquement éveillé en tous ces hommes écrivait John Reed. L’un parlait de la révolution mondiale en marche, un autre de l’ère nouvelle de fraternité, où tous les peuples ne seront plus qu’une grande famille (…) Mus par une commune impulsion, nous nous trouvâmes soudain tous debout, joignant des voix dans l’unisson et le lent crescendo de l’Internationale. Le chant roulait puissamment à travers la salle, ébranlant les fenêtres et les portes et allant se perdre dans le calme du ciel».(11).

La Révolution d'octobre 1917 a renversé l'ordre ancien et ouvert les perspectives pour une nouvelle forme supérieure de vie. «La seule raison du succès des bolcheviks, c’est qu’ils réalisaient les vastes et élémentaires aspirations des couches les plus profondes du peuple, les appelant à l’ œuvre de destruction du passé et coopérant avec elles pour édifier sur ses ruines encore fumantes un monde nouveau» (12). Après la glorieuse Commune de Paris, les masses opprimées guidées par Lénine s’emparent à nouveau du pouvoir et entrent dans l’Histoire.

Mais on ne peut parler de Lénine sans évoquer sa compagne Nadejda Kroupskaïa. Comme disait Clara Zetkin «Il est impossible de parler de lui sans penser à elle. Elle était la main droite de Lénine, son meilleur secrétaire, sa compagne dévouée, la meilleure interprète de ses idées» (13).

Son dévouement a beaucoup aidé Lénine à supporter la clandestinité et la vie pénible des révolutionnaires partout traqués par la police du Tsar. Rappelons que Lénine et Nadejda Kroupskaïa ont passé plus de quinze ans dans l'immigration changeant sans cesse de pays, de villes et de logements. Kroupskaïa a probablement souffert plus que Lénine des affres de l'exil. Elle menait de front plusieurs combats et plusieurs tâches. En plus de ses travaux scientifiques dans le domaine de la pédagogie qui embrassent tous les domaines de la politique éducative (14), elle consacrait une grande partie de son temps à la diffusion des brochures et documents du parti, combattait les ennemis de Lénine, engageait des luttes pour la cause des femmes etc. mais si «la vie n'était pas gaie» en exil, le retour du couple en Russie en avril 1917 était triomphal : «Les masses, ouvriers, soldats, matelots, s'étaient portées au-devant de leur chef. Tout autour de nous, c'était une mer humaine qui bouillonnait. Qui n'a pas vu la révolution ne peut s'en imaginer la beauté majestueuse, triomphale» disait Nadejda Kroupskaïa dans « Souvenirs sur Lénine » (15).

Au crépuscule de sa vie, malade, affaibli et éloigné du pouvoir, Lénine pouvait encore et toujours compter sur sa plus fidèle camarade, Nadejda. C'est dire le rôle joué par cette femme discrète dans la vie de Lénine et partant dans la révolution d'octobre.

Le 21 janvier 1924, Lénine a cessé de vivre à l'âge de cinquante quatre ans. Si la vie lui avait accordé quelques années de plus, le sort de la Révolution d'octobre aurait été probablement très différent. En tout cas, ses ennemis se sont empressés, contre la volonté de sa veuve, d'embaumer son corps afin de consolider leur propre pouvoir et pour mieux enterrer ses idées révolutionnaires.

Parlant des chefs des classes opprimées en lutte, Lénine disait «Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu , on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire» (16).

Après l'adieu officiel à Lénine, Nadejda Kroupskaïa prononça ces paroles : «Camarades, ouvriers et ouvrières, paysans et paysannes. Ne laissez pas votre peine se transformer en adoration extérieure de la personnalité de Vladimir Ilitch. Ne construisez pas de palais ou de monuments à son nom. A toutes ces choses, il accorda peu d'importance au cours de sa vie. Ça lui était même pénible.(...) Si vous voulez honorer la mémoire de Vladimir Ilitch, construisez des crèches, des jardins d'enfants, des maisons, des écoles, des hôpitaux, et mieux encore vivez en accord avec ses préceptes» (17). Son avertissement n'a pas été vraiment entendu.

Mohamed Belaali

---------------------------------

(1)Lénine, « Que faire », Éditions du progrès, page 46.

(2)Franz Mehring «Karl Marx, histoire de sa vie », Bartillat, page 261.

(3)Lénine « L'Etat et la révolution » :

https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er1.htm

(4)Maxime Gorki dans V I Lénine : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1478992/f1.image

(page 13).

(5) John Reed, «Les dix jours qui ébranlèrent le monde », Editions Tribord, 2010, page 220 .

(6)Lénine, « Que faire ? » op cit, page 56.

https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1902/02/19020200g.htm

(7)https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800b.htm

(8) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170407.htm

(9)https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/04/lt1924042100c.htm

(10)https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171001b.htm

(11)John Reed, « Dix jours qui ébranlèrent le monde ». Op cit. pages 228 et 229.

(12)John Reed, op. cit.

(13)Clara Zetkin, «Souvenirs sur Lénine» : https://www.marxists.org/francais/zetkin/works/1924/01/zetkin_19240100.htm

(14)http://www.ibe.unesco.org/sites/default/files/kroupskf.pdf

(15)Nadejda Kroupskaïa, «Souvenirs sur Lénine» :

https://www.marxists.org/francais/kroupskaia/works/1924/00/emigration.htm )

(16) Lénine, «L’État et la révolution», op.cit.

(17)Cité dans Tariq Ali, «Les dilemmes de Lénine», Sabine Wespieser éditeur, 2017, page 459.

Partager cet article
Repost0
Published by M B