Le film d'Emmanuel Gras décrit le combat, les espoirs et les déceptions des Gilets jaunes du rond-point de Chartres. Leurs paroles et leurs histoires personnelles difficiles sont souvent émouvantes et sincères. En donnant la parole à celles et ceux qui ne l'ont jamais, celles et ceux de la France d'en bas, le film retrace en fait dans une certaine mesure l'évolution de tout le Mouvement des Gilets jaunes.
Pourtant ce sont ces invisibles "ces gens de rien", ces "sans dents" qui vont se soulever dans un élan formidable contre le pouvoir en place qu'ils jugent responsable de leur situation : "Macron démission" scandent à pleins poumons les Gilets jaunes sur le rond-point et dans les manifestations parisiennes tous les samedis. Cette révolte est la conséquence directe, rappelons-le, de la politique de paupérisation ultra-libérale menée tambour battant par les gouvernements successifs.
Le film montre en filigrane que la lutte des Gilets jaunes est en quelque sorte un refus de l'immobilisme qui caractérise la scène politique française.
Le film n'a pas occulté les contradictions et les incohérences des Gilets jaunes dont la spontanéité, la naïveté et la sincérité sont à la fois une force et une faiblesse. Les Gilets jaunes n'ont pas l'expérience des luttes politiques et syndicales, ce qui génère parfois tensions, divisions et finalement l'inefficacité des actions. Le documentaire s'est également attardé sur le thème du RIC (Référendum d'Initiative Citoyenne) qui est controversé au sein même du mouvement.
En revanche, le film est passé trop rapidement sur les terribles violences, d'un autre âge, subies par les Gilets jaunes : yeux crevés, mains arrachées, visages défigurés, crânes fracassés... Pour briser le Mouvement, la bourgeoisie française a mobilisé tout son appareil répressif et judiciaire. Les Gilets jaunes sont probablement le Mouvement le plus réprimé dans l'histoire récente de la France. Les chiffres parlent d'eux-mêmes :
2 décès,
315 blessures à la tête,
24 éborgné·es,
5 mains arrachées
Les personnes placées en garde à vue et/ou renvoyées devant les tribunaux se comptent par milliers.
Macron et son gouvernement considèrent que la violence et la brutalité utilisées contre les Gilets jaunes sont justes alors que la moindre vitrine cassée par les révoltés constitue par elle-même un crime !
Il faut aller voir ce beau film pour essayer de comprendre comment de simples citoyens armés de leurs gilets jaunes et de leur détermination ont pu, pour une société plus juste, produire un événement majeur dans cette lutte qui fait rage entre les dominants et les dominés. Il entrera dans l'histoire avec une aura qui lui est propre.
Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau.
dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
tu es comme la moule enfermée et tranquille.
Tu es terrifiant, mon frère,
comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas,
tu n’es pas cinq, tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
quand le bourreau habillé de ta peau
quand il lève son bâton
tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s’il y a tant de misère sur terre
c’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes tiraillés, épuisés,
Si nous somme écorchés jusqu’au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.
Nâzim Hikmet, Il neige dans la nuit et autres poèmes.
Nâzim Hikmet (1901-1963) est l'un de ces grands poètes qui ont subi la répression, l'oppression et la persécution. Déchu de sa nationalité, expulsé de son pays, Nâzim Hikmet est mort en exil. Car comme disait l'autre grand poète Gabriel Celaya, la poèsie est une arme mais une arme chargée de futur porteur de combats et d'espoir. La poésie peut inquiéter les tyrans lorsqu'elle interpelle et incite les citoyens à changer leur destin et à ne pas rester indifférents et passifs. Les despotes n'aiment pas voir les poètes chanter. Car la poésie peut être dangereuse lorsqu'elle s'empare des masses.
En ces temps de débandade généralisée, le combat idéologique, en parallèle de la lutte économique et politique, revêt une importance capitale. En effet, les attaques idéologiques de la bourgeoisie, facilitées par d'innombrables moyens de diffusion de plus en plus sophistiqués, sont permanentes, perfectionnées et cyniques. L'idéologie dominante est partout. Elle est omniprésente et omnipotente. Aucun domaine ne lui échappe. Elle se renouvelle constamment sous des formes les plus variées. Livrés à eux-mêmes, les prolétaires modernes n'échapperont donc pas à son influence et à son emprise. Le combat pour l'émancipation passe nécessairement par la lutte contre cette idéologie totalitaire. Parmi ces idées fausses inculquées d'une manière systématique aux masses populaires, à travers notamment les médias, les instituts de sondages, l'industrie culturelle, les programmes scolaires-universitaires etc. on trouve, pour l'essentiel, la négation de la lutte des classes et la négation de la révolution. La démocratie parlementaire est présentée à son tour comme l'alpha et l'oméga de tout changement. Celui-ci doit être progressif et graduel grâce au suffrage universel. Pour la bourgeoisie, la lutte des classes et la révolution sont un formidable anachronisme, le socialisme a définitivement échoué et le capitalisme reste l'horizon ultime de l'humanité. Ces idées ainsi que bien d'autres, sont indispensables non seulement pour le maintien de l'ordre établi, mais aussi pour tromper, démoraliser et priver la classe des travailleurs des instruments idéologiques qui lui permettent de résister et de lutter efficacement contre toute sorte d'exploitation et d'oppression.
« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes (...) Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat » écrivaient Marx et Engels en 1848. Cette idée hante toujours la bourgeoisie 175 ans après ! Alors pour dissimuler cette lutte entre prolétaires et bourgeois, entre travail et capital, la classe dominante travestit la réalité pour donner, tel un prestidigitateur habile, l'illusion que nous vivons dans une société où règne plutôt l'entente et la conciliation des classes. Elle remplace tout simplement, avec un certain succès d'ailleurs, la guerre entre deux classes dont les intérêts sont irrémédiablement inconciliables par la collaboration de classes. Les nouveaux acteurs ne sont plus des ennemis, mais des partenaires sociaux. Les patrons et les directions syndicales dialoguent, collaborent ensemble au maintien de la paix sociale. Le mot patron qui évoque les rapports d'exploitation et de domination est en train de disparaître du vocabulaire courant. On lui préfère celui, moins archaïque, d'employeur, d'entrepreneur ou encore celui de chef d'entreprise. Même les prolétaires les plus exploités travaillant pour des plateformes comme Uber ou Deliveroo par exemple sont appelés autoentrepreneurs ! Le Conseil national du patronat français (CNPF), organisation patronale est remplacé par le Mouvement des entreprises de France (Medef). Le profit qui trouve son origine dans l'exploitation du travailleur est de plus en plus appelé résultat net ou encore retour sur investissement (1).
La lutte des classes est niée également à travers le mythe de la classe moyenne. Il s'agit selon Henri Mendras (2) d'une vaste "constellation centrale", une véritable classe, qui s'intercale entre une élite minoritaire et une classe populaire réduite excluant ainsi toute opposition et tout affrontement. Aujourd'hui face à l'explosion de la précarité et de la misère sociale, cette prétendue moyennisation de la société n'a plus la préférence du discours sociologique et médiatique. On lui préfère des notions issues des enquêtes statistiques comme les fameuses Catégories socioprofessionnelles (CSP) ou des couples de mots censés être en opposition comme par exemple peuple/élite, inclus/exclus etc. Il n'est plus question ici ni de bourgeois ni de prolétaires et encore moins de leur lutte.
Une autre manière sinon de nier la lutte des classes du moins la rendre moins visible consiste à mettre au premier plan des combats qui portent sur les conséquences et non sur les causes des phénomènes qu'ils sont censés combattre. On substitue ici le combat politique de classe contre classe par des actions éparpillées, isolées, corporatistes et séparées les unes des autres ce qui les rend particulièrement inefficaces. Les luttes par exemple contre les inégalités, le racisme, les discriminations, le sexisme, la destruction de notre planète, l'exclusion etc.etc. sont des luttes justes et légitimes, mais menées sans lien avec le capitalisme qui les produit et/ou les amplifie.
Aujourd'hui, les grandes multinationales instrumentalisent cyniquement ces thèmes pour mieux vendre leurs produits et augmenter leurs profits (3). Ce faisant, elles participent à la confusion idéologique tout en mettant à l'abri toute critique de l'exploitation capitaliste. Or il est illusoire de vouloir résoudre valablement ces problèmes graves sans remettre en cause le système lui-même. Car l'inégale répartition des richesses, l'écologie...sont d'abord les conséquences des rapports sociaux de classes au sein d'un système économique déterminé. Il ne faut pourtant pas être d'une grande perspicacité pour comprendre que la destruction systématique de notre planète par exemple est intimement liée à cette course effrénée au profit qui caractérise le capitalisme. On ne peut résoudre raisonnablement ces problèmes graves qu'en s'attaquant aux causes qui les engendrent et non à leurs conséquences : « plus on va parler des changements climatiques dans les médias, moins on va expliquer leurs causes et plus on va parler de leurs conséquences. Or quand on traite des causes, on peut en venir assez vite à des explications structurelles relevant de l’ordre social, et donc politique — ce qui n’est pas le cas avec les conséquences du problème (...)Tant que l’écologie ne sera pas pensée d’abord comme une lutte idéologique contre le capitalisme, elle aura toujours le souffle un peu court » (4).
Cela ne signifie nullement qu'il faut renoncer aux combats contre le racisme, le sexisme, l'exclusion etc. Bien au contraire, la lutte contre l'oppression de race, de genre etc. doit être menée au quotidien et sans trêve. Mais en même temps, il ne faut pas surestimer les résultats obtenus par ces combats. Car il s'agit des luttes qui portent sur les effets et non sur les causes du mal.
L'illusion démocratique contribue également à cette gigantesque escroquerie idéologique selon laquelle en dehors de la démocratie bourgeoise point de salut. La démocratie parlementaire est présentée par les classes dominantes comme la clef de tout changement, capable de réaliser les aspirations les plus profondes de l’immense majorité de la population. Or elle n’est en réalité qu’un paravent à la domination économique et, partant, politique. La démocratie est toujours une démocratie de classe. La démocratie dans l'absolu, la démocratie en général n'existe nulle part. Ce qui existe réellement c'est la démocratie de la classe qui domine économiquement et politiquement.
Dans les sociétés capitalistes, la démocratie ne supprime ni l'esclavage salarié ni l'exploitation qui en découle. La démocratie bourgeoise est utilisée par la classe dominante comme une arme idéologique pour servir ses propres intérêts.
Doit-on déduire de tout cela qu'il ne faut pas utiliser le parlementarisme bourgeois ? Absolument pas. Il faut utiliser cette forme de démocratie étriquée sans pour autant exagérer le résultat final de cette participation électorale. Car les intérêts de classes, rappelons-le, sont irréconciliables. Il ne s’agit pas seulement de réformer ou d’améliorer la société capitaliste pour la rendre supportable, mais de l’abolir par la révolution sociale.
Mais dans sa guerre idéologique, la bourgeoisie a réussi à faire croire notamment à celles et ceux qui ont objectivement intérêt à révolutionner leurs conditions d'existence, que la révolution appartient désormais au passé et que la fin de l'Histoire est une réalité des temps modernes. Hors du capitalisme point de salut ! Même certains partis se réclamant pourtant de la classe ouvrière ont supprimé de leur programme toute prise de pouvoir par la révolution se contentant du jeu parlementaire. Ce sont des organisations politiques domestiquées et intégrées qui ont renoncé à organiser les luttes sociales d'envergure. Elles sont réduites à gérer avec la classe dirigeante le système en place alors même que la tendance générale du capitalisme n'est pas d'améliorer les conditions de celles et ceux qui produisent la richesse, mais à les dégrader. Il faut dire aussi que la base sociale de ces organisations s'est nettement affaiblie. Dans ces conditions, il devient difficile de parler de révolution. La minorité d'exploiteurs a réussi à inculquer aux dominés que l'amélioration de leurs conditions misérables d'existence passe par la seule et unique voie, le processus électoral.
Pourtant tous les faits qui rendent la révolution urgente sont là : aggravation de l'exploitation, crises économiques à répétition, saccage systématique de la nature, menaces réelles de la guerre, marchandisation et déshumanisation de tous les rapports humains etc. La révolution tant haïe et niée par les classes dominantes, n'a jamais été aussi légitime et aussi nécessaire qu'aujourd'hui.
Les classes dirigeantes ont tout intérêt à propager les idées, les concepts et les théories qui servent leurs propres intérêts et perpétuent l'ordre établi. Rien de plus normal dans une société basée sur la lutte des classes. Et tant que subsiste l'exploitation capitaliste que subissent au quotidien tous les travailleurs salariés, la lutte des classes se poursuivra. La guerre des idées n'est en dernière analyse que l'expression de cette guerre des classes. L'idéologie bourgeoise, quelle que soit sa puissance, ne peut se substituer à la réalité, elle ne fait que la déformer, la travestir.
La première des tâches est de poursuivre cette lutte en combattant partout cette idéologie mortifère et en diffusant des idées de l'avenir, celles d'une autre société débarrassée des classes et des antagonismes de classes et « où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (5).
Mohamed Belaali
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(1) Voir la critique sémantique de la Ve République d'Eric Hazan : Propagande du quotidien. Raison d'agir, 2006.
(2) La seconde Révolution française 1965-1984, Henri Mendras, Gallimard, Paris, 1988.
La situation désastreuse que connaît la France aujourd'hui est l'expression de la déroute économique, sanitaire et morale d'un pouvoir quasi monarchique.
Totalement étranger à ses concitoyens, Macron et les siens restent indifférents à leurs souffrances dont ils sont largement responsables. Ils ne voient dans les classes populaires qu’une masse infâme, des êtres sans dignité et déshumanisés.
Sans projet pour le pays, Macron tourne sans cesse sur lui-même et sur son seul et unique objectif : rester «quoi qu'il en coûte» au pouvoir.
Il est en campagne électorale alors même qu'il n'a ni vision ni perspective d'avenir à part celle de servir encore et toujours les plus riches.
Il a pour lui les puissants, les médias, les instituts de sondages, l'armée, la police etc.Victor Hugo disait de Napoléon le petit : « M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (1).
Macron n'invoque les valeurs de la République que pour mieux les ignorer, les mépriser, les fouler aux pieds. Sa rhétorique sur l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté d'expression, de manifestation etc. n’a de sens que dans le contexte d'une intense propagande, futile et cynique. En dehors de ce cadre, elle ressemble à des sons vides de tout sens. Son discours démagogique n'a d'égal que le vide de son programme politique.
Il invente des ennemis et montre du doigt les jeunes des quartiers populaires, les musulmans, les islamogauchistes, les séparatistes etc. comme responsables de tous les maux et de tous les malheurs de la France. « Notre pays est malade. Il est malade d’un séparatisme dont le premier, le séparatisme islamiste, gangrène l’unité nationale » (2) disait son ministre de l'intérieur Gérald Darmanin lui-même accusé de viol par deux femmes. C'est un complot politico-religieux répond Macron : « Le problème, c’est le séparatisme islamiste. Ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République » (3).
Cette fabrication de boucs émissaires permet aussi de décharger la colère populaire sur les victimes de la crise tout en épargnant ses véritables responsables dont il fait partie.
Paradoxalement, Macron puise sa force dans sa faiblesse. Il se nourrit des drames de la misère et des frustrations d'une partie de la population, hélas, de plus en plus importante. Car la misère matérielle et morale, le délitement des rapports sociaux, engendrent souvent désespoir et résignation.
Macron est nourri par la puissance de l'argent qui le protège et le maintient à la tête de l'Etat. Elle met à sa disposition des armes redoutables : les grands médias et les instituts de sondages qui jouent un rôle déterminant dans le maintien et la reproduction de cette situation. Pour eux, Macron est déjà président avant même le premier tour !
La propagande, la manipulation et l’endoctrinement permanents remplacent l’information, le faux devient vrai, les apparences se confondent avec la réalité et la différence entre ce qui est juste et ce qui est erroné reste difficile à établir. Les intérêts d'une classe, la bourgeoisie, deviennent ceux de toutes les classes ! Les opprimés ainsi conditionnés sont amenés à choisir «librement et démocratiquement» leurs oppresseurs.
Ainsi, les moyens de communication de masse demeurent l’instrument le plus efficace pour anesthésier une population déjà traumatisée, démoralisée et démobilisée par une politique de misère sociale et par une gestion chaotique et criminelle de la pandémie. Pire, les mensonges véhiculés et répétés inlassablement par les médias sont parfois acceptés et intériorisés par les plus démunis. Le contenu mensonger de cette intense propagande idéologique, bien qu'il soit contredit quotidiennement par les faits, s'efface pour ainsi dire totalement. Les dominés participent ainsi, sans vraiment le vouloir, au maintien de leur propre servitude.
La mission fondamentale de Macron est de servir les puissants. C'est sa raison d'être. Pour les plus démunis, pour les travailleurs, il n'a absolument rien à offrir à part les mensonges, les illusions et la répression sauvage en cas de résistance et de révolte. Le Mouvement des Gilets jaunes est un exemple éloquent à cet égard.
La démocratie bourgeoise, même si elle reste utile pour arracher quelques avancées économiques et sociales, ne peut pour ainsi dire jamais traduire la volonté réelle et les aspirations profondes de la majorité des travailleurs et des salariés en général. Elle permet surtout de perpétuer les intérêts de la classe dominante en donnant l'illusion qu'elle est la seule et l'unique possibilité du changement.
Mais la crise du capitalisme qui produit une telle pourriture au niveau politique, engendre en même temps les conditions matérielles de résistance et de lutte pour briser les chaînes de cette servitude.
Mohamed Belaali
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(1)Victor Hugo « Napoléon le Petit ». Editions l'Escalier (2013), page 42.
En cette sombre époque, il est peut-être utile de parler ici d'un vieux texte de Marx et Engels qui reste, malgré ses 175 ans, toujours une arme redoutable face aux attaques économiques et idéologiques incessantes de la classe dominante. Le Manifeste du Parti communiste mérite d'être lu ou relu sans préjugés. Pour perpétuer son système et ses privilèges de classe, la bourgeoisie tente, essentiellement à travers ses médias, ses instituts de sondages, son industrie culturelle et ses intellectuels qui ne sont en fait que « des salariés à ses gages », de tromper, de démoraliser et de désarmer toutes celles et ceux qui luttent contre le capitalisme en les privant d'instruments idéologiques efficaces. Le Manifeste reste encore aujourd'hui non pas un dogme mais un outil formidable de combat afin de « renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable ». Même s'il a été écrit pour les exploités et les opprimés du XIXe siècle, le Manifeste nous est également destiné. Le capitalisme est toujours là et menace plus qu'hier encore la survie de l'humanité. Certes l'oeuvre de Marx et d'Engels n'est pas à la mode aujourd'hui, mais la mode, rappelons-le, ne résiste pas à l'épreuve du temps, elle est par essence éphémère. Le Manifeste, sans sombrer dans l'utopisme, parle de ce que les hommes et les femmes chérissent le plus et qui reste enfoui au plus profond de leur être : se libérer de toutes les formes d' oppression. Le Manifeste c'est aussi cette immense espérance dans une société débarrassée des classes et des antagonismes de classes et « où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».
Le Manifeste du Parti communiste
I. Bourgeois et prolétaires
« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte (...)
la bourgeoisie, depuis l'établissement de la grande industrie et du marché mondial, s'est finalement emparée de la souveraineté politique exclusive dans l'Etat représentatif moderne. Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière (...)
La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages (...)
La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés.
Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.
Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit Les oeuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle.
Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées.
II.Prolétaires et communistes
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde (... )
Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.
La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise
Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.
Or, la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d'appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l'exploitation des uns par les autres.
En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée (...)
Le prix moyen du travail salarié, c'est le minimum du salaire, c'est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l'ouvrier en tant qu'ouvrier. Par conséquent, ce que l'ouvrier s'approprie par son labeur est tout juste suffisant pour reproduire sa vie ramenée à sa plus simple expression. Nous ne voulons en aucune façon abolir cette appropriation personnelle des produits du travail, indispensable à la reproduction de la vie du lendemain, cette appropriation ne laissant aucun profit net qui confère un pouvoir sur le travail d'autrui. Ce que nous voulons, c'est supprimer ce triste mode d'appropriation qui fait que l'ouvrier ne vit que pour accroître le capital, et ne vit qu'autant que l'exigent les intérêts de la classe dominante (...)
De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.
La culture dont il déplore la perte n'est pour l'immense majorité qu'un dressage qui en fait des machines (...)
En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.
Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot (...)
Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation.
Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles (...)
Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ?
Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante (...)
Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute la production étant concentrée dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre (...).
A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous (...) .
Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.
La Haute Cour de justice de Londres vient d'annuler en appel le refus d'extrader Julian Assange. Elle ouvre ainsi la voie à l'extradition du fondateur de Wikileaks vers les Etats-Unis. Cette décision intervient le jour même où Joe Biden organisait un « Sommet pour la démocratie »et pendant la journée internationale des droits de l'homme ! Décidément le cynisme et l'hypocrisie des pays capitalistes sont sans limites.
«Donne un cheval à celui qui dit la vérité; il en aura besoin pour s’enfuir».
Proverbe arabe
En révélant au monde entier les guerres génocidaires, les crimes, les massacres et les mensonges des pays impérialistes, Julian Assange savait qu'il mettait sa vie en danger. Il a ainsi dévoilé la nature profonde de ces pays.Toutes les guerres impérialistes par exemple ont été déclenchées sur la base de mensonges. Assange a osé dire la vérité. Or celle-ci est incompatible avec le fonctionnement même des sociétés capitalistes où le mensonge est érigé en principe sacré, en dogme. Toute profanation de cette règle constitue un sacrilège. Il faut laisser la population dans l'ignorance. Et comme disait Orwell dans 1984 «L'ignorance c'est la force» ! La propagande et l’endoctrinement permanents des citoyens remplacent l’information et le faux devient vrai. Les intérêts d'une seule classe deviennent alors ceux de toutes les classes. Les responsables de ce blasphème seront alors durement punis. Car dans cette société, les hérétiques n'ont pas leur place. Leur vérité constitue une offense, un affront et une insulte au discours mensonger dominant. Julian Assange doit être châtié, persécuté. L'obscurité du mensonge contre la lumière de la vérité. La guerre est donc déclarée contre cet homme. Il n'a aucune chance de la gagner ni même d'obtenir un procès équitable sans le soutien massif des citoyens. Pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et tous les autres pays capitalistes, Assange est l'homme à abattre. En 2010 par exemple, il a eu le courage de montrer au monde entier, à travers des centaines de milliers de documents classifiés de l'armée américaine, la réalité de l'invasion de l'Irak : crimes de guerre, massacres, tortures... la souffrance infligée à la population irakienne, réduite à vivre dans des conditions infra-humaines, donne la mesure de la cruauté dont les pays capitalistes sont capables (1). Les documents publiés donnent l'ampleur de cette tragédie irakienne : 109 032 victimes dont 60 % de civils (2). A l'époque, les médias aux ordres parlaient des «frappes chirurgicales» ! Et quel est le crime de chacune de ces victimes ? Selon Bush et Blair, l'Irak représente un véritable danger pour le monde. Il possède les armes de destruction massive et demeure le foyer mondial du terrorisme. Il faut donc sécuriser ce pays et apporter à sa population démocratie, liberté et prospérité. Des mensonges et toujours des mensonges !
Le président équatorien Lenin Moreno, celui par qui le scandale est arrivé, disait : « J’ai demandé à la Grande-Bretagne la garantie que M. Assange ne serait pas extradé vers un pays où il pourrait être torturé ou condamné à mort». (3)
Moreno sait très bien que les Etats-Unis ont émis une ordonnance d'extradition de Julian Assange avec un acte d'accusation précis (4) et que son pays et le Royaume-Uni feront tout pour faciliter ce transfèrement. Une fois aux Etats-Unis, la vie de Julian Assange sera en danger ou comme disent les experts de l'ONU, l'extradition met « potentiellement sa vie en danger» (5),
Rappelons que la majorité des Etats (vingt-six sur cinquante en plus de la justice militaire) appliquent encore la peine de mort et que la pratique de la torture est bien réelle. Le sort d'Assange n'aura probablement rien à envier à celui de l'autre lanceur d'alerte Chelsea Manning qui a « enduré de longues périodes d’isolement et de torture. Elle a tenté à deux reprises de se suicider en prison. Elle connaît par expérience douloureuse les innombrables façons dont le système peut vous briser psychologiquement et physiquement» (6).
Voilà ce que réservent les pays impérialistes à ceux et celles qui, au détriment de leur vie, osent dire la vérité aux citoyens en les informant sur les abus du pouvoir. Les pays capitalistes ne peuvent fonctionner que sur la base de mensonge et de répression dans tous les domaines.
Laissons le dernier mot à la mère de Julian Assange :«La vie de mon fils, le journaliste Julian Assange, est en danger imminent et grave. Je vous remercie tous d’entendre l’appel d’une mère qui vous demande de l’aider à le sauver (…) Parce qu’il s’agit d’une persécution politique transnationale par une superpuissance sauvage en collusion avec ses alliés, sauver Julian nécessite l’indignation des peuples du monde. (...) Tout au long de l’histoire, lorsque les abus de pouvoir sont devenus insupportables pour le peuple, celui-ci s’est uni et s’est levé pour les faire cesser» (7).
«Nous protestons, nous protestons jusqu'à la révolution».
Slogan des manifestants soudanais.
Le 25 octobre 2021, le Soudan a connu un nouveau coup d'Etat mené cette fois par le général Al Burhan président du Conseil militaire. Ce putsch met fin au processus de transition démocratique entamé depuis la chute du dictateur Omar Al Bachir en avril 2019. Mais pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui au Soudan, il est nécessaire de revenir sur le passé de ce pays tourmenté. En effet, l'histoire politique du Soudan est riche en révoltes, en révolutions et en coups d'Etat militaires qui ne sont, en dernière analyse, que l'expression d'une implacable lutte de classe entre oppresseurs et opprimés. Ce mouvement toujours recommencé est impulsé par cette quête obstinée, par cette aspiration profonde et permanente du peuple soudanais à la démocratie et à la justice sociale. Dans ce combat permanent le rôle des femmes, malgré de fortes pesanteurs sociales et religieuses, reste déterminant.
Sans remonter à la période coloniale où les « mahdistes » ont mis en déroute l'armée de l'occupation britannique en 1885 avant d'être défaits par le général Kitchener en 1898, le Soudan moderne a connu une série de soulèvements populaires et de putschs militaires entrecoupée d'intermèdes démocratiques. Dès 1958, deux ans seulement après la proclamation de l'indépendance en 1956, le général Ibrahim Abboud s'empare du pouvoir mettant ainsi un terme au régime parlementaire gangrené par la corruption et incapable de sortir le pays de la crise économique liée essentiellement à la chute des prix du coton.
Le nouveau régime militaire soutenu par le Royaume Uni et dont le règne est marqué par de nombreuses mesures impopulaires et discriminatoires notamment vis à vis de la population du Sud majoritairement chrétienne et animiste, est chassé à son tour du pouvoir par la révolution d'octobre 1964 (Thawrat Oktobar) dont l'étincelle est partie de l'université de Khartoum la capitale. La résistance sudiste, l'influence du parti communiste dans les milieux ouvriers, paysans et intellectuels ainsi que, dans une moindre mesure, celle des Frères musulmans ont joué un rôle décisif dans le renversement de la première dictature militaire.
Le nouveau gouvernement provisoire mis en place a promulgué des lois progressistes comme celle qui donne aux femmes, pour la première fois, le droit de vote. Mais la situation a changé rapidement sous l'influence des islamistes qui ont réussi à interdire le parti communiste en 1965 et exclu ses députés de l'Assemblée. Le PC soudanais qui était le fer de lance dans le soulèvement d'octobre 1964 est condamné une nouvelle fois à la clandestinité.
Le 25 mai 1969, un nouveau coup d'Etat mené cette fois par de jeunes officiers nationalistes dont certains sont proches du parti communiste, porte au pouvoir le colonel Gaafar Nimeiry (devenu général puis maréchal par la suite). Admirateur de Nasser, le nouveau maître du Soudan mène une politique de nationalisation et adopte, sur le plan politique, des mesures démocratiques. Mais très tôt Nimeiry entre en conflit ouvert avec les communistes qui doutent fortement du caractère révolutionnaire de son gouvernement. Ils lui reprochent de surcroît son autoritarisme et surtout son projet d'Union tripartite avec l'Egypte de Sadate et la Libye de Khadafi. Les ministres communistes et les officiers proches du parti sont alors exclus du gouvernement.
Le 19 juillet 1971 une tentative de coup d'Etat montée contre Nimeiry et attribuée aux communistes a échoué. Nimeiry décide alors d'écraser définitivement le parti communiste soudanais, le plus important alors du continent africain. «Une effroyable campagne de liquidation physique du parti communiste soudanais et ses sympathisants. Une terrible chasse à l’homme à travers tout le territoire, qui devait engloutir des milliers de cadres politiques, intellectuels, syndicalistes, étudiants et militaires» (1). Le prestigieux dirigeant du parti Abdel Khaliq Mahjoub fut pendu le 28 juillet 1971. Cette période marque le déclin du parti communiste soudanais qui était sur tous les fronts, de toutes les révoltes et de toutes les révolutions avant et après l'indépendance du Soudan. Mais ces idées révolutionnaires pour un Soudan moderne restent encore aujourd'hui l'emblème de tous les soulèvements populaires contre les dictatures militaires.
Débarrassé des communistes, Nimeiry se rapproche des Etats-Unis, de l'Arabie Saoudite, d'Israël et se réconcilie avec les partis fondamentalistes. Il impose la Charia, l'islamisation des institutions et de la société y compris au Sud Soudan dont la population est majoritairement chrétienne et animiste. Il a même exécuté par pendaison Mahmoud Mohamed Taha, un penseur musulman moderniste et fondateur du parti des Frères Républicains d'inspiration socialiste. Devant la Cour avant son exécution Taha déclare «J'ai affirmé à plusieurs reprises mon opinion, selon laquelle les lois de septembre 1983 bafouent la charia islamique et l'islam lui-même. De plus, ces lois ont défiguré la charia islamique et l'islam jusqu'à les rendre repoussants. Plus encore, ces lois ont été édictées et utilisées pour terroriser le peuple et le soumettre à force d'humiliation» (2).
En mars 1985, les soudanais sont descendus massivement dans la rue, une fois encore, pour protester contre les augmentations des prix des denrées alimentaires de base et contre Nimeiry qui les a appliquées sur les injonctions du FMI. Le régime réagit violemment. Mais cette brutalité n'a fait que renforcer la volonté des révoltés à se débarrasser du dictateur.
En avril de la même année, le général Nimeiry est renversé par un autre général Abdel Rahman Suwar al-Dahab. Un gouvernement transitoire est constitué. Les prisonniers politiques sont libérés, les libertés publiques restaurées et le parti communiste est de nouveau autorisé. Les élections sont organisées en 1986 et les négociations pour trouver un accord avec les rebelles du Sud sont entamées. Mais cette relative liberté permise par la nouvelle révolution a été de courte durée.
Le 30 juin 1989, le colonel Omar Al-Bashir s'empare du pouvoir par un coup d'Etat militaire mettant un terme au gouvernement civil de Sadek el-Mahdi. Une nouvelle dictature s'installe. Le parlement est dissout. Les partis politiques ainsi que les syndicats sont interdits et leurs dirigeants emprisonnés. Omar Al Bachir s'allie un temps avec les Frères musulmans et leur guide Hassan Al Tourabi qui inspirait sa politique. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains : il est à la fois Président de la république, premier ministre, chef des armées et ministre de la défense. Le dictateur introduit un nouveau «code islamique» encore plus rigoriste que celui imposé par Gaafar Nimeiry. Al Bachir commet au Darfour, l'une des régions les plus pauvres du Soudan malgré la richesse de son sous-sol, de véritables crimes de guerre qualifiés de crime contre l'humanité par l'ONU (3).
Il intensifie la guerre au Sud avant de signer avec les rebelles en 2005 un accord de paix et l’organisation d’un référendum d’autodétermination en janvier 2011. En juillet de la même année Al Bachir est contraint d'accepter la sécession du Sud (600 000 kilomètres carrés).
Il privatise les chemins de fer ainsi que de nombreux secteurs de l'économie soudanaise. Il applique les politiques d'austérité et la « vérité des prix » imposées par le FMI. Et c'est justement cette politique dictée par le Fonds monétaire qui a allumé l'étincelle qui va embraser tout le Soudan.
En effet le 19 décembre 2018, alors que l'économie du pays traverse une crise profonde, le gouvernement d'Al Bachir annonce le triplement du prix du pain et augmente celui de l'essence de 30 % alors que l'inflation a déjà atteint les 40 %. Des émeutes éclatent d'abord dans les villes ouvrières notamment à Atbara fief du parti communiste et berceau de tous les soulèvements populaires soudanais avant de se répandre dans tout le pays. Mais les émeutes se sont vite transformées en contestation du régime d'Al Bachir : «Le peuple veut la chute du régime» clament les manifestants. Une dynamique révolutionnaire impulsée et guidée par l'Association des Professionnels Soudanais (APS) s'est emparée de tout un peuple. Malgré une féroce répression et ses dizaines de morts, malgré la présence des Janjawid, ces soldats de sinistre mémoire pour leurs atrocités commises au Darfour, malgré l'instauration d'état d'urgence et le couvre-feu, les manifestants réclament toujours avec force le départ d'Al Bachir et des forces islamistes réactionnaires qui le soutiennent. «La révolution est le choix du peuple» scandent, jour et nuit, les manifestants devant le quartier général de l’armée symbole du pouvoir.
Le 11 avril 2019 Omar Al Bachir est destitué par l'armée : «J'annonce en tant que ministre de la
défense la chute du régime» disait le communiqué lu par le ministre de la défense le général Awad Ibn Awf (4). Un Conseil militaire de transition est mis en place présidé par le général Al Burhan. C'est une première étape de la révolution remportée par le peuple soudanais.
La deuxième a commencé le 17 août 2019 avec la constitution d'un Conseil souverain appelé à superviser «la transition démocratique». Ce Conseil est composé de 11 membres, 5militaires et 6 civils, dont deux femmes. Un nouveau gouvernement, 18 membres dont 4 femmes, est constitué un mois après et dirigé par un économiste Abdallah Hamdok.
Al Bachir est tombé mais son régime est toujours en place et les islamistes se tiennent en embuscade. Le ministère de l'intérieur et celui de la défense sont toujours entre les mains des militaires. La victoire n'est pas encore là et la lutte des classes se poursuit. La troisième étape de la révolution soudanaise reste donc à écrire.
Mais on ne peut parler de ces révoltes et de ces révolutions récurrentes sans évoquer le rôle majeur joué par les femmes. En première ligne, les femmes sont en quelque sorte l'avant garde de toutes les révoltes soudanaises. Leur combat pour la justice sociale et pour la démocratie ne date pas de la dernière révolte qui a emporté Omar Al Bachir. Sans remonter aux « kandakats», ces reines nubiennes du royaume de Kush qui ont combattu l'empire romain, elles ont toujours fait face courageusement à toutes les formes d'oppressions et d'humiliations. Ainsi sous l'occupation britannique par exemple, une femme, Khalida Zahir membre du parti communiste, seul parti à l'époque acceptant des femmes dans ses rangs, luttait à la fois contre le colonialisme et pour les droits des femmes. «Khalida Zahir fait partie des pionnières qui ont contribué à ouvrir la voie à des avancées comme cette loi de 1973 accordant un salaire égal pour un travail égal» (5).
Elle reste dans la mémoire des soudanais comme une grande figure de résistance à toutes les oppressions. Aujourd'hui encore, l'une des icônes de ceprocessus révolutionnaire est une femme, Alaa Salah. Elle a impressionné les masses de Khartoum par son courage, sa ténacité et par son charisme. Hissée sur le toit d'une voiture chantant la révolution et appelant au soulèvement une foule déchaînée qui lui répond à son tour « Thawrat !» Révolution ! (6).
Cette présence massive des femmes dans toutes les révolutions soudanaises s'explique dans une large mesure par leurs conditions sociales proches de l'esclavage. Les femmes subissent une double violence : l'exploitation de classe et l'oppression de genre.
Ainsi «les femmes ont été employées à titre gratuit par les hommes dans les maisons. Ce travail domestique prenait – et prend toujours – de multiples formes, et faisait peser sur elles de nombreuses responsabilités, comme celle d’amener l’eau ou le bois de chauffage, de le ramener sur de longues distances. C’est toujours le cas dans les villages et camps de réfugiés, où elles continuent à fournir la nourriture, les moyens de subsistance, à travailler dans les fermes et sur les terres qui appartiennent aux hommes» (7).
Quant à leur instruction, elle était réduite dans le meilleur des cas, à quelques préceptes religieux dispensés par des écoles coraniques ou d'évangélisation chrétienne. La colonisation britannique n'a pas bouleversé les structures archaïques de la société soudanaise et les efforts de Babiker Badri pour un enseignement public et laïc sont restés très limités.
L'islamisation de la société imposée par les dictateurs Gaafar Nimeiry en 1983 renforcée par Omar Al Bachir à partir de 1989 influencés par des extrémistes religieux ont ôté aux femmes le peu de droits qu'elles avaient arrachés durant les courtes périodes démocratiques. Les lois d'Omar Al Bachir, en plus des châtiments corporels, limitent les déplacements des femmes et leur présence dans l'espace public. Elles sont réduites pour ainsi dire à leur corps devenu enjeu politique, un corps qu'il faut pourtant cacher et dissimuler. Une de ces lois oblige par exemple les femmes «de porter le hijab dans les écoles et universités et impose aussi des règles relatives aux vêtements, à l’apparence, aux comportements. Elle punit la possession de tout matériel à caractère sexuel (comme les préservatifs), et interdit toute publication ou partage de contenu (par exemple dans des expositions ou pièces de théâtre) qui serait passible d’ « outrage aux mœurs» » (8).
Si les femmes soudanaises sont en première ligne, c'est aussi parce qu'elles sont les premières victimes de toutes les oppressions. Elles ont bien compris qu'elles n'ont rien à perdre à part leurs conditions proches de l'esclavage.
Les révoltes et les révolutions à répétition des soudanais, hommes et femmes, montrent à quel point leur soif de justice sociale, de démocratie et de dignité est insatiable. Leur victoire là-bas c'est aussi la notre ici. Le combat contre toutes les oppressions n'a pas de frontière.
Le 30 septembre 2021, Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, a été condamné à une année de prison ferme pour "financement illégal de campagne électorale". C'est le maximum prévu par la loi ! Rappelons que Nicolas Sarkozy a déjà été condamné en première instance le 1er mars 2021 pour "corruption et trafic d'influence» à trois ans de prison dont un ferme dans le cadre «des écoutes de Paul Bismuth". En sept mois seulement, l'ancien président de la République a été condamné deux fois à de la prison ferme dans deux affaires différentes. C'est historique ! Plusieurs autres affaires attendent encore Nicolas Sarkozy devant les tribunaux. En même temps, l'ancien chef de l'Etat a reçu d'innombrables soutiens y compris du pouvoir en place. Car dans cette république bourgeoise que certains qualifient " d'exemplaire" et "d'irréprochable", plus on est condamné pour affaires de corruption et plus on est soutenu ! On peut même gagner les élections tout en étant un homme politique corrompu jusqu'à la moelle comme ce fut le cas d'Alain Juppé ou de Patrick Balkany par exemple. Car la corruption, les scandales financiers, l'évasion fiscale, les privilèges et autres affaires, sont intimement liés au fonctionnement même du système capitaliste qui les produit et reproduit de manière permanente.
La condamnation à deux reprises de Sarkozy n'est que l'arbre qui cache la forêt. Le nombre d'hommes politiques impliqués, à un degré ou à un autre, dans les affaires est impressionnant. Il est tout simplement impossible d'établir une quelconque liste exhaustive des scandales politico-financiers qui secouent régulièrement tous les échelons de l'Etat. Sans remonter jusqu'aux diamants centrafricains de Giscard, on peut citer à titre d'exemples seulement quelques noms de dirigeants politiques empêtrés, à un titre ou à un autre, dans des affaires : Alain Carignon, Alain Juppé, Jérôme Cahuzac, Patrick Balkany, Claude Guéant, Serge Dassault,Thomas Thévenoud, François de Rugy, Richard Ferrand, Jean-Paul Delevoye, Charles Pasqua, François Léotard, François Fillon, Jacques Chirac etc. etc. Il ne s'agit là que de quelques exemples qui ne doivent pas masquer le caractère récurrent et structurel de la corruption qui règne dans les plus hautes sphères de l’État. Les institutions de cette république bourgeoise non seulement sont complices de ces agissements, mais permettent et favorisent la multiplication des opportunités de corruption et des scandales en tout genre. Et toutes les déclarations et les gesticulations autour de "la moralisation de la vie publique", de "la nécessité d’une lutte implacable contre les dérives de l’argent, de la cupidité et de la finance occulte", de "la transparence de la vie publique", de "la lutte contre la grande délinquance économique et financière" etc. ne sont que des mensonges pour leurrer et endormir les citoyens (1).
Même lorsqu'ils sont condamnés, les puissants ne sont pour ainsi dire (presque) jamais incarcérés. Les lois sont faites de manière telle qu'ils arrivent à échapper à la prison. Il faut dire aussi que parfois ceux qui les écrivent ou sont censés veiller à leur application sont les mêmes qui les détournent. Ainsi, Nicolas Sarkozy, Françis Fillon, Jérome Cahuzac par exemple, tous condamnés à de la prison ferme, n'ont pas été incarcérés. Ajoutons que malgré toutes les preuves apportées par les enquêtes journalistiques ou par le Consortium international des journalistes d’investigation sur la fraude et l'évasion fiscale publiés depuis 2013 comme (Offshore Leaks (2013), Lux Leaks (2014), Panama Papers (2014), Bahama Leaks (2016), Football Leaks (2016), Money Island (2017), Malta Files (2017), Paradise Papers (2017), Dubaï Papers (2018), FinCEN Files (2020), OpenLux (2021) Pandora Papers (20121), les hommes politiqués concernés comme Jean-Marie Le Pen(2)... Dominique Strauss-Kahn, entre autres, restent intouchables. Alors que les paradis fiscaux continuent à prospérer un peu partout dans le monde à la grande satisfaction des puissants, Nicolas Sarkozy, ironie de l'histoire, nous disait en 2009 " il n' y a plus de paradis fiscaux " et "Nous avons mis fin au scandale des paradis fiscaux"(2) !
On peut adopter les lois que l’on veut contre la corruption, l'évasion fiscale, les affaires et les privilèges, mener toutes les enquêtes possibles, on peut même diminuer et limiter leur importance, mais on ne peut pas les éliminer. Car leur existence et celle du capitalisme sont tellement imbriquées l’une dans l’autre que l’on ne peut supprimer l’une sans éliminer l’autre. Les lois et les mesures prises pour lutter contre la corruption ne sont que des paravents derrière lesquels la bourgeoisie dissimule ses forfaits. Le problème n’est donc pas l’existence de la corruption, des scandales financiers, des affaires et autres privilèges, mais celle du capitalisme qui les engendre. Il y a eu dans le passé des scandales, il y a aujourd’hui des scandales et il y aura dans l’avenir d’autres scandales tant que ce système existe. Le véritable scandale, c’est le capitalisme lui-même.
«Jamais en France un prisonnier politique n’a été détenu aussi longtemps que
Georges Ibrahim Abdallah». Jean-Louis Chalanset. *
Georges Ibrahim Abdallah est un militant communiste né au Liban le 2 avril 1951 dans une famille maronite (1). Georges a grandi dans ce pays tourmenté, frontalier d'Israël. Cette proximité est source de conflits et de malheurs pour le Liban et sa population. Israël est un État créé et élevé sur les terres d'un autre peuple.Transformé en exilé et en réfugié, le peuple palestinien est réduit à errer à travers le monde et à survivre dans des camps de concentration sous des tentes. Une partie importante de ces réfugiés s'est installée sur la côte libanaise de Tyr à Beyrout après La Nakba (désastre, catastrophe) de 1948. Mais l’État hébreux ne se contente pas d'arracher le peuple palestinien à sa terre, il le poursuit partout où il peut se trouver. C'est ainsi qu'il a attaqué les camps de réfugiés en 1972 et envahi le sud Liban en 1978 ainsi que Beyrouth en 1982 (2). Ben Gourion ne disait-il pas qu’il fallait «attaquer sur tout le front et non seulement à l’intérieur de l’Etat d’Israël ou aux frontières de la Palestine, mais de rechercher l’ennemi et de l’écraser partout où il peut être» (3). Le destin de Georges Ibrahim Abdallah est intimement lié à la Palestine et aux souffrances de son peuple. Sa trajectoire politique est totalement déterminée par la tragédie du peuple palestinien.
Nationaliste et progressiste arabe, Georges Ibrahim Abdallah milite d'abord dans le Parti national social syrien (PNSS), composante importante du Mouvement national libanais dirigé par Kamal Joumblatt. Communiste, il rejoint les rangs du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) crée en 1967 par Georges Habache dont il était proche. L'accord du Caire de 1969 donnait à la Résistance palestinienne le droit d'attaquer Israël à partir du Sud-Liban. Georges Ibrahim Abdallah est d'ailleurs blessé lors de l'invasion par l'armée israélienne de cette partie du Liban en 1978 (opération Litani). En juin 1982 alors que le pays est en pleine guerre civile, Israël, avec la complicité de Washington et des phalanges chrétiennes libanaises, envahit à nouveau le Liban et assiège Beyrouth-Ouest où la résistance palestinienne et toute la gauche libanaise combattaient côte à côte leur ennemi commun Israël. Rappelons que cette violation des frontières d'un État souverain a été condamnée par l'ONU (4).
Le jeudi 16 septembre 1982 les milices phalangistes pénètrent, avec l’aide de l’armée israélienne, les camps de réfugiés palestiniens Sabra et Chatila de Beyrout-Ouest. Les mots et les images ne peuvent décrire réellement ce qui s’est passé dans les deux camps durant les nuits de jeudi à vendredi et de vendredi à samedi (5). Selon les sources, le nombre de victimes civiles palestiniennes atrocement mutilées et massacrées dans ces deux camps varie entre 700 et 3500 morts. L'intervention militaire israélienne au Liban proprement dite (Paix en Galilée) a fait 20 000 morts civils libanais et palestiniens (6). Ni Israël, ni les phalanges chrétiennes responsables de cette moderne barbarie n'ont été condamnés bien évidemment.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'action des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) et d'autres organisations palestiniennes qui ont décidé de frapper les intérêts sionistes et américains partout à travers le monde. Effectivement en janvier 1982 les FARL, dont la justice française soupçonne Georges Ibrahim Abdallah d'en être le dirigeant, revendiquent l'assassinat de Charles Robert Ray attaché militaire adjoint à l'ambassade américaine à Paris et membre de la CIA. En avril de la même année, elles revendiquent un deuxième attentat.Yvan Barsimantov, agent du Mossad et secrétaire adjoint à l’ambassade d’Israël à Paris, tombait lui aussi sous les balles des FARL : «Nous, Fraction Armée Révolutionnaire Libanaise, nous nous adressons à tous ceux qui condamnent la terreur et le terrorisme, à tous ceux qui militent pour l’abolition de la société d’exploitation et de guerre. Nous avons exécuté YACOV BARSIMANTOV. Nous, nous attaquons ceux qui organisent le génocide du peuple Palestinien. Nous, nous sauvegardons la vie des innocents même au péril de notre propre sécurité» (7). Selon le journal libanais Al Akhbar, l'exécution d'Yvan Barsimantov est le fait de Jacqueline Esber, alias «Camarade Rima» militante communiste des FARL décédée en novembre 2016 au Liban à l'âge de 57 ans (8).
Le 24 octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah est arrêté pour détention de faux papiers d'identité, un passeport délivré légalement par les autorités algériennes. Selon Jacques Attali, Georges Ibrahim Abdallah « n’est inculpé que de faux et usage de faux. Il dispose d’un vrai-faux passeport algérien» (9). Aujourd'hui Georges Ibrahim Abdallah est toujours en prison. Il est devenu le plus vieux prisonnier politique d'Europe. Son procès a connu de multiples rebondissements et plusieurs chefs d'accusation. Finalement la justice française le condamne en 1987 à perpétuité pour complicité dans les assassinats en 1982 de deux diplomates agents de la CIA et du Mossad.
Dans un premier temps Georges Ibrahim Abdallah était défendu par Me. Jean-Paul Mazurier qui a publié avec Laurent Gally, journaliste à Libération, un livre où il reconnaît qu'il travaillait aussi pour les renseignements français (10) ! Toutes les demandes de libération conditionnelle formulées par Georges Ibrahim Abdallah , neuf au total, ont été rejetées alors qu'il était libérable depuis 1999 selon le code pénal français qui rend cette libération possible après quinze ans de détention. Les gouvernements américain et israélien s'opposent farouchement à sa libération. Les États-Unis par exemple, non seulement exercent une pression directe sur le gouvernement français, mais se sont constitués également partie civile dans le procès, phénomène rare dans les annales de la justice. Même l'ancien directeur de la DST Yves Bonnet, qui a participé aux négociations pour libérer Gilles Sidney Peyrolles fils de l'écrivain Gilles Perrault enlevé par les FARL au Liban en échange de la libération de Georges Ibrahim Abdallah, trouve « (...) anormal et scandaleux de maintenir encore Georges Ibrahim Abdallah en prison. Je considère qu'il avait le droit de revendiquer les actes commis par les FARL comme des actes de résistance. Après on peut ne pas être d'accord, c'est un autre débat. Mais il faut se souvenir du contexte, aussi, des massacres de Sabra et Chatila dont les coupables n'ont jamais été punis» (11). Précisons que dans cette affaire de tractations menée par Yves Bonnet, seul Gilles Sidney Peyrolles a été libéré. Georges Ibrahim Abdallah, lui, est toujours en prison. Rien ne peut se faire sans le consentement du pouvoir politique. C'est une justice totalement dépendante du gouvernement, servile serviteur des intérêts de la classe dominante. La séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu, reste une chimère dans la démocratie bourgeoise. Le cas de Georges Ibrahim Abdallah est une preuve vivante de cette imbrication des pouvoirs judiciaire et exécutif entre les mains de la classe dominante. Le procès de Georges Ibrahim Abdallah ainsi que son destin se jouent davantage au palais de l’Élysée que dans le palais de justice. Car il ne s'agit pas d'un procès judiciaire mais politique !
Georges Ibrahim Abdallah est un prisonnier politique. Il n'a jamais renié ses convictions communistes et internationalistes ni son combat contre le sionisme et l'impérialisme américain (12). Et ce sont justement ces convictions et ce combat que les États-Unis, Israël et la France s'acharnent à briser en maintenant arbitrairement en détention un homme qui leur tient tête. Selon les mots mêmes de Georges Kiejman avocat des Etats-Unis dans ce procès, « Georges Ibrahim Abdallah, c'est quelqu'un de très digne, mais qui se présente aujourd'hui encore comme un militant prêt à reprendre le combat politique» (13). A travers Georges Ibrahim Abdallah c'est en réalité la résistance à Israël que l'on condamne. Georges Ibrahim Abdallah n'est pas condamné selon les règles du droit, il est séquestré par un État dont la soumission aux intérêts sionistes n'est plus à démontrer. Pour la bourgeoisie française et ses gouvernements successifs, le marxiste Georges Ibrahim Abdallah doit mourir en prison.
Les bourgeoisies occidentales sont complices des régimes locaux d'un autre âge qui répriment, pourchassent, emprisonnent et parfois assassinent les militants progressistes et à fortiori communistes dans le monde arabe. Rappelons que ce sont ces mêmes bourgeoisies qui ont sauvé ces régimes de l'effondrement lors des soulèvements populaires de 2011.Voir fleurir des idées laïques dans cette région tourmentée du monde leur est insupportable. Mais en condamnant toutes les voies et toutes les issues progressistes, les bourgeoisies occidentales ont ouvert la boîte de Pandore libérant des monstres qui essaiment et sèment la mort un peu partout dans le monde. Elles s’accommodent davantage avec les idées réactionnaires et obscurantistes qu'avec celles du progrès et des lumières. En plantant une lame au cœur du monde arabe c'est à dire un État au dessus des autres et qui viole au quotidien le droit international, les bourgeoisies occidentales ont en même temps créé sans le vouloir la résistance laïque et progressiste non seulement en Palestine mais aussi dans tout le monde arabe. Cette situation leur est intolérable et inacceptable. Il faut donc soutenir les régimes les plus rétrogrades pour dresser un rempart conte toute résistance communiste ou tout simplement progressiste aussi minime soit-elle. Georges Ibrahim Abdallah fait partie de ces générations de militants marxistes qu'il faut partout traquer, arrêter et emprisonner même si la menace qu'elles représentent est plus que surestimée. Mais l'ennemi matérialiste fait toujours peur !
Il faut sauver Georges Ibrahim Abdallah des griffes de cette classe toujours prompte à accorder son pardon à des hommes politiques qui ont servi ses intérêts. Le cas, parmi tant d'autres, de Maurice Papon est éloquent à cet égard. Rappelons pour mémoire que cet homme est responsable, avec la complicité de l’État français, du massacre de plusieurs dizaines d'algériens en octobre 1961 (14), de celui de Charonne en février 1962 et condamné en 1998 à 10 ans de réclusion criminelle pour «complicité de crimes contre l'humanité» pour avoir organisé l'arrestation et la déportation de 1560 juifs (15). Maurice Papon n'a finalement passé qu' à peine trois ans en prison. Il est mort paisiblement pendant son sommeil en 2007. Georges Ibrahim Abdallah, lui, doit rester et mourir en prison. Seule une lutte organisée et efficace peut renverser le rapport de force et le sauver de cette lente mort carcérale à laquelle l'a condamné cette classe hideuse . Il faut populariser son combat ainsi que celui des collectifs qui le soutiennent et qui se trouvent aujourd'hui aux quatre coins du monde. Il faut partout dénoncer cette injustice et exiger la libération de Georges Ibrahim Abdallah. La bourgeoisie française qui espère le voir mourir en prison, doit comprendre que «les révolutionnaires ne meurent Jamais».
(1)Les maronites sont des chrétiens d'orient. Ils constituent la plus importante communauté chrétienne du Liban. L’Eglise maronite naît au IVe siècle sous l’impulsion de Saint Maron.
Il y a 60 ans jour pour jour, l'Etat français à travers sa police, massacrait en plein Paris des centaines de travailleurs algériens qui manifestaient dignement et pacifiquemnt contre le couvre-feu raciste qu'on leur imposait. "Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin" écrivait Maurice Papon Préfet de police de Paris. Les ouvriers algériens et leurs familles ont décidé de manifester. La police a tiré sur la foule. Beaucoup de ces travailleurs ont été brutalement jetés dans la Seine qui des jours durant a charrié leurs cadavres. Des manifestants blessés ont été emmenés sans ménagement au Palais des sports et au Stade Pierre-de-Coubertin comme au Stade de Santiago de Chili en 1973 où l'on entassait les opposants au général Pinochet.
17 octobre 1961, c'est peut-être le plus grand massacre d'ouvriers après la Commune de Paris.
Un lourd silence s'est alors abattu sur ce crime d'Etat. Livres, témoignages, films, reportages, documents historiques, dossiers de presse, accès aux archives etc. pendant des décennies ont été saisis et interdits. La mémoire du 17 octobre a été occultée. Il faut peut-être beaucoup de temps pour que la bourgeoisie française, responsable de ce massacre, ose montrer son visage hideux. Comme disait Frantz Fanon dans Les Dannés de la terre, cette bourgeoisie qui aime tant parler de l'homme, des droits de l'homme,"tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde".