Face à la barbarie du capitalisme qui est en train de détruire l'homme et la nature, l'appel de Marx à le renverser n'a jamais été aussi urgent qu'aujourd'hui. Tous les faits donnent raison à sa pensée révolutionnaire : crises à répétition, extermination des populations entières à travers la planète, menace réelle d'une guerre nucléaire, destruction systématique de notre planète, exploitation de plus en plus violente de la force de travail, richesses fabuleuses entre les mains de quelques uns et misère sordide pour tous ceux qui ne possèdent rien, etc. Derrière ce chaos destructeur et ce déchaînement infernal se cache cette recherche effrénée du profit. Face à ce constat et face également à cette débandade idéologique qui caractérise notre époque, la doctrine de Marx reste indispensable pour réveiller, éduquer, organiser et mobiliser les forces capables de faire éclater cette sociétéet libérer les hommes de toutes les tares du capitalisme. Car il ne s'agit pas seulement d'améliorer la société actuelle, mais d'en préparerla naissance d'une nouvelleoù "Le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous" (*).
Mais si "la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle", il n'en demeure pas moins que " la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu'elle pénètre les masses. La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu'elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu'elle devient radicale. Être radical, c'est prendre les choses par la racine".Le combat pour l'émancipation et pour "renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable" passe donc, en parallèle de la lutte économique et politique, par la lutte théorique. Car "sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire".
La bourgeoisie qui possède les moyens matériels de production, concentre également entre ses mains les moyens de production intellectuels : grands médias, réseaux socionumériques, influenceurs politiques, instituts de sondage, programmes scolaires et universitaires, industries culturelles, groupes de réflexion,institutions religieuses, techniques publicitaires, institutions internationales etc. etc. "Les pensées de la classe dominante, écrivaient Marx et Engels, sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante ".
Cette idéologie dominante qui sature l'espace public et privé, cherche à dissimuler la réalité de la violence des rapports sociaux pour mieux légitimer l'ordre établi. Elle façonne et conditionne notre manière de penser et d'agir. Elle fixe dans nos cerveaux des représentations dont le seul but est de consolider le système d'exploitation des uns par les autres. Il s'agit pour la bourgeoisie de désarmer et de priver la classe des travailleurs de ses instruments idéologiquesqui lui permettent de résister et de lutter efficacement contre toute sorte de manipulation, d'exploitation et d'oppression.
Toutefois si le changement radical de la société est nécessaire et urgent, cela ne suffit évidemment pas à provoquer ce changement. Car la classe dirigeante qui possède tous les pouvoirs, ne recule devant aucun obstacle pour défendre et perpétuer son système. Les puissants ne renoncent jamais à leurs privilèges. Ils n'accordent jamais rien par générosité ou grandeur d'âme. Et lorsque les conflits s'aiguisent et la lutte prend de l'ampleur, cette minorité d'exploiteurs devient brutale, arrogante et odieuse. En France par exemple sa férocité envers les Gilets jaunes, le mouvement contre la "réforme" des retraites, les mobilisations contre les méga-bassines de Sainte Soline, la révolte des quartiers populaires restent à cet égard des exemples éloquents. Rien de plus normal dans une société fondée sur la lutte des classes : "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes". Toute l'histoire des classes dominantes n'a été que férocité et cruauté exercées sur les dominés pour se maintenir au pouvoir. Renverser la domination des oppresseurs pour une transformationradicale et qualitative de la société, ne peut donc résulter uniquement d’une simple perfection de la démocratie bourgeoise et de la conciliation des classes. L’entente des classes est une chimère, une rêverie produite et entretenue par les classes exploiteuses. Elle est contredite chaque jour dans les faits. L'histoire nous apprend que le passage d'un stade de développement à un autre qui lui est supérieur s'effectue dans la violence qui est la conséquence directe de la résistance des oppresseurs."La violence, disait Marx, est l'accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs".
Même si de nos jours les conditions ne sont pas réunies, la destruction de fond en comble de ce système, ennemi de l'homme et de la nature, reste la seule et l'unique solution. Les obstacles immenses et innombrables qui se dressent face à ce changement ne sauraient effacer ni sa légitimité, ni sa nécessité. Sans un changement radical, point de salut !
Il est donc crucial de mener un combat au quotidien contre cette idéologie totalitaire qui paralyse la lutte des masses opprimées.
L'œuvre de Marx n'est pas un dogme, un catéchisme, mais un outil formidable de lutte contre un système qui échappe de plus en plus à la volonté des hommes : "la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées". Elle permet à ceux d'en bas, les exploités, les prolétaires, les esclaves modernes de prendre conscience de ce qu'ils sont réellement dans cette société, une simple marchandise qui s'achète et se vend sur le marché : "Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre".
La pensée révolutionnaire de Marx est en quelque sorte la lumière, le guide qui montre le chemin de la libération très obscurci par l'hégémonie idéologique de la classe dominante.
"Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner".
«Donne un cheval à celui qui dit la vérité; il en aura besoin pour s’enfuir».
Proverbe arabe
Julian Assange est enfin libre. Il vient de quitter le Royaume-Uni après avoir signé un accord avec le gouvernement américain pour plaider coupable. Il a évité ainsi l'extradition vers les Etats-Unis.
Mais il ne faut jamais oublier pourquoi il a été persécuté !
En révélant au monde entier les guerres génocidaires, les crimes, les massacres et les mensonges des pays impérialistes, Julian Assange savait qu'il mettait sa vie en danger. Il a ainsi dévoilé la nature profonde de ces pays. Toutes les guerres impérialistes par exemple ont été déclenchées sur la base de mensonges. Assange a osé dire la vérité. Or celle-ci est incompatible avec le fonctionnement même des sociétés capitalistes où le mensonge est érigé en principe sacré, en dogme. Toute profanation de cette règle constitue un sacrilège. Il faut laisser la population dans l'ignorance. Et comme disait Orwell dans 1984 «L'ignorance c'est la force» ! La propagande et l’endoctrinement permanents des citoyens remplacent l’information et le faux devient vrai. Les responsables de ce blasphème seront alors durement punis. Car dans cette société, les hérétiques n'ont pas leur place. Leur vérité constitue une offense, un affront et une insulte au discours mensonger dominant. Julian Assange doit être châtié, persécuté. L'obscurité du mensonge contre la lumière de la vérité. La guerre est donc déclarée contre cet homme. Pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et tous les autres pays capitalistes, Assange est l'homme à abattre. En 2010 par exemple, il a eu le courage de montrer au monde entier, à travers des centaines de milliers de documents classifiés de l'armée américaine, la réalité de l'invasion de l'Irak : crimes de guerre, massacres, tortures... la souffrance infligée à la population irakienne, réduite à vivre dans des conditions infra-humaines, donne la mesure de la cruauté dont les pays capitalistes sont capables (1). Les documents publiés par WikiLeaks donnent l'ampleur de cette tragédie irakienne : 109 032 victimes dont 60 % de civils (2). A l'époque, les médias aux ordres parlaient des «frappes chirurgicales» ! Et quel est le crime de chacune de ces victimes ? Selon Bush et Blair, l'Irak représente un véritable danger pour le monde. Il possède les armes de destruction massive et demeure le foyer mondial du terrorisme. Il faut donc sécuriser ce pays et apporter à sa population démocratie, liberté et prospérité. Des mensonges et toujours des mensonges ! Aujourd'hui, ces mêmes pays soutiennent militairement, financièrement et diplomatiquement Israël qui est en train de commettre depuis le 7 octobre 2023 l'un des pires génocides de l'histoire récente.
Le sort d'Assange n'aura probablement rien à envier à celui de l'autre lanceur d'alerte Chelsea Manning qui a « enduré de longues périodes d’isolement et de torture. Elle a tenté à deux reprises de se suicider en prison. Elle connaît par expérience douloureuse les innombrables façons dont le système peut vous briser psychologiquement et physiquement» (3).
Voilà ce que réservent les pays impérialistes à celles et ceux qui, au détriment de leur vie, osent dire la vérité aux citoyens en les informant sur les abus du pouvoir. Les pays capitalistes ne peuvent fonctionner que sur la base de mensonges, de propagande et de répression dans tous les domaines.
Cette lettre, passée sous silence quasiment par tous les médias, est d'un courage, d'une sincérité et d'une lucidité rares chez les hauts fonctionnaires de ce rang. C'est plus qu'une lettre de démission, c'est une invitation à la réflexion et surtout à l'action contre la passivité et l'indifférence face à "l'horreur indescriptible". Elle reste, sept mois après sa publication le 28 octobre 2023, d'une tragique actualité.
"Monsieur le Haut Commissaire,
Ceci sera ma dernière communication officielle en tant que directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains (OHCHR).
Je vous écris dans un moment de grande détresse pour le monde, y compris pour beaucoup de nos collègues. Une fois encore, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter. En tant que personne ayant enquêté sur les droits humains en Palestine depuis les années 1980, ayant vécu à Gaza comme conseiller des Nations unies pour les droits humains dans les années 1990, et ayant effectué plusieurs missions de défense des droits humains dans le pays avant et depuis ces périodes, cette situation me touche personnellement.
C’est encore dans ces locaux de l’ONU que j’ai travaillé lors des génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yazidis et les Rohingyas. Dans chaque cas, alors que la poussière était retombée sur les horreurs perpétrées contre des populations civiles sans défense, il devenait douloureusement évident que nous avions manqué à notre devoir de répondre aux impératifs de prévention des atrocités de masse, de protection des personnes vulnérables et d’obligation d’exiger que les auteurs de ces actes rendent des comptes. Il en a été de même avec les vagues successives de meurtres et de persécutions à l’encontre des Palestiniens, tout au long de l’existence des Nations unies.
Monsieur le Haut Commissaire, nous échouons à nouveau.
En tant que juriste spécialisé dans les droits humains, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’exploitation politique abusive. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans la continuité de décennies de persécution et d’épuration systématiques, entièrement fondé sur leur statut d’Arabes, et associé à des déclarations d’intention explicites des dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. À Gaza, les habitations, les écoles, les églises, les mosquées et les établissements médicaux sont attaqués sans raison et des milliers de civils sont massacrés. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem occupée, les maisons sont saisies et réattribuées en fonction uniquement de la race. Par ailleurs, de violents pogroms perpétrés par les colons sont accompagnés par des unités militaires israéliennes. Dans tout le pays, l’apartheid règne.
Il s’agit d’un cas d’école de génocide. Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation en Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d’une grande partie de l’Europe sont totalement complices de cet horrible assaut. Non seulement ces gouvernements refusent de remplir leurs obligations conventionnelles “d’assurer le respect” des conventions de Genève, mais ils arment activement l’offensive, fournissent un soutien économique, des renseignements, et couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités commises par Israël.
De concert avec tout cela, les médias corporatifs occidentaux, de plus en plus aux ordres des gouvernements, sont en totale rupture avec l’article 20 du PIDCP (ndt, Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966), déshumanisant les Palestiniens sans cesse pour justifier le génocide, et diffusant la propagande guerrière et les appels à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence. Les entreprises de réseaux sociaux basées aux États-Unis étouffent les voix des défenseurs des droits humains tout en amplifiant la propagande pro-israélienne. Les gendarmes du lobby israélien sur le net et les GONGOS (ndt, organisations non gouvernementales soutenues par des gouvernements) harcèlent et diffament les défenseurs des droits humains, les universités et employeurs occidentaux collaborent avec eux pour punir ceux qui osent s’élever contre les atrocités. À la suite de ce génocide, ces acteurs devront également rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Milles Collines au Rwanda.
Dans de telles circonstances, notre organisation est plus que jamais appelée à agir de manière efficace et fondée sur des principes. Mais nous n’avons pas relevé ce défi. Le pouvoir de protection du Conseil de sécurité a de nouveau été bloqué par l’intransigeance des États-Unis, le secrétaire général est attaqué pour ses légères protestations et nos mécanismes de défense des droits humains font l’objet d’attaques calomnieuses soutenues par un réseau organisé en ligne qui défend l’impunité.
Des décennies de distraction par les promesses illusoires et largement décevantes d’Oslo ont détourné l’Organisation de son devoir essentiel de protection du droit international, des droits humains et de la Charte elle-même. Le mantra de la “solution à deux États” est devenu une plaisanterie ouverte dans les couloirs de l’ONU, à la fois pour son impossibilité absolue dans les faits et pour son incapacité totale à tenir compte des droits humains inaliénables du peuple palestinien. Le soi-disant “Quartet” n’est plus qu’une feuille de vigne pour l’inaction et la soumission à un statu quo brutal. La référence (écrite par les États-Unis) aux “accords entre les parties elles-mêmes” (au lieu du droit international) a toujours été un tour de passe passe évident, destiné à renforcer le pouvoir d’Israël contre les droits des Palestiniens occupés et dépossédés de leurs biens.
Monsieur le Haut Commissaire, j’ai rejoint cette Organisation dans les années 1980, parce que j’y ai trouvé une institution fondée sur des principes et des normes qui étaient résolument du côté des droits humains, y compris dans les cas où les puissants États-Unis, Royaume-Uni et Europe n’étaient pas de notre côté. Alors que mon propre gouvernement, ses institutions subsidiaires et une grande partie des médias nord-américains soutenaient ou justifiaient encore l’apartheid sud-africain, l’oppression israélienne et les escadrons de la mort d’Amérique centrale, les Nations unies défendaient les peuples opprimés de ces pays. Nous avions pour nous le droit international. Nous avions pour nous les droits humains. Nous avions pour nous les principes. Notre autorité était ancrée dans notre intégrité. Mais ce n’est plus le cas.
Au cours des dernières décennies, des membres importants des Nations unies ont cédé au pouvoir des États-Unis et à la peur du lobby israélien, abandonnant ces principes et renonçant au droit international lui-même. Nous avons beaucoup perdu dans cet abandon, notamment notre propre crédibilité mondiale. Mais c’est le peuple palestinien qui a subi les plus grandes pertes à cause de nos échecs. L’ironie de l’histoire veut que la Déclaration universelle des droits humains (DUDH) ait été adoptée l’année même où la Nakba a été perpétrée contre le peuple palestinien.
Alors que nous commémorons le 75e anniversaire de la DUDH, nous ferions bien d’abandonner le mythe éculé selon lequel la DUDH est née des atrocités qui l’ont précédée, et d’admettre qu’elle est née en même temps que l’un des génocides les plus atroces du XXème siècle, celui de la destruction de la Palestine. D’une certaine manière, les auteurs de la Déclaration promettaient les droits humains à tout le monde, sauf au peuple palestinien. N’oublions pas non plus que les Nations unies ont commis le péché originel de faciliter la dépossession du peuple palestinien en ratifiant le projet colonial européen qui s’est emparé des terres palestiniennes et les a remises aux colons. Nous avons tant à nous faire pardonner.
Mais la voie de l’expiation est claire. Nous avons beaucoup à apprendre de la position de principe adoptée ces derniers jours dans les villes du monde entier, où des millions de personnes s’élèvent contre le génocide, même au risque d’être battues et arrêtées. Les Palestiniens et leurs alliés, les défenseurs des droits humains de tous bords, les organisations chrétiennes, musulmanes et les voix juives progressistes qui disent “pas en notre nom”, montrent tous la voie. Il ne nous reste plus qu’à les suivre.
Hier, à quelques rues d’ici, la gare Grand Central de New York a été complètement envahie par des milliers de juifs défenseurs des droits humains, solidaires du peuple palestinien et exigeant la fin de la tyrannie israélienne (nombre d’entre eux risquant d’être arrêtés). Ce faisant, ils ont balayé en un instant l’argument de propagande de la hasbara israélienne (et le vieux cliché d’antisémitisme) selon lequel Israël représenterait en quelque sorte le peuple juif. Ce n’est pas le cas. Et, en tant que tel, Israël est seul responsable de ses crimes. Sur ce point, il convient de répéter, malgré les calomnies du lobby israélien, que la critique des violations des droits humains par Israël n’est pas antisémite, pas plus que la critique des violations saoudiennes n’est islamophobe, la critique des violations du Myanmar n’est anti-bouddhiste, ou la critique des violations indiennes n’est anti-hindouiste. Lorsqu’ils cherchent à nous faire taire en nous calomniant, plutôt que faire silence, nous devons élever la voix. J’espère que vous conviendrez, Monsieur le Haut Commissaire, qu’il s’agit là de l’essence même du parler vrai aux puissants.
Mais je trouve également de l’espoir dans tous ces membres des Nations unies qui, en dépit des énormes pressions exercées, ont refusé de compromettre les principes de l’Organisation en matière de droits humains. Nos rapporteurs spéciaux indépendants, nos commissions d’enquête et nos experts des organes de traités, ainsi que la majorité de notre personnel, ont continué à défendre les droits humains du peuple palestinien, alors même que d’autres membres des Nations unies (même au plus haut niveau) ont honteusement courbé l’échine devant les puissants. En tant que gardien des normes et standards en matière de droits humains, le HCDH (ndt Haut-Commissariat aux droits humains) a le devoir particulier de défendre ces normes. Notre tâche, je crois, est de faire entendre notre voix, du secrétaire général à la dernière recrue des Nations unies et, horizontalement, dans l’ensemble du système des Nations unies, en insistant sur le fait que les droits humains du peuple palestinien ne font l’objet d’aucun débat, d’aucune négociation, ni d’aucun compromis, où que ce soit sous la bannière bleue.
À quoi ressemblerait donc une position fondée sur les normes de l’ONU ? À quoi travaillerions-nous si nous étions fidèles à nos exhortations rhétoriques sur les droits humains et l’égalité pour tous, la responsabilité pour les criminels, la réparation pour les victimes, la protection des personnes vulnérables et l’autonomisation des détenteurs de droits, le tout dans le cadre de l’État de droit ? La réponse, je crois, est simple – si nous avons la lucidité de voir au-delà des écrans de fumée de la propagande qui déforment la vision de la justice pour laquelle nous avons prêté serment, le courage d’abandonner peur et déférence à l’égard des États puissants et la volonté de brandir l’étendard des droits humains et de la paix. Certes, il s’agit d’un projet à long terme et d’une voie escarpée. Mais nous devons commencer maintenant à moins de nous abandonner à une horreur indicible. Je vois dix points essentiels :
1. Une action légitime : tout d’abord, nous devons, au sein des Nations unies, abandonner le paradigme d’Oslo, qui a échoué (et qui est en grande partie fallacieux), sa solution illusoire à deux États, son Quartet impuissant et complice, et le détournement du droit international aux diktats de son supposé bien-fondé politique. Nos positions doivent se fonder sans équivoque sur les droits humains et le droit international.
2. Une vision claire : nous devons cesser de prétendre qu’il s’agit simplement d’un conflit territorial ou religieux entre deux parties belligérantes et admettre la réalité de la situation, à savoir qu’un État au pouvoir disproportionné colonise, persécute et dépossède une population autochtone sur la base de son appartenance ethnique.
3. Un État unique fondé sur les droits humains : nous devons soutenir l’établissement d’un État unique, démocratique et laïque dans toute la Palestine historique, avec des droits égaux pour les chrétiens, les musulmans et les juifs, et, par conséquent, le démantèlement du projet colonialiste profondément raciste et la fin de l’apartheid sur tout le territoire.
4. Lutte contre l’apartheid : nous devons réorienter tous les efforts et toutes les ressources des Nations unies vers la lutte contre l’apartheid, comme nous l’avons fait pour l’Afrique du Sud dans les années 1970, 1980 et au début des années 1990.
5. Retour et indemnisation : nous devons réaffirmer et insister sur le droit au retour et à l’indemnisation complète de tous les Palestiniens et de leurs familles qui vivent actuellement dans les territoires occupés, au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans la diaspora à travers le monde.
6. Vérité et justice : nous devons appeler à un processus de justice transitionnelle, utilisant pleinement les décennies d’enquêtes, de recherches et de rapports accumulés par l’ONU, afin de documenter la vérité et garantir la responsabilité de tous les criminels, la compensation pour toutes les victimes et la réparation des injustices documentées.
7. Protection : nous devons insister sur le déploiement d’une force de protection de l’ONU dotée de ressources suffisantes et d’un mandat solide pour protéger les civils du fleuve à la mer.
8. Désarmement : nous devons plaider pour le retrait et la destruction des stocks massifs d’armes nucléaires, chimiques et biologiques d’Israël, évitant ainsi que le conflit ne conduise à la destruction totale de la région et, qui sait, au-delà.
9. Médiation : nous devons reconnaître que les États-Unis et les autres puissances occidentales ne sont pas des médiateurs crédibles, mais plutôt des parties prenantes du conflit, qui sont complices d’Israël dans la violation des droits des Palestiniens, et nous devons les affronter en tant que tels.
10. Solidarité : nous devons ouvrir grand nos portes (et celles du secrétariat général) aux légions de défenseurs des droits humains palestiniens, israéliens, juifs, musulmans et chrétiens qui sont solidaires du peuple de Palestine et de ses droits, et mettre un terme au flux incontrôlé de lobbyistes israéliens vers les bureaux des dirigeants de l’ONU, où ils prônent la poursuite de la guerre, de la persécution, de l’apartheid et de l’impunité, tout en dénigrant nos défenseurs des droits humains à cause de leur position de principe sur les droits des Palestiniens.
Il faudra des années pour y parvenir, et les puissances occidentales nous combattront à chaque étape du processus, c’est pourquoi nous devons faire preuve de fermeté. D’ores et déjà, nous devons œuvrer pour un cessez-le-feu immédiat et la fin du siège de Gaza, nous opposer au nettoyage ethnique de Gaza, Jérusalem, Cisjordanie (et ailleurs), documenter l’assaut génocidaire à Gaza, contribuer à apporter aux Palestiniens une aide humanitaire massive et les moyens de la reconstruction, prendre soin de nos collègues traumatisés et de leurs familles, et nous battre comme des diables pour que la démarche des bureaux politiques de l’ONU soit basée sur des principes.
L’échec des Nations unies en Palestine jusqu’à présent n’est pas une raison pour nous de renoncer. Au contraire, il devrait nous encourager à abandonner le paradigme passé qui a échoué, et à adopter pleinement une ligne de conduite plus fondée sur des principes.
En tant qu’OHCHR, rejoignons avec audace et fierté le mouvement anti-apartheid qui se développe dans le monde entier, en ajoutant notre logo à la bannière de l’égalité et des droits humains pour le peuple palestinien. Le monde nous observe. Nous devrons tous rendre compte de notre position à ce moment crucial de l’histoire. Prenons le parti de la justice.
Je vous remercie, Monsieur le Haut Commissaire Volker, d’avoir écouté ce dernier appel de mon bureau. Dans quelques jours, je quitterai le Bureau pour la dernière fois, après plus de trois décennies de service. Mais n’hésitez pas à me contacter si je peux être utile à l’avenir.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées".
En 1948, les palestiniens ont été arrachés à leur terre et contraints à l'exil et au déracinement. Le 15 mai de chaque année, ils commémorent cette tragédie pour rappeler à Israël et au monde entier qu'ils ne renonceront jamais à leur droit légitime au retour.
Qui peut mieux ressentir cette tragédie collective que les poètes. Mais avec le génocide en cours à Gaza, la poésie et les poètes palestiniens sont en deuil : plus de 35 000 morts et deux poètes assassinés par Israël depuis octobre 2023.
Rifaat Alareer (1979-2023) a refusé de quitter sa Gaza natale pour pouvoir écrire et informer sur la réalité des souffrances des palestiniens. Sa mort restera comme un témoignage à la fois éloquent et tragique des profondes injustices infligées au peuple palestinien. Voici un extrait de son dernier poème :
Si je dois mourir,
tu dois vivre
et raconter mon histoire
vendre mes affaires
acheter un bout de tissu
et quelques morceaux de ficelle,
(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)
pour qu’un enfant, quelque part à Gaza
en regardant droit vers le ciel
alors qu’il attend son papa emporté dans une explosion
sans faire ses adieux à personne
ni à sa chair
ni à lui-même –
pour qu’il voie le cerf-volant, mon cerf-volant, celui que tu as fait, prendre
son envol (1)
Hiba Abou Nada (1991-2023), elle aussi morte sous les bombes israéliennes le 20 octobre 2023, écrivait juste avant sa disparition :
Je t’accorde un refuge
contre le mal et la souffrance.
Avec les mots de l’écriture sacrée
je protège les oranges de la piqûre du phosphore
et les nuages du brouillard
Je vous accorde un refuge en sachant
que la poussière se dissipera,
et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble
riront un jour (2)
Parmi les poètes palestiniens, Tawfik Zayyad (1929-1994) est peut-être celui qui incarne le mieux la tragique histoire de la Palestine et de son peuple qui lutte toujours pour sa survie et pour le retour sur sa terre:
Mes bien-aimés
Avec mes paupières je bâtirai la route de votre retour
Avec mes paupières.
Je guérirai votre blessure, balaierai les épines de la route
Avec mes cils
Et de ma chair je construirai le pont du retour
Dans un autre poème il écrivait :
Je vous appelle
Je serre vos mains
J’embrasse la terre sous vos pieds
Et je dis : je vous donne ma vie
Je vous offre la lumière de mes yeux
Et la chaleur de mon coeur
Le drame que je vis est ma part de vos tragédies
Face à mes oppresseurs je me suis dressé
Orphelin, nu, déchaussé
J’ai préservé l’herbe verte sur les tombes de mes ancêtres
Sa poésie se confond même avec cette terre tant aimée de la Palestine :
Je graverai le numéro de chaque parcelle
de notre terre violée
et l’emplacement de notre village et ses limites
et ses maisons qu’ils ont dynamitées
et mes arbres qu’ils ont déracinés
et toutes les fleurs sauvages qu’ils ont arrachées
afin de me souvenir
Je graverai inlassablement
toutes les saisons de mes douleurs
toutes les saisons de l’infortune
de la graine
à la coupole
sur l’olivier
dans la cour de ma maison
Contre la force et la violence de l'occupant israélien, Zayyad opposait la puissance de sa poésie. Cette poésie simple, émouvante, populaire et tragique a circulé d'abord sous les tentes des camps de réfugiés, dans les prisons avant d'être lue, apprise et chantée dans toute la Palestine et dans tout le monde arabe. La poésie de Zayyad a réussi à briser le cercle étroit, confidentiel et élitiste dans lequel est confinée la poésie en général pour s'emparer des masses opprimées palestiniennes et arabes. La poésie subversive de Zayyad dérangeait. Arrêté, incarcéré et torturé, l'occupant israélien voulait étouffer la voix du poète.
Zayyad n'a pas quitté sa Galilée natale. Il voulait, disait-il, garder l'ombre des orangers et des oliviers de la Palestine :
Ici nous resterons
Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!
Ici nous avons un passé un présent et un avenir
Tawfik Zayyad est mort dans un accident de voiture dans des circonstances troubles. Il nous a laissé une moisson abondante de poèmes se transmettant de générations en générations.
Parmi ses recueils on peut citer, J'étreins vos mains, Enterrez vos morts et levez-vous, Paroles de combat, Chants de révolte et de colère, Captifs de la liberté etc.
Son oeuvre n'a toujours pas été traduite en français. Le lecteur francophone est ainsi privé d'une poésie lumineuse à la fois authentiquement palestinienne et universelle.
La journaliste palestinienne de la chaîne Al Jazeera, Shireen Abou Akleh, a été assassinée par l'armée israélienne le 11 mai 2022 à Jénine en Cisjordanie occupée. La journaliste qui portait pourtant son gilet "Presse" a été abattue par une balle dans la tête. Elle était âgée de 51 ans.
Née en 1971 à Jérusalem de parents arabes chrétiens, Shireen était la journaliste la plus célèbre d'Al Jazeera. Elle "couvrait, comme disait la journaliste Nida Ibrahim, le quotidien des palestiniens". "Toujours présente sur le terrain, Shireen ne reculait jamais. Elle a couvert une multitude d’événements palestiniens historiques - la bataille de Jénine, la deuxième Intifada, les multiples raids israéliens. Elle n’a jamais reculé, elle recueillait les preuves, rassemblait les indices, dévoilait les crimes" ajoutaitDia al-Adam le présentateur de la chaîne "Palestine TV". Elle était en quelque sorte la voix des palestiniens, la voix des sans voix.
Son cercueil avait été pris d'assaut par la police. Israël lui a refusé même ce droit élémentaire d'être enterrée dans la dignité. Et comme si cela ne suffisait pas, il a détruit la rue qui porte son nom et rasé son mémorial privant ainsi la famille et les amis de Shireen de la possibilité de lui rendre hommage sur le lieu où elle a été abattue. Le Mémorial "transmettra l'image de la vérité et celle de la souffrance pour les générations futures" disaitAnton Abou Akleh, frère de la journaliste (1). La vie et la dignité du palestinien n'ont aucune espèce de valeur. Elles sont méprisées, niées. Le palestinien est dépouillé de son humanité. Il est déshumanisé, animalisé et bestialisé. C'est ce langage zoologique qu'utilise Israël lorsque il parle des palestiniens : "Nous combattons les animaux humains et agissons en conséquence" disait Yoav Galant ministre de la Défense de l'Etat sioniste.
L'assassinat de Shireen s'ajoute à la longue liste des journalistes palestiniens tués par l'armée d'occupation, sans compter les dizaines de journalistes détenus derrière les barreaux des prisons israéliennes. Rien que depuis le 7 octobre 2023, au moins 135 journalistes palestiniens ont été tués par Israël à Gaza (2).
Ces crimes resteront, comme d'ailleurs le génocide en cours à Gaza, impunis. Israël a rejeté toutes les résolutions des Nations unies et se moque de toutes les conventions. Il ne respecte ni le droit international, ni le droit humain. C'est un Etat qui ne ressemble à aucun autre. Il est au-dessus des lois. C'est un cas unique dans l'histoire récente des relations internationales. Pourtant Israël agit en pleine lumière. Il ne cache pas ses massacres. Il les expose même à la face du monde avec cette arrogance qui caractérise les colonisateurs, les oppresseurs. Cette totale impunité dont bénéficie l'entité sioniste depuis sa création en 1948 ne peut s'expliquer que par le soutien indéfectible et décisif des puissances capitalistes occidentales dont Israël est le produit le plus authentique. Elles l'ont façonné à leur image. La barbarie sioniste ne peut que ressembler à celle de ses maîtres. L'existence d'Israël sur la terre palestinienne fait partie intégrante de ce processus d'expansion européen et américain pour dominer par la violence les autres peuples de la planète. Si Israël mène aujourd'hui une guerre génocidaire à Gaza avec le soutien inconditionnel de l'occident, c'est qu'il est au cœur de cet ordre colonial et néocolonial occidental.
Israël peut poursuivre sereinement l'extermination des palestiniens jusqu' à la réalisation du projet fondateur du sionisme, le Grand Israël : toute la Palestine pour Israël, la terre promise pour un peuple élu. C'est une promesse divine.
Les gouvernements des puissances capitalistes occidentales ont atteint un degré de pourriture effroyable. Leur soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël est devenu insupportable. Au nom du droit à l'existence d'un peuple, ils sont déterminés à exterminer un autre peuple. Leur mépris des palestiniens, déshumanisés et animalisés, est absolu. Toute l'histoire de ces pays impérialistes le prouve. Leur passé n'est que violence et pillage des richesses des autres peuples que l'humanité a payé avec des millions de morts et des souffrances sans limite. Dans les Damnés de la terre, Frantz Fanon écrivait ceci : "L’Europe a acquis une telle vitesse, folle et désordonnée, qu’elle échappe aujourd’hui à tout conducteur, à toute raison et qu’elle va dans un vertige effroyable vers des abîmes dont il vaut mieux le plus rapidement s’éloigner. (,,,) Il y a deux siècles, une ancienne colonie européenne s’est mise en tête de rattraper l’Europe. Elle y a tellement réussi que les Etats-Unis d’Amérique sont devenus un monstre où les tares, les maladies et l’inhumanité de l’Europe ont atteint des dimensions épouvantables".
Il se trouve cependant que dans ces sociétés impérialistes, ennemies de l'homme et du progrès, une partie de la jeunesse a pu courageusement briser ce mur de silence qui entoure les massacres d'hommes, de femmes et d'enfants par dizaines de milliers. Sa solidarité avec le peuple palestinien est spontanée, sincère et pacifique. Juifs, musulmans ou athées ont crié ensemble : "laissez Gaza vivre". Lucide, cette magnifique jeunesse se dresse également contre la politique génocidaire menée sur la terre palestinienne par Israël avec le soutien décisif des pays occidentaux.
Effrayée par cette formidable contestation, les classes au pouvoir n'ont pas hésité à mener une véritable guerre contre leurs propres jeunesses : accusation d'antisémitisme, d'apologie du terrorisme, interdiction des conférences sur la Palestine, interdiction des manifestations, de réunions, de projections de films, dissolution d'associations de soutien aux palestiniens, arrestations, expulsions, licenciements, amendes, etc. tous les prétextes sont bons pour étouffer les voix qui dénoncent la barbarie sioniste.
La propagande médiatique est utilisée elle aussi pour stigmatiser et discréditer le mouvement de la jeunesse aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale. Liberté d'expression, de manifestation, droit de l'homme, État de droit, séparation des pouvoirs etc.
ne sont que de grossiers mensonges destinés à leurrer les classes populaires et à imposer le silence sur l'extermination de tout un peuple.
Mais malgré cette répression, les jeunes poursuivent avec détermination leur combat contre le génocide et pour la paix. Ils ont réussi, comme ces fleurs sauvages, à sortir un peu partout des fissures de ce solide mur de silence érigé autour de la tragédie palestinienne par les gouvernements des puissances capitalistes oppressives.
Il est difficile sous le régime de Macron de s'opposer au génocide qui se déroule sous nos yeux à Gaza. Antisémitisme, apologie du terrorisme, interdiction des conférences sur la Palestine, interdiction des manifestations, de réunions, de projections de films, dissolution d'associations de soutien aux palestiniens, arrestations, expulsions, licenciements, amendes, etc. tous les prétextes sont bons pour étouffer les voix qui dénoncent la barbarie sioniste. La liste de militants et militantes, de penseurs, de poètes, d'artistes, d'universitaires, de journalistes, de syndicalistes, d'hommes et de femmes politiques, accusés d'antisémitisme ou d'apologie du terrorisme est impressionnante. En France, la solidarité avec la Palestine est désormais un délit puni par la loi (1). Au nom de l'Etat d'Israël on réprime toute velléité d'exprimer une opinion, une pensée différente de celle du pouvoir. Toute contestation, toute opposition et toute dénonciation de l'entité sioniste aussi minime soit-elle est impitoyablement réprimée et l'antisionisme se confond avec l'antisémitisme. Toute critique est antisémite. Emmanuel Macron ne disait-il pas en mars 2022 que "l’antisémitisme et l’antisionisme sont les ennemis de notre République" ? (2) La résistance à la politique de l'Etat d'Israël est systématiquement qualifiée de terrorisme. Même si la résistance à l'occupant est un droit naturel reconnu par les Nations Unies, le peuple palestinien est réduit à des «bandes de terroristes» qui menacent l'existence même d'Israël !
En parallèle de ces attaques contre la liberté d'expression, une violente campagne est menée tambour battant par les médias du pouvoir et des milliardaires contre les opposants à la guerre d'extermination menée par le gouvernement israélien contre le peuple palestinien. Leur alignement sur la propagande de l'armée israélienne les poussent à délégitimer, à stigmatiser, à déformer systématiquement tous les propos qui ne vont pas dans le sens du soutien à l'entité sioniste.
Il faut vaille que vaille soutenir l'Etat d'Israël et accepter dans le silence l'extermination du peuple palestinien qui constitue un obstacle vivant à la réalisation du Grand Israël dont rêvaient tous les dirigeants sionistes, toute tendance confondue, de Herzl à Netanyahou en passant par Weizmann, Ben Gourion et Jabotinsky. Les massacres d’Israël doivent se faire "dans les murmures ou dans un silence total (...)" écrivait Jean Genet dans "Quatre heures à Chatila"(3).
Le but final d'Israël et des puissances oppressives occidentales est d'exterminer le peuple palestinien si son expulsion hors de la Palestine s'avère impossible.
Mais les palestiniens, comme tous les autres peuples du monde, ne renonceront jamais à leur terre. Le leader le moins hypocrite du sionisme politique Vladimir Jabotinsky le disait lui-même :
"Tout peuple indigène considère son pays comme son foyer national dont il sera toujours complètement le maître. Il ne tolérera jamais volontairement, non seulement un nouveau maître, mais même un nouveau partenaire (...). La colonisation ne peut être menée que contre la volonté des Arabes palestiniens".(4)
Le poète palestinien Tawfik Zayyad exprime lui aussi l'attachement de son peuple à la terre palestinienne. Sa poésie se confond avec cette terre tant aimée, cette "terre violée" de la Palestine come il disait :
"Ici nous resterons
Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !!
Ici nous avons un passé un présent et un avenir" (5)
"Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de
chacun d'entre nous ?". Franck Pavloff
Perte de repères idéologiques, guerre ouverte contre les chômeurs, les malades et les pauvres en général, "économie de guerre" face à la menace extérieure, indifférence aux tragédies humaines qui endeuillent notre planète, manipulation de la population par les médias de masse contrôlés par le pouvoir et les milliardaires, frustrations, passivité et résignation populaires, montée des idées xénophobes, banalisation des discours racistes par des chaînes de télévision très complaisantes, persécution des musulmans qui remplacent les juifs d'hier, un seul et même parti donné toujours gagnant par les sondages et les médias, "Voisins Vigilants" parallèlement à la police qui traquent délinquants et voleurs, uniforme à l'école, gavage et dressage en guise d'enseignement, etc. etc. Voici quelques éléments qui dominent la vie quotidienne dans la France d'aujourd'hui secouée par une crise économique profonde.
Ces idées sont en train de contaminer les masses et la plupart des organisations politiques et syndicales. Elles risquent de s'emparer du pouvoir de l'Etat. C'est peut-être la fin d'une période et le début d'une autre. Déjà très dégradées aujourd'hui, les libertés individuelles et collectives le seront encore davantage demain. Mais la majorité de la population s'adaptera facilement et rapidement à la nouvelle situation.
Il deviendra alors difficile d'exprimer une opinion différente de celle du pouvoir. Toute pensée libre sera réduite au silence. Les hérétiques seront persécutés et leur parole confisquée. L'opposition, si elle n'est pas encore domestiquée et intégrée, sera affaiblie et muselée. Toute voix discordante sera suspectée et réprimée. Seule compte le rassemblement et l'unité nationale.
La répression, le conformisme et la servilité constitueront la base de la cohésion sociale.
Des mots comme "classe" "exploitation" "domination" "révolution" par exemple perdront leur contenu critique et la transformation radicale de la société apparaîtra comme utopique, irrationnelle et finalement irréalisable.
La propagande, la manipulation, l'endoctrinement permanents remplacent l'information, les apparences se confondent avec la réalité, la différence entre ce qui est vrai et ce qui est faux est difficile à établir et les intérêts d'une petite minorité de riches deviennent les intérêts de tous.
Les opprimés ainsi conditionnés sont poussés à choisir "librement et démocratiquement" leurs oppresseurs, renouvelant alors sans vraiment le vouloir leur propre servitude.
L'écrivain palestinien Walid Daqqa est décédé le 7 avril 2024 en détention après avoir passé 38 ans dans les prisons israéliennes, "lieu sans portes" comme il disait. Atteint du cancer de la moelle osseuse, il a été privé de soins médicaux. "Torturé, humilié, privé de visites familiales et de soins médicaux" (1) dénonçait Amnesty international quelques semaines avant sa mort. Walid Daqqa avait purgé sa peine de 37 ans en 2023 pour avoir tué un soldat israélien, mais un tribunal de l'entité sioniste l'a condamné à 2 ans supplémentaires.
Daqqa était l'auteur de plusieurs romans comme "Témoignages de résistance : La bataille du camp de Jénine 2002″ (2004), "La conscience façonnée ou la ré-identification de la torture" (2010), mais aussi des contes pour enfants, notamment "L’histoire secrète de l’huile" (2018), "Le conte secret de l’épée" (2021) ou encore "Le conte secret de l’esprit / Le retour des martyrs à Ramallah" (2022). Lors de la publication de son dernier livre pour enfant, "Le secret du pétrole ", Daqqa est placé en isolement. Dans la préface, Daqqa avait écrit : "J’écris jusqu’à ce que je sois libéré de prison, avec l’espoir de libérer la prison de moi".
Mais Walid Daqqa était aussi poète. Voici un de ses poèmes écrit pour sa fille Milad :
Un lieu sans porte
Un jour où Milad venait de rentrer d’une escapade au bord de l’océan, je lui ai promis au téléphone que je l’emmènerais là-bas, la prochaine fois. Elle s’est arrêtée quelques secondes, hésitante, comme si elle ne voulait pas me choquer, avant de finalement répondre : « non, tu n’as pas de porte ».
Longtemps, à chaque fois que Milad me demandait au téléphone « papa, où es-tu ? », j’évitais d’utiliser le mot prison. Je craignais que ce soit trop pour elle, à cet âge tendre, de commencer à vivre avec ce mot et ses lourdes implications. Déchiré, je me débattais avec cette question : devais-je dire à ma fille la vérité ? Ou devais-je lui cacher la réalité amère, empêcher les implications du mot prison de s’immiscer dans son imagination ?
Avec ses visites, Milad avait compris ce qu’était une prison bien avant qu’elle ne connaisse la signification du mot. Pour elle, c’était un lieu sans porte. Où son père était confiné. Qu’il était incapable de quitter. Et pour elle, s’il n’y avait pas de porte, il ne pouvait y avoir d’escapade au bord de l’océan. Pas de petit-déjeuner pris ensemble. Et pas d’opportunité pour moi de l’accompagner à la garderie qu’elle appelait affectueusement « l’école ».
A l'occasion de la journée internationale des femmes, il est peut-être utile de rappeler le combat de cette révolutionnaire qui a consacré toute sa vie à se battre pour une société plus juste.
Eleanor était la dernière des six enfants de Karl et Jenny Marx. Elle est née à Londres dans le quartier misérable de Soho en 1855 et décédée dans la même ville en 1898 à l'âge de 43 ans. Plus tard, elle décrira la période noire de Soho comme "des années d'horrible pauvreté, de souffrances amères - des souffrances que seul l'étranger sans le sou dans un pays étranger peut connaître" (1).
Très proche de son père, elle fut également sa " secrétaire " dès l'âge de 16 ans. Polyglotte, Eleanor a tra
duit en anglais non seulement certaines œuvres de son père comme Value, Price and Profit par exemple, mais aussi Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert et History of the Paris Commune of 1871de Prosper-Olivier Lissagaray.
Eleanor ou "Tussy" comme aimaient l'appeler affectueusement ses parents, était passionnée de littérature et de théâtre. Son poète préféré était William Shakespeare. Eleanor a traduit aussi des pièces comme La Dame de la mer ouUn ennemi de la sociétédu dramaturge norvégien Henrik Ibsen.
Influencée par son père et par F. Engels, elle développa très tôt son goût pour l'action et le combat politique. Sa devise préférée était "Allez-y !". Internationaliste, elle s'engagea avec son amie Lizzie Burns, ouvrière irlandaise analphabète et compagne de F. Engels, dans la lutte pour l'indépendance de l'Irlande. Après la semaine sanglante et la défaite de la Commune, les Marx ont reçu de nombreux refugiés communards à Londres. Paul Lafargue et Charles Longuet ont épousé Laura et Jenny Marx. Eleanor est tombée amoureuse de Lissagaray dont elle a aidé à écrire "Histoire de la Commune de 1871" avant de traduire en anglais cette œuvre qui reste encore aujourd'hui la référence sur la Commune.
Eleanor était une militante infatigable. Elle était membre de la Social Democratic Federation, premier groupe politique marxiste en Grande Bretagne. En 1884, elle quitte cette organisation devenue plutôt nationaliste et crée avec le poète William Morris et d'autres militants la Socialist League (2). Eleanor a été également la co-fondatrice de la National Union of Gasworkers avec Will Thorne en 1889. Ce syndicat qui a connu par la suite un développement rapide comptait dans ses rangs un nombre important de femmes même si elles n'occupaient malheureusement pas des postes de responsabilité (3).
Mais Eleanor s'est surtout distinguée par son combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. Pour elle, une analyse en termes de classes sociales qui ne se réfère pas à l'inégale répartition du travail domestique et du travail lié à l'éducation des enfants reste insuffisante. Mais tout combat pour l'émancipation des femmes qui ne s'insère pas en même temps dans la lutte globale contre le capitalisme est voué à l'échec. "Ainsi, non seulement il ne peut y avoir de vrai féminisme sans socialisme, mais il ne peut y avoir de véritable socialisme sans féminisme. Et ça ne peut pas attendre la révolution, ça doit faire partie du processus qui y mène" (4) .
Dans La question de la femme (1886)corédigé avec Edward Aveling son nouveau compagnon, elle écrit :"La position des femmes repose, comme tout dans notre société moderne complexe, sur une base économique (...) Ceux qui attaquent le traitement actuel des femmes sans en chercher la cause dans l'économie de notre société actuelle sont comme des médecins qui traitent une affection locale sans enquête sur la santé corporelle générale" (5).
Concernant les féministes bourgeoises, Eleanor comprend leurs revendications, mais les objectifs poursuivis par les unes et les autres sont très différents : "Les ouvrières peuvent bien comprendre les revendications du mouvement des femmes bourgeoises; elles peuvent et doivent même adopter une attitude compréhensive à l'égard de ces demandes; seulement, les buts des travailleuses et des femmes bourgeoises sont très différents. (...) Là où les femmes bourgeoises réclament des droits qui nous sont utiles aussi, nous nous battrons avec elles(...) Nous ne refuserons aucun avantage, acquis par les femmes bourgeoises dans leur propre intérêt, qu'elles nous fournissent volontairement ou non. Nous acceptons ces avantages comme des armes, des armes qui nous permettent de mieux lutter aux côtés de nos frères ouvriers. Nous ne sommes pas des femmes en lutte contre les hommes mais des travailleuses en lutte contre les exploiteurs" (6).
Dans une lettre adressée au dirigeant socialiste Ernest Belfort Bax en 1895, elle écrit :
"J'ai proposé de débattre avec vous sur la question sexuelle. Je suis, bien sûr, en tant que socialiste, pas une représentante des « droits de la femme". C'est de la Question Sexuelle et de ses fondements économiques que je me proposais de discuter avec vous. La soi-disant question des « droits de la femme » (qui semble être la seule que vous compreniez) est une idée bourgeoise. J'ai proposé de traiter la question du sexe du point de vue de la classe ouvrière et de la lutte des classes" (7).
Le 31 mars 1898, Tussy s'est donnée la mort. Elle avait 43 ans. Les amis et les proches d'Eleanor mettent en cause son compagnon Edward Avling (1849-1898) dont le rapport à l'argent et aux femmes était indigne (8).
La vie d'Eleanor a été courte mais intense. Traductrice, écrivaine, syndicaliste, féministe etc., elle était tout cela à la fois. Mais Eleanor était avant tout une femme révolutionnaire qui a consacré toute sa vie à se battre pour une société plus juste.