Il est peut-être utile de lire ou de relire les idées de Lénine sur la guerre et notamment sur les guerres défensives et offensives. Ce vieux texte (1915) possède encore la force de nous éclairer sur les temps obscurs de notre tragique actualité.
"La différence entre guerre offensive et guerre défensive
L'époque de 1789 1871 a laissé des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires. Avant le renversement du régime féodal, de l'absolutisme et du joug national étranger, il ne pouvait absolument pas être question de voir se développer la lutte du prolétariat pour le socialisme. Parlant du caractère légitime de la guerre “ défensive ” à propos des guerres de cette époque, les socialistes ont toujours eu en vue, très précisément, ces objectifs qui se ramènent à la révolution contre le régime médiéval et le servage. Les socialistes ont toujours entendu par guerre “ défensive ” une guerre “ juste ” dans ce sens (comme a dit exactement un jour W. Liebknecht). C'est seulement dans ce sens que les socialistes reconnaissaient et continuent de reconnaître le caractère légitime, progressiste, juste, de la “ défense de la patrie ” ou d'une guerre “ défensive ”. Par exemple, si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l'Inde à l'Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres “ justes ”, “ défensives ”, quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des Etats opprimés , dépendants, lésés dans leurs droits, sur les “ grandes ” puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.
Mais imaginez qu'un propriétaire de 100 esclaves fasse la guerre à un autre propriétaire qui en possède 200, pour un plus “ juste ” partage des esclaves. Il est évident qu'appliquer à un tel cas la notion de guerre “ défensive ” ou de “ défense de la patrie ” serait falsifier l'histoire; ce serait, pratiquement, une mystification des simples gens, de la petite bourgeoisie, des gens ignorants, par d'habiles esclavagistes. C'est ainsi qu'aujourd'hui la bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de l'idéologie “ nationale ” et de la notion de défense de la patrie dans la guerre actuelle entre esclavagistes, qui a pour enjeu l'aggravation et le renforcement de l'esclavage".
Les visages déformés, le linge blanc tâché de sang dans lequel les enfants sont enveloppés, les crânes fracassés, les chairs transpercées, les corps déchiquetés, les cadavres noirs et gonflés dispersés à travers des rues désertées et à côté de leurs mères mortes, des enfants affamés et abandonnés, voilà quelques aspects des tueries collectives que l'Etat d'Israël continue à commettre à Gaza totalement assiégée.
Le nombre élevé de victimes dont une partie non négligeable de femmes et d’enfants, les blessés, les mutilés à vie, les armes utilisées, le bombardement d'hôpitaux, les destructions de maisons, d’immeubles et autres infrastructures nécessaires à la vie, le degré de brutalité et de cruauté atteint, le tout avec l’aide des Etats-Unis, de l’Union Européenne et de la plupart des régimes arabes, est très inquiétant pour l’avenir de la région. La facilité avec laquelle les dirigeants de ce monde, à quelques exceptions près, acceptent de se soumettre totalement et aveuglément à l’Etat d’Israël constitue en soi un véritable danger pour le monde.
Les massacres des palestiniens ne datent pas d'aujourd'hui. L’histoire de l' Etat d'Israël est chargée de crimes que l’on peut cacher, mais que personne ne peut nier. Mais cet aspect de l' histoire est escamoté et occulté. L'histoire d'Israël apparaît alors "comme une épopée menée de bout en bout par la volonté irréductible d'un "peuple" tout entier mobilisé pour mettre un terme à sa "dispersion" qui aura duré deux mille ans" (1).
Tous les grands dirigeants du sionisme (Herzl, Weizmann, Ben Gourion, Jabotinsky etc.) malgré leurs divergences sur les moyens, avaient le même but final : faire de toute la Palestine l’Etat du "peuple juif". Le sionisme politique, depuis sa fondation au congrès de Bâle en 1897, porte en lui les germes de la négation des palestiniens. "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre" dit le slogan sioniste. Le Grand Israël est incompatible avec l’existence même du peuple palestinien : il constitue l’obstacle vivant à la réalisation de ce grand rêve. Il faut donc l’exterminer ou tout du moins le chasser loin de sa terre, la Palestine. "Expulsez-les" disait déjà Ben Gourion en 1948 en parlant de ces mêmes palestiniens.
La grande Bretagne et le sionisme politique ont enfanté un monstre qui a grandi sous l'aile protectrice des Etats-Unis et de l'Union européenne et menace la paix dans le monde.
Aucun enseignement digne de ce nom n’a été tiré du passé. Aucune leçon n’a été retenue du présent. A force de mépriser les leçons de l’histoire, on risque de reproduire d’autres tragédies peut-être plus violentes et plus sanglantes encore.
Mohamed Belaali
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(1) Cité par Lotfallah Soliman dans "Pour une histoire profane de la Palestine". La Découverte, p. 6.
Une étrange atmosphère règne en France. Rarement terreur intellectuelle, lynchage médiatique, manipulation et cynisme politique n'ont atteint une telle intensité. Dans les médias, l'hystérie est à son paroxysme.
Au nom d'Israël, on étouffe toute velléité et toute possibilité d'exprimer librement une pensée différente. Toute voix discordante est suspectée, marginalisée et réprimée. On doit vaille que vaille soutenir Israël.
La raison, la critique, doivent entrer en sommeil. Seule compte la soumission totale à l'union sacrée contre le terrorisme. L'unité doit être complète, parfaite, totale. Tout le monde doit marcher derrière le chef de l'Etat : "La lutte contre le terrorisme est une cause commune que nous continuerons de porter avec Israël et tous nos alliés internationaux. Rien ne le justifie, rien ne l'explique".
Les hérétiques n'ont pas leur place dans ce beau concert d'unanimité. Leurs pensées constituent une offense, une insulte et un affront au discours dominant.
La fascisation de la vie politique et des esprits s'installe lentement et insidieusement préparant ainsi l'avènement d'un pouvoir despotique.
Peu importe que l'Etat d'Israël mène actuellement à Gaza une guerre qui ressemble étrangement à une guerre d'extermination.
Peu importe que les palestiniens soient arrachés à leur terre et transformés en exilés, en réfugiés.
Peu importe qu'Israël soit un Etat au-dessus des lois, viole tous les jours les conventions internationales et toutes les résolutions de l'ONU.
Peu importe qu'Israël soit dirigé par des extrémistes et des fanatiques religieux.
Peu importe les crimes et les massacres d'Israël parmi les plus cruels qu'aient connu le XX et le XXI siècle.
Peu importe que l'histoire du sionisme soit escamotée, occultée. Il faut que les foules restent dans l'ignorance. Et comme disait Orwell "l'ignorance c'est la force".
Pourtant, des fissures fines et encore minuscules apparaissent sur le visage hideux de cet État. Il faut les élargir pour que cette terre de Palestine, tant aimée et tant disputée, devienne toujours une terre de paix.
Combien d’enfants, de femmes et d’hommes sont morts en Libye depuis le passage du puissant cyclone Daniel ? Personne ne le sait avec précision. Mais ce qui est sûr, c’est que leur nombre se chiffre par milliers. Combien de disparus, de sans abris, de déplacés ? On passe rapidement cette fois à des dizaines de milliers. Mais peut-on attribuer ce terrible désastre uniquement aux conditions climatiques aussi extrêmes soient-elles ? Comment expliquer l'absence quasi-totale des autorités libyennes, ou du moins ce qu'il en reste, malgré l'ampleur de la catastrophe et les avertissements répétés concernant notamment l'état de délabrement avancé des barrages situés dans le nord-est de la Libye ? On ne peut répondre à ces interrogations et comprendre cette gestion criminelle de la tragédie sans revenir à l'intervention militaire de l'Otan en Libye en 2011.
Profitant des soulèvements populaires dans le monde arabe, l’impérialisme américain et son caniche européen ont envahi militairement la Libye pour installer un régime qui servira leurs intérêts. Le régime de Kadhafi a été remplacé, au prix de milliers de morts, de destruction de l'infrastructure économique et de l'unité du peuple libyen, par des milices islamistes qui jusqu'à aujourd'hui encore continuent à s'affronter. Le peuple libyen était alors privé de sa révolution, de ses richesses et se trouvait dans la même situation tragique que celle des peuples irakien, yougoslave, afghan etc. Cette intervention militaire a brisé également cet immense espoir, soulevé par la révolution tunisienne et égyptienne dans les masses arabes opprimées, pour une société meilleure débarrassée de la domination impérialiste et de ses serviteurs locaux.
Aujourd'hui la Libye est un pays ravagé par une guerre interminable entre milices et gouvernements rivauxalimentée par des puissances étrangères qui ne cherchent qu' à défendre leurs intérêts géopolitiques et piller les richesses du peuple libyen. La violence, l'arbitraire et l'anarchie, au mauvais sens du terme, font partie intégrante du quotidien des libyens auxquels l'OTAN avait promis pourtant démocratie, liberté, respect des droits de l'homme et prospérité. Quelques années seulement après cette intervention, la situation économique d'une bonne partie de la population est désastreuse : Selon LVSL "En 2017, 60% de la population libyenne souffrait de malnutrition. 1,3 million de Libyens étaient en attente d’une aide humanitaire d’urgence, sur une population totale de 6,4 millions d’habitants. Cette situation catastrophique fait suite à l’intervention éclair de 2011 conduite par l’OTAN". Rappelons que la Libye avant l'intervention impérialiste était le pays le plus prospère de tout le continent africain.
Une des conséquences directes de cette intervention est l'éclatement de la nation libyenne, construction récente et fragile, en entités plus ou moins indépendantes du pouvoir central et dominées par des tribus s'entretuant mutuellement. Les minorités non-arabes, Berbères, Toubous et autres Touaregs revendiquent leurs spécificités culturelles et linguistiques. Les tensions avec les tribus arabes dominantes se règlent souvent les armes à la main faisant plusieurs dizaines de morts. L'unité et la souveraineté de la Libye ne sont désormais qu'un lointain souvenir. Aujourd'hui, la Libye est ainsi livrée en proie à une féroce meute de hyènes. Il faut dire que ce pays possède des ressources pétrolières, gazières et minières parmi les plus importantes au monde. Désormais les multinationales pétrolières peuvent pomper tels des vampires le pétrole libyen en toute quiétude.
On ne peut parler de la Libye sans évoquer le sort cruel réservé aux travailleurs immigrés notamment africains. Le dernier rapport des Nations Unies publié en mars 2022 constate que la torture est une pratique systématique et généralisée et "les personnesemprisonnées en Libye sont couramment détenues arbitrairement pendant des périodes prolongées. Elles seraient systématiquement torturées, violées ou menacées de viol, y compris sur des membres féminins de leur famille, et parfois tuées".
L'intervention impérialiste en Libye a fait des dizaines de milliers de victimes innocentes. Elle a détruit l'essentiel de l'infrastructure économique du pays. Elle a brisé l'unité de la nation libyenne. Barack Obama, Hillary Clinton, David Cameron et Nicolas Sarkozy, pour ne citer que ceux-là, ont du sang libyen sur les mains. Ils sont aujourd'hui, avec les ravages du cyclone Daniel, responsables même indirectement de cette tragédie qui a fait des milliers de morts et de disparus.
Solidarité et soutien à toutes les familles des victimes du séisme.
Beaucoup de villages n'ont reçu aucune aide 48 heures après le drame.
Les survivants qui ont tout perdu n'ont vu ni la sécurité civile, ni l'armée, ni les gendarmes, ni personne.
Seules l'entraide et la solidarité entre habitants, avec leurs modestes moyens, ont permis de sauver quelques vies humaines.
"Maintenant, nous sommes tous très pauvres. Plus de maison, plus rien à manger. Le travail, l’école, c’est fini… On a tout perdu" disait un habitant d'Amizmiz (1).
Le 30 août 2023 un groupe d'officiers de l'armée gabonaise a mis fin au règne d'Ali Bongo :"une gouvernance irresponsable, imprévisible qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos (…) nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place" disait le communiqué du Comité de transition et de restauration des institutions (1).
Mais pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui au Gabon, il faut évoquer même rapidement la dictature de la dynastie Bongo.
Omar Bongo, installé au pouvoir par la France en décembre 1967, savait organiser le pillage des richesses de son propre pays au profit des multinationales françaises comme Eramet, TotalEnergies, Air Liquide, Air France, Areva, Axa ou encore, le groupe Bolloré par exemple. Il résumait à lui seul le comportement de l'impérialisme français en Afrique. Après son décès en 2009 et 42 ans de règne sans partage, son fils lui succède. Il fallait, vaille que vaille, qu'Ali Bongo soit président à vie de la "république" du Gabon comme son père, même s’il est rejeté massivement par la population. Peu importe ! Ce qui compte, c'est que les richesses comme le bois, le manganèse ou le pétrole gabonais restent concentrées entre les mains des actionnaires des grandes entreprises françaisesavides de profit. Ali Bongo, le fils à papa, est l’incarnation vivante de cette continuité. Une dynastie au cœur de la République! Le saccage de cette terre africaine doit se perpétuer éternellement. Guerres, pillages, misère, corruption (2) etc. ont laissé les populations, à l’instar d’un grand blessé, exsangues. Les artères de l’Afrique sont ouvertes. La bourgeoisie locale et la bourgeoisie française, tels des vampires, pompent son sang comme Total pompe le pétrole gabonais.
Le 16 juin 2009 aux obsèques d'Omar Bongo, qui a ruiné son pays et son peuple, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, anciens présidents de la République, ont été hués par la population gabonaise. Car elle sait que la politique de ces deux hommes et celle de tous les présidents français depuis qu' Omar Bongo est au pouvoir et même avant sont largement sources de sa misère alors que le pays regorge de richesses: "La France est ingrate. Bois, pétrole, manganèse, on vous a tout donné» scandaient les gabonais ou encore "On ne veut plus de vous, partez!". Les grands médias français, s'ils ont évoqué cette visite, ont été très discrets sur l'hostilité de la population à l'égard de Sarkozy et de Chirac complices de cette dictature. Sarkozy et Chirac ne représentaient pas la France à l'enterrement du dictateur, mais la bourgeoisie française. Le journal Le Monde du 16 juin 2009 décrivait ainsi l'hommage rendu par les patrons français à Omar Bongo : «des centaines de couronnes mortuaires sont empilées sous des tentes face à l'océan. Axa, Bolloré ou Air France y adressent leurs condoléances et leurs «regrets éternels». L'une d'elles a été déposée par l'ancien patron d'Elf, Loïk Le Floch-Prigent en personne au nom de sa société pétrolière Pilatus Group".
Il appartient maintenant au peuple gabonais et à lui seul de transformer cette révolution de palais en révolution véritablement populaire. Il est grand temps que les peuples africains se débarrassent de leurs dictateurs et de leurs protecteurs néocolonialistes.
La négation de la lutte des classes ou tout du moins sa marginalisation dans le discours dominant correspond à cette volonté de la classe dirigeante de tromper et de démoraliser les masses populaires pour mieux les asservir. Dans les productions intellectuelles, médiatiques, artistiques et politiques, la lutte des classes est présentée comme une notion surannée appartenant à une société révolue. La bourgeoisie a réussi à faire croire, notamment à ceux qui ont objectivement intérêt à révolutionner leurs conditions d'existence, que la lutte des classes est un anachronisme, que la " fin de l'Histoire" est une réalité des temps modernes. Le capitalisme reste donc l'unique et l'ultime horizon des hommes. Pourtant, malgré sa puissance sociale, l'idéologie de la classe dominante est contredite chaque jour par la réalité. La lutte des classes, sous ses différentes formes, fait rage partout à travers le monde. Elle n’épargne ni le Nord ni le Sud, ni l'Est ni l'Ouest.
En France, la lutte des classes s'est accélérée avec l'arrivée de Macron au pouvoir. Les attaques contre les droits des travailleurs, les services publics, la Sécurité sociale etc., sont devenues permanentes. Les prérogatives des patrons ont été renforcées et les conditions d'exploitation du travail facilitées. Les exigences de la bourgeoisie en matière économique et sociale sont satisfaites avec un zèle rare : destruction du code du travail, précarisation et flexibilisation de l'emploi, démantèlement du service et de la fonction publique, suppression des contrats aidés, diminution des indemnités chômage, suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), prélèvement forfaitaire unique (PFU) plafonné à 30 % sur les revenus du capital, baisse de l'impôt sur les bénéfices des sociétés etc. etc. En même temps, la politique d'austérité a été renforcée :réduction drastique des dépenses de la Sécurité sociale, de l’Éducation, de la Santé, des transports, du logement public etc. L'austérité, faut-il le rappeler, n'est qu'un paravent derrière lequel se cachent les intérêts de la classe dominante. La bourgeoisie est aux anges. Aucun autre président ne l'a comblée autant que Macron. Ni Chirac, ni Sarkozy, ni Hollande n'ont mené une politique aussi brutale et aussi rapide contre le peuple et pour laminorité des puissants.
C'est dans ce cadre général qu'il faut situer le mouvement des Gilets jaunes qui constitue au fond une révolte contre cette politique ultra-libérale imposée par une minorité d'exploiteurs à l'immense majorité de la population. Aucun mouvement dans l'histoire récente de la France n'avait mobilisé autant d'hommes et de femmes sur une aussi longue période contre la classe dirigeante notamment son représentant Emmanuel Macron. Sa radicalité n' est que le corollaire de la brutalité des politiques économiques et sociales menées par l'une des plus féroces bourgeoisies au monde. Les Gilets jaunes ont compris que derrière cette injustice et cette dégradation générale des conditions de vie que subissent les classes populaires, se cache la classe des oppresseurs qui a hissé brutalement Macron à la tête de l'Etat. "Macron, robin des rois", "président des riches" ou encore "Rends l’ISF d’abord !"clamaient les Gilets jaunes. Leur combat n'est pas seulement pour améliorer momentanément les conditions d’existence des travailleurs, des salariés, bref de tous les exploités pour rendre la société capitaliste supportable, mais de lutter pour une nouvelle société : "Conscients que nous avons à combattre un système global, nous considérons qu'il faudra sortir du capitalisme" (1).
Effrayée par la détermination de ce mouvement populaire et par sa farouche volonté de ne plus s'inscrire dans le jeu du pouvoir, la classe dirigeante n'a pas hésité à mener une véritable guerre contre les Gilets jaunes. Même l'armée a été appelée à la rescousse. Car lorsque le conflit s'aiguise, la classe dominante n'a d'autres choix que d'utiliser la violence pour perpétuer sa domination. Et plus la lutte perdure et prend de l'ampleur, plus la répression devient intense et brutale : rien de plus normal dans une société fondée sur la lutte des classes.
Les mobilisations massives contre la "réforme" des retraites ne sont en fait que le prolongement du combat des Gilets jaunes dont les slogans et les chants ont été d'ailleurs repris massivement par les manifestants. Le 19 janvier 2023 plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre le report de l'âge de la retraite à 64 ans. Toutes les villes de France, petites et grandes, sont touchées par ce mouvement populaire. Malgré la propagande, le mensonge et la répression, la population reste déterminée à lutter contre la politique de Macron, représentant zélé de la classe dominante. Même les directions syndicales, moins radicales que leurs bases, ont été surprises par la vitalité du mouvement.
Il s'agit d'une opposition de masse qui dépasse le cadre corporatiste et étroit des retraites même si les revendications restaient essentiellement économiques. Il faut dire que cette réforme constitue une attaque frontale et d'ampleur contre le monde du travail.
Là encore comme avec le mouvement des Gilets jaunes, la répression est féroce : brutalités policières, utilisation des drones, gardes à vue abusives, interdictions des rassemblements, acharnement judiciaire et criminalisation des manifestants etc.
Pendant ce conflit ouvert contre la "réforme" des retraites, le mouvement écologiste ouvre un autre front à Sainte-Soline contre l'installation des méga-bassines conçues prioritairement pour servir les grandes exploitations agricoles. Une répression d'une rare violence s'est abattue sur des milliers de manifestants : des centaines de blessés dont plusieurs gravement et deux avec un pronostic vital engagé. Aujourd'hui encore beaucoup de ces manifestants gardent des séquelles physiques et psychologiques de cette terrible répression. La police a procédé en même temps aux marquages, aux perquisitions, à l'arrestation et à l'espionnage des militants écologistes traités de surcroît de "terroristes". Le 21 juin 2023, le pouvoir annonce la dissolution du collectif écologiste, le Soulèvement de la Terre. Dans cette guerre de classe, l'État bourgeois ne pouvait répondre que par des mesures guerrières !
Le 27 juin 2023, la France a été secouée par des révoltes violentes venues des quartiers populaires. Ce jour-là, Nahel, un jeune de 17 ans, a été abattu à bout portant par un policier. Ce crime ordinaire de l'Etat français vient ainsi allonger une liste d'assassinats déjà trop longue. Le meurtre de Nahel n'était en fait que l'étincelle qui a embrasé à nouveau les cités populaires, 18 ans après la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005. Paupérisés, marginalisés, méprisés et persécutés par une classe dirigeante arrogante, les jeunes des cités se révoltent à intervalles réguliers même s'ils savent qu'ils s'exposent à la prison, aux mutilations et à la mort. Leur rage et leur colère jaillissent, comme les flammes des voitures qu'ils brûlent, des conditions matérielles d'existence inhumaines. Leur révolte n'est pas dirigée uniquement contre les brutalités policières; elle embrasse l'ensemble des symboles et institutions de l'ordre bourgeois qui les opprime au quotidien à commencer par l'école. Celle-ci n'est que le reflet d'une société de classes. Le tri, le classement, la hiérarchisation et la sélection restent, pour l'essentiel, son mode de fonctionnement. L'école broie celles et ceux qui ne possèdent pas ou qui ne maîtrisent pas les codes culturels eux-mêmes déterminés par le milieu social malgré le courage et le dévouement de ses personnels qui travaillent dans des conditions difficiles. Ces humiliés ont montré à plusieurs reprises qu'ils sont capables de se mettre en colère, de se révolter et de se dresser contre un ordre injuste contrairement à un lumpenprolétariat qui se trouve souvent du côté de la classe dominante. Leur révolte est un acte social et politique dirigé contre un État policier qui opprime et punit les plus fragiles de la classe ouvrière.
Pour la classe dirigeante et ses médias, il ne s'agit que de "voyous", de "casseurs", de "bruleurs" de voitures, de bus, de bâtiments publics, de "voleurs" de magasins etc., organisés en bandes qui troublent l'ordre public et qu'il faut impitoyablement réprimer. Le pouvoir qui s'inquiète grandement des constructions, des bâtiments, "de la brique et du mortier" (2),n'a nullement le souci de la vie et de l'intégrité physique des révoltés. Rappelons que les Gilets jaunes, pour les délégitimer, ont subi eux aussi le même sort : une "foule haineuse", des "bœufs", des "casseurs", des "nervis", des "fascistes", des "antisémites" etc. Certains vont même jusqu'à appeler les forces de l'ordre et l'armée à se servir des armes :"qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois ![…] On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies" (3)
La "racaille", comme disait Nicolas Sarkozy, va alors payer cher son audace et son insolence à vouloir secouer cet ordre qui l'humilie et la méprise en permanence. La police a procédé à des milliers d'interpellations et les tribunaux ont distribué des années de prison ferme (4). Il faut dire que le ministre de la justice,Eric Dupond-Moretti, a intimé l'ordre aux procureurs généraux "de donner une réponse pénale rapide, ferme et systématique" à l'encontre des jeunes révoltés (5).
En 2005, pour mémoire, le gouvernement de l'époque a même proclamé l'état d'urgence et le couvre-feu qui l'accompagne; décision rare dans l'histoire récente de la France. En fouillant dans son passé, la République bourgeoise a trouvé une loi, celle de 1955, conçue pour imposer l'ordre colonial en Algérie. Cinquante ans après, elle l'exhume pour mater la révolte des enfants et des petits-enfants des travailleurs immigrés ! Aujourd'hui, la classe dirigeante a donné un blanc-seing à la police pour "restaurer l’ordre" contre des "hordes de sauvages" et des "nuisibles". La police est son bras armé sans lequel elle ne peut se maintenir longtemps au pouvoir. Aucun Etat même le plus démocratique ne peut se passer de la violence pour maintenir la majorité de la population dans la soumission. Cette violence est banalisée et légitimée par le discours médiatique et institutionnalisée à travers la police. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre ce renforcement extraordinaire de ses prérogatives et de ses pouvoirs.
L'un des mérites des révoltés des cités populaires et avant eux des Gilets jaunes, est d'avoir montré d'une manière éclatante que l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté de la presse, de manifestation, etc. ne sont en réalité que des contrevérités véhiculées par la classe dirigeante pour mieux justifier ses privilèges. La terrible répression qui s'est abattue sur eux comme sur les manifestants contre la réforme des retaites ou sur les contestataires des méga-bassines de Sainte-Soline est en soi une négation éloquente de cette démocratie des riches et une confirmation par et dans les faits de la dictature du capital.
La lutte des classes, sous une forme ou sous une autre, ouverte ou dissimulée, se poursuivra inéluctablement tant que les intérêts de classes restent inconciliables. L'entente des classes n'est qu'une chimère, une rêverie produite et entretenue par les classes exploiteuses.
(2)K Marx : "Le Paris ouvrier, en accomplissant son propre, son héroïque holocauste, a entraîné dans les flammes des immeubles et des monuments. Alors qu'ils mettent en pièces le corps vivant du prolétariat, ses maîtres ne doivent plus compter rentrer triomphalement dans les murs intacts de leurs demeures. Le gouvernement de Versailles crie : Incendiaires ! (...) La bourgeoisie du monde entier qui contemple complaisamment le massacre en masse après la bataille, est convulsée d'horreur devant la profanation de la brique et du mortier !" "Dans La guerre civile en France. Editions sociales, p.84.
Un jeune homme de 17 ans a été abattu par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre. Un autre jeune de 19 ans a été tué par un fonctionnaire de police à Saint-Yrieix (Charente) le 14 juin 2023 (1).
Malheureusement ces jeunes ne seront pas les dernières victimes de la police. De Zied et Bouna (17 et 15 ans) à Adama Traoré (24 ans) en passant par Malik Oussekine (22 ans) et Rémi Fraisse (21 ans), la liste de ces assassinats est trop longue. Les jeunes des cités populaires se révoltent à intervalles réguliers. Leur rage et leur colère jaillissent, comme les flammes des voitures qu'ils brûlent, des conditions matérielles d'existence inhumaine. Leur révolte n'est pas dirigée uniquement contre les brutalités policières; elle embrasse l'ensemble des symboles et institutions de l'Etat bourgeois qui les opprime au quotidien. Ces humiliés ont montré à plusieurs reprises qu'ils sont capables de se mettre en colère, de se révolter et de se dresser contre un ordre injuste contrairement à un lumpenprolétariat qui se trouve souvent du côté de la classe dominante. Leur révolte est un acte social et politique dirigé contre un État qui opprime et punit les plus fragiles de la classe ouvrière, même si l'on s'obstine à ne pas le reconnaître.
Les assassinats, les mutilations et d'une manière générale la répression et la violence exercées sur les jeunes des cités, partie intégrante de la classe ouvrière, et sur le mouvement social et écologique montrent bien que le rôle confié par la bourgeoisie à la police est de briser toute contestation, toute résistance aussi minime soit-elle à l'ordre établi. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre toute cette surenchère sécuritaire, cette militarisation de la police et ce renforcement extraordinaire de ses pouvoirs. Les crimes ordinaires de l'Etat français, à travers sa police, se suivent et se ressemblent. Il y aura dans l'avenir d'autres crimes tellement la police est intimement liée à l'Etat.
L’État n'est pas au-dessus des classes, il en est même le produit. Il y a longtemps, Engels exprimait cette idée fondamentale de ce qu'est l'Etat : " L'Etat n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société; il n'est pas d'avantage "la réalité de l'idée morale", "l'image et la réalité de la raison", comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer." (2)
L'Etat ajoute Lénine "surgit là, au moment et dans la mesure où, objectivement, les contradictions de classes ne peuvent être conciliées. Et inversement : l'existence de l'Etat prouve que les contradictions de classes sont inconciliables." (3)
La police est l'un des piliers de l'Etat. Elle est son bras armé qui permet à une classe de réprimer une autre. La mission de la police n'est donc pas la sécurité publique mais le maintien de l'ordre politique, garanti par l’État, instrument d'oppression de la classe dominante.
Les assassinats sont et seront banalisés, légitimés et institutionnalisés par l'Etat. En 2017 par exemple, la loi relative à la sécurité publique a nettement assoupli la notion de la légitime défense (4). Depuis cette date, le nombre de personnes abattues par la police a été multiplié par cinq (5).
Aucune république, aucune monarchie même la plus démocratique, ne peut se passer de la violence pour maintenir la majorité de la population dans la soumission. L'existence du suffrage universel, du gouvernement, du parlement et de toutes les institutions qui gravitent autour de l’État ne change rien au fond du problème : l’État reste ce qu'il est réellement c'est-à-dire un appareil de domination et d'oppression d'une classe par une autre. Il ne peut en être autrement dans une société de classes où l’État possède le monopole de la violence. L’État au service du peuple, de l'ordre public, de l'intérêt général etc. ne sont que des grossiers mensonges véhiculés par la classe dirigeante pour mieux justifier ses privilèges et sa domination.
Les forces du progrès ne doivent pas abandonner les habitants des ghettos-cités aux forces obscures et réactionnaires. Les travailleurs immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants qui sont nés sur le sol de ce pays font partie intégrante, pour la grande majorité d'entre eux, de la classe ouvrière. Ils subissent plus que les autres les ravages du chômage, de la précarité et les affres des humiliations en tout genre. Cette insécurité et cette violence permanentes exercées sur cette fraction vulnérable et fragile de la société par une bourgeoisie arrogante et brutale, montrent à l'évidence que leur révolte est légitime. Ses morts, nombreux et anonymes, ne sont pas reconnus et encore moins décorés par la République bourgeoise. Leur combat doit être celui de toutes les forces qui s'opposent et aspirent à renverser l'ordre établi.
Le 15 avril 2023, les habitants de Khartoum et d'autres villes du Soudan se sont réveillés sous le bruit des armes. De violents combats opposent deux factions de l'armée soudanaise : les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide menés par le général Mohamed Hamdane Daglo et l'armée régulière soudanaise dirigée par le général Abdel Fattah Al-Burhan, à la tête de l'Etat depuis le putsch de 2021. Mais pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui au Soudan, il est nécessaire de revenir sur le passé de ce pays tourmenté. En effet, l'histoire politique du Soudan est riche en révoltes, en révolutions et en coups d'Etat militaires qui ne sont, en dernière analyse, que l'expression d'une lutte de classe plus ou moins ouverte entre oppresseurs et opprimés.
Sans remonter à la période coloniale où les « mahdistes » ont mis en déroute l'armée de l'occupation britannique en 1885 avant d'être défaits par le général Kitchener en 1898, le Soudan moderne a connu une série de soulèvements populaires et de putschs militaires entrecoupée d'intermèdes démocratiques. Dès 1958, deux ans seulement après la proclamation de l'indépendance en 1956, le général Ibrahim Abboud s'empare du pouvoir mettant ainsi un terme au régime parlementaire gangrené par la corruption et incapable de sortir le pays de la crise économique liée essentiellement à la chute des prix du coton.
Le nouveau régime militaire soutenu par le Royaume Uni et dont le règne est marqué par de nombreuses mesures impopulaires et discriminatoires notamment vis à vis de la population du Sud majoritairement chrétienne et animiste, est chassé à son tour du pouvoir par la révolution d'octobre 1964 (Thawrat Oktobar) dont l'étincelle est partie de l'université de Khartoum la capitale. La résistance sudiste, l'influence du parti communiste dans les milieux ouvriers, paysans et intellectuels ainsi que, dans une moindre mesure, celle des Frères musulmans ont joué un rôle décisif dans le renversement de la première dictature militaire.
Le nouveau gouvernement provisoire mis en place a promulgué des lois progressistes comme celle qui donne aux femmes, pour la première fois, le droit de vote. Mais la situation a changé rapidement sous l'influence des islamistes qui ont réussi à interdire le parti communiste en 1965 et exclu ses députés de l'Assemblée. Le PC soudanais qui était le fer de lance dans le soulèvement d'octobre 1964 est condamné une nouvelle fois à la clandestinité.
Le 25 mai 1969, un nouveau coup d'Etat mené cette fois par de jeunes officiers nationalistes dont certains sont proches du parti communiste, porte au pouvoir le colonel Gaafar Nimeiry (devenu général puis maréchal par la suite). Admirateur de Nasser, le nouveau maître du Soudan mène une politique de nationalisation et adopte, sur le plan politique, des mesures démocratiques. Mais très tôt Nimeiry entre en conflit ouvert avec les communistes qui doutent fortement du caractère révolutionnaire de son gouvernement. Ils lui reprochent de surcroît son autoritarisme et surtout son projet d'Union tripartite avec l'Egypte de Sadate et la Libye de Khadafi. Les ministres communistes et les officiers proches du parti sont alors exclus du gouvernement.
Le 19 juillet 1971 une tentative de coup d'Etat montée contre Nimeiry et attribuée aux communistes a échoué. Nimeiry décide alors d'écraser définitivement le parti communiste soudanais, le plus important alors du continent africain. «Une effroyable campagne de liquidation physique du parti communiste soudanais et ses sympathisants. Une terrible chasse à l’homme à travers tout le territoire, qui devait engloutir des milliers de cadres politiques, intellectuels, syndicalistes, étudiants et militaires» (1). Le prestigieux dirigeant du parti Abdel Khaliq Mahjoub fut pendu le 28 juillet 1971. Cette période marque le déclin du parti communiste soudanais qui était sur tous les fronts, de toutes les révoltes et de toutes les révolutions avant et après l'indépendance du Soudan. Mais ces idées révolutionnaires pour un Soudan moderne restent encore aujourd'hui l'emblème de tous les soulèvements populaires contre les dictatures militaires.
Débarrassé des communistes, Nimeiry se rapproche des Etats-Unis, de l'Arabie Saoudite, d'Israël et se réconcilie avec les partis fondamentalistes. Il impose la Charia, l'islamisation des institutions et de la société y compris au Sud Soudan dont la population est majoritairement chrétienne et animiste. Il a même exécuté par pendaison Mahmoud Mohamed Taha, un penseur musulman moderniste et fondateur du parti des Frères Républicains d'inspiration socialiste. Devant la Cour avant son exécution Taha déclare «J'ai affirmé à plusieurs reprises mon opinion, selon laquelle les lois de septembre 1983 bafouent la charia islamique et l'islam lui-même. De plus, ces lois ont défiguré la charia islamique et l'islam jusqu'à les rendre repoussants. Plus encore, ces lois ont été édictées et utilisées pour terroriser le peuple et le soumettre à force d'humiliation» (2).
En mars 1985, les soudanais sont descendus massivement dans la rue, une fois encore, pour protester contre les augmentations des prix des denrées alimentaires de base et contre Nimeiry qui les a appliquées sur les injonctions du FMI. Le régime réagit violemment. Mais cette brutalité n'a fait que renforcer la volonté des révoltés à se débarrasser du dictateur.
En avril de la même année, le général Nimeiry est renversé par un autre général Abdel Rahman Suwar al-Dahab. Un gouvernement transitoire est constitué. Les prisonniers politiques sont libérés, les libertés publiques restaurées et le parti communiste est de nouveau autorisé. Les élections sont organisées en 1986 et les négociations pour trouver un accord avec les rebelles du Sud sont entamées. Mais cette relative liberté permise par la nouvelle révolution a été de courte durée.
Le 30 juin 1989, le colonel Omar Al-Bashir s'empare du pouvoir par un coup d'Etat militaire mettant un terme au gouvernement civil de Sadek el-Mahdi. Une nouvelle dictature s'installe. Le parlement est dissout. Les partis politiques ainsi que les syndicats sont interdits et leurs dirigeants emprisonnés. Omar Al Bachir s'allie un temps avec les Frères musulmans et leur guide Hassan Al Tourabi qui inspirait sa politique. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains : il est à la fois Président de la république, premier ministre, chef des armées et ministre de la défense. Le dictateur introduit un nouveau «code islamique» encore plus rigoriste que celui imposé par Gaafar Nimeiry. Al Bachir commet au Darfour, l'une des régions les plus pauvres du Soudan malgré la richesse de son sous-sol, de véritables crimes de guerre qualifiés de crime contre l'humanité par l'ONU (3).
Il intensifie la guerre au Sud avant de signer avec les rebelles en 2005 un accord de paix et l’organisation d’un référendum d’autodétermination en janvier 2011. En juillet de la même année Al Bachir est contraint d'accepter la sécession du Sud (600 000 kilomètres carrés).
Il privatise les chemins de fer ainsi que de nombreux secteurs de l'économie soudanaise. Il applique les politiques d'austérité et la « vérité des prix » imposées par le FMI. Et c'est justement cette politique dictée par le Fonds monétaire qui a allumé l'étincelle qui va embraser tout le Soudan.
En effet le 19 décembre 2018, alors que l'économie du pays traverse une crise profonde, le gouvernement d'Al Bachir annonce le triplement du prix du pain et augmente celui de l'essence de 30 % alors que l'inflation a déjà atteint les 40 %. Des émeutes éclatent d'abord dans les villes ouvrières notamment à Atbara fief du parti communiste et berceau de tous les soulèvements populaires soudanais avant de se répandre dans tout le pays. Mais les émeutes se sont vite transformées en contestation du régime d'Al Bachir : «Le peuple veut la chute du régime» clament les manifestants. Une dynamique révolutionnaire impulsée et guidée par l'Association des Professionnels Soudanais (APS) s'est emparée de tout un peuple. Malgré une féroce répression et ses dizaines de morts, malgré la présence des Janjawid, ces soldats de sinistre mémoire pour leurs atrocités commises au Darfour, malgré l'instauration d'état d'urgence et le couvre-feu, les manifestants réclament toujours avec force le départ d'Al Bachir et des forces islamistes réactionnaires qui le soutiennent. «La révolution est le choix du peuple» scandent, jour et nuit, les manifestants devant le quartier général de l’armée symbole du pouvoir.
Le 11 avril 2019 Omar Al Bachir est destitué par l'armée : «J'annonce en tant que ministre de la
défense la chute du régime» disait le communiqué lu par le ministre de la défense le général Awad Ibn Awf (4). Un Conseil militaire de transition est mis en place présidé par le général Al Burhan. C'est une première étape de la révolution remportée par le peuple soudanais.
La deuxième a commencé le 17 août 2019 avec la constitution d'un Conseil souverain appelé à superviser «la transition démocratique». Ce Conseil est composé de 11 membres, 5 militaires et 6 civils, dont deux femmes. Un nouveau gouvernement, 18 membres dont 4 femmes, est constitué un mois après et dirigé par un économiste Abdallah Hamdok.
Al Bachir est tombé mais son régime est toujours en place et les islamistes se tiennent en embuscade. Le ministère de l'intérieur et celui de la défense sont toujours entre les mains des militaires. La victoire n'est pas encore là et la lutte des classes se poursuit.
Le 25 octobre 2021, le Soudan a connu un nouveau coup d'Etat mené cette fois par le général Al- Burhan président du Conseil militaire. Ce putsch met fin au processus de transition démocratique entamé depuis la chute du dictateur Omar Al Bachir en avril 2019.
Aujourd'hui Al-Burhan est à son tour contesté par un autre général, Mohamed Hamdane Daglo.
La troisième étape de la révolution soudanaise reste donc à écrire.
La répression qui s'abat aujourd'hui sur les mouvements sociaux et écologiques n'est que le prolongement des châtiments corporels d'un autre âge infligés aux gilets jaunes : mains arrachées, yeux crevés, visages défigurés, crânes fracassés etc. Malheureusement la violence exercée sur ce mouvement populaire n'a pas été suffisamment dénoncée. Une partie des directions syndicales assistait en spectatrice à ce conflit ouvert comme si elle n'était pas concernée. Les gilets jaunes sont restés seuls face à un pouvoir réactionnaire et extrêmement violent.
Aujourd'hui le même pouvoir utilise la même violence contre la colère sociale qui s'exprime partout dans le pays. Aux problèmes sociaux, écologiques et politiques, l'État bourgeois répond par des mesures guerrières ! Car lorsque le conflit s'aiguise la classe dirigeante n'a d'autres choix que d'utiliser la répression pour briser la contestation et perpétuer sa domination. Et plus la lutte perdure et prend de l'ampleur, plus cette classe devient brutale, arrogante et odieuse. Rien de plus normal dans une société fondée sur la lutte des classes.
Cette violence est d'abord une violence d'Etat. Elle est banalisée et légitimée par le discours médiatique et institutionnalisée à travers la police. La mission essentielle de la police n'est pas la sécurité publique mais le maintien de l'ordre politique. Son rôle est de briser toute résistance à l'ordre établi aussi minime soit-elle. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre toute cette surenchère sécuritaire, cette militarisation de la police et lerenforcement extraordinaire de ses pouvoirs.
Aucune république, aucune monarchie même la plus démocratique, ne peut se passer de la violence pour maintenir la majorité de la population dans la soumission. L'existence du suffrage universel, du gouvernement, du parlement et de toutes les institutions qui gravitent autour de l’État ne change rien au fond du problème : l’État reste ce qu'il est réellement c'est-à-dire un appareil qui réprime par la violence toute contestation de l'ordre établi. La terrible répression exercée sur les Gilets jaunes et en ce moment sur le mouvement de contestation sociale et écologique sont des exemples éloquents à cet égard. Il ne peut en être autrement dans une société de classes où l’État possède le monopole de la violence. L’État au service du peuple, de l'ordre public, de l'intérêt général etc. ne sont que des grossiers mensonges véhiculés par la classe dirigeante pour mieux justifier ses privilèges et sa domination.
L’État français peut en totale impunité éborgner les manifestants, arracher leurs mains, les défigurer, ou tout simplement les éliminer physiquement par des armes de guerre. Ni la justice, ni l'Inspection Générale de la Police Nationale, ni le Conseil d’État, ni le Défenseur des Droits, ni l'ONU, ni le Parlement européen, ni le Conseil de l'Europe, ni toutes les autres institutions nationales et internationales ne sont en mesure d'arrêter cette violence de classe.